Une année dans la vie de Božena Němcová
Božena Němcová a donné à la littérature tchèque son livre fondamental, « Grand’mère », et parfois nous avons la tendance de ne voir en elle que l’auteur de ce chef d’œuvre en oubliant que ce livre ne montre qu’une facette de sa création et de sa personnalité. Celui qui veut pénétrer plus profondément dans la vie passionnée et passionnante de cette femme de lettres doit lire aussi ses autres écrits et notamment sa correspondance. Le troisième et dernier tome de sa riche correspondance a paru aux éditions Lidové noviny. Voici la reprise d´une émission que nous avons consacrée à ce livre il y a deux ans.
Elle était belle, spirituelle et originale, une association des facultés que la société tchèque du XIXe n’arrivait pas à digérer. S’il y a une qualité qui lui manquait complètement, c’était la médiocrité qui rend la vie monotone et facile. Pour pouvoir vivre et pour pouvoir écrire, elle avait besoin de beaucoup plus de liberté que n’en demandaient les femmes de son temps. Elle était aimée, admirée, critiquée et condamnée.
Elle est née dans une famille modeste probablement en 1820 à Vienne mais les circonstances assez obscures de sa naissance ont fait surgir de nombreuses spéculations sur son origine aristocratique. Son mariage avec Josef Němec, commissaire des gardes financiers, n’a pas été heureux, bien que son mari ait été, comme elle, un ardent patriote tchèque. C’est avec ce mari que les autorités autrichiennes savaient récalcitrant à la monarchie que Božena Němcová a subi la disgrâce du régime, les fréquentes mutations de diverses régions éloignées de l’empire. Le IIIe tome de sa correspondance qui ne couvre que la période de 1857 à 1858, donc une seule année, réunit 182 lettres qu’elle a écrites et qu’elle a reçues. Jaroslava Janáčková qui a réunit et annoté cette correspondance évoque cette période dans la vie de la romancière:
«A cette époque Josef Němec, le mari de Božena Němcová, quitte le service d’Etat et part à la retraite. Il cherche une occupation dans le secteur privé, mais il est toujours poursuivi pour des raisons politiques. Ses nouveaux employeurs le mettent donc à la porte. A la même époque Božena Němcová cesse d’écrire les oeuvres de fiction et s’adonne à la correspondance et écrit beaucoup sur la Slovaquie. C’est en Slovaquie qu’elle cherche une culture orale, encore vivante. Elle cherche également à rapprocher la Slovaquie aux Tchèques, en tant que monde qui pourrait enrichir le milieu tchèque recroquevillé sur soi-même.»
L’existence de Božena Němcová a été une suite de voyages et de conflits. Les rares moments de bonheurs alternaient avec les périodes des soucis matériels, des maladies, des conflits conjugaux. Mais elle a su tirer du bien de tous les avatars de son existence, elle était avide de connaître les gens, les réalités et la culture de toutes les régions où son mari a été muté, et elle est devenue une grande collectionneuse et interprète de la culture verbale populaire. Tout cela se reflète dans ses écrits, ses contes, ses articles pour les journaux et avant tout dans sa correspondance qui, avec les années, prenait de plus en plus d’importance pour elle car c’était le miroir de sa vie intérieure.
«On a commencé à réunir les lettres de Božena Němcová bientôt après sa mort. On savait déjà que c’était un véritable trésor. Beaucoup de lettres ont été sauvées par Dora, la fille de la romancière. On a commencé à les publier massivement au début du XXe siècle. En ce temps-là dans la société tchèque il n’y avait plus de préjugés contre une femme qui n’était pas conformiste et qui vivait un peu à la façon de la bohème. Bien qu’elle se soit occupée de ses enfants de façon exemplaire et qu’elle ait su entretenir des rapports sérieux avec de diverses personnes, dans la vie personnelle elle nouait des amitiés intimes avec les hommes qui l’inspiraient intellectuellement. Le XIXe siècle aurait été encore scandalisé par cela, le XXe siècle l’admirait.
Quand on lit aujourd’hui les lettres du troisième tome de sa correspondance, on se dit que si Božena Němcová continué à écrire la littérature de fiction, cela aurait été quelque chose de fantastique, d’admirable. Cela aurait été un monde tout à fait différent de ses écrit précédents, très différent de son chef d’oeuvre « Grand’mère », de son conte « Bára la sauvage » et de ses contes de fées. Cela aurait été un monde très moderne. Malheureusement, cela ne s’est pas fait. On ne peut pas dire que ses lettres remplacent cette création littéraire, mais elles témoignent de sa capacité de saisir le monde d’une façon très rationnelle, responsable et dramatique.»
Parmi toutes ces lettres, il y en a une qui continue à impressionner et fasciner le lecteur malgré la distance dans le temps qui nous sépare du jour où elle a été écrite:«C’est une très très longue lettre de seize pages. Elle l’a écrite le jour où l’on s’attendait à l’arrivée d’une comète qui devait balayer Prague et même détruire le monde. Elle ne le croyait pas mais cette psychose des foules la touchait quand même d’une certaine façon. Et quand elle s’est déjà mise à écrire, elle s’y est mise sans réserve, profondément, exceptionnellement. Nous vivons parfois de telles expériences exceptionnelles quand nous arrivons à plonger dans monde personnel. Et le monde de Božena Němcová était le monde exprimé pour qu’on puisse le partager, elle était grande par la façon dont elle savait communier et se partager.»