Une cérémonie des Lions tchèques très politique cette année

Zuzana Kronerová et Pavel Nový - Ice Mother (Bába z ledu), photo: ČTK

Samedi soir, la cérémonie des Lions tchèques qui, tous les ans, distingue les productions cinématographiques de l’année passée, a vu la consécration de la coproduction tchéco-slovaco-française, Ice Mother (Bába z ledu) de Bohdan Sláma. Et tout comme les récents Oscars à Hollywood ont été plus que jamais politiques en ces temps marqués par la campagne #metoo, l’équivalent tchèque de ce rendez-vous solennel du cinéma a aussi été, peut-être pour la première fois, l’occasion pour nombre de personnalités d’en faire une tribune.

Jan Svěrák,  photo: ČTK
A Hollywood, on a désormais l’habitude que les Oscars soient l’occasion rêvée de dénoncer des injustices ou de promouvoir de grandes causes. Si certaines cérémonies dans le passé ont été plus consensuelles, on se rappellera par exemple en 2003, de Michael Moore dénonçant l’intervention américaine en Irak, du ras-le-bol de la communauté noire en 2016 face à des Oscars trop « blancs », de l’atmosphère anti- Trump de l’édition 2017, ou cette année évidemment, d’une soirée montrant qu’on était bel et bien entrés dans l’ère post-Weinstein.

En République tchèque, les Lions tchèques ont rarement été politisés, les Oscars locaux se contentant de remplir leur rôle d’autocongratulation du milieu du cinéma, parsemant çà et là les bons mots ou une allusion quelconque au monde qui les entoure, mais sans plus. Cette année aura été, à cet égard, plus marquante.

C’est au cinéaste tchèque Jan Svěrák (d’ailleurs oscarisé en 1997 pour son film Kolya) qu’il est revenu de secouer les troupes, invitant les participants, avant la cérémonie, à signer une pétition pour défendre l’indépendance de la Télévision publique tchèque, et de médias publics en général. 370 personnes environ ont apposé leur signature à la suite d’un texte qui réagissait directement au discours d’investiture du président réélu Miloš Zeman, particulièrement remonté contre les journalistes, notamment de la Télévision publique.

Olga Sommerová,  photo: ČTK
Olga Sommerová, récompensée samedi, pour son documentaire consacré à la chanteuse lyrique Soňa Červená, en a d’ailleurs profité pour enfoncer le clou :

« Cette cérémonie est retransmise par la Télévision tchèque, qui n’appartient à aucun oligarque, mais à nous, les citoyens. »

Hors podium, elle a d’ailleurs réitéré que son portrait de Soňa Červená n’est pas seulement sur la vie de la cantatrice, mais l’histoire du pays, marquée par deux régimes totalitaires :

« Je suis heureuse que mes collègues académiciens aient apprécié que je parle ainsi de notre pays, l’ancienne Tchécoslovaquie, et qui va devoir désormais lutter pour rester démocratique. Nous le savons tous, n’est-ce pas ? »

Zuzana Kronerová et Pavel Nový,  photo: ČTK
La présence de nombreux acteurs et intervenants slovaques a été aussi l’occasion de rendre hommage au journaliste d’investigation Ján Kuciak, récemment assassiné en Slovaquie, dans un terrible écho aux incessantes piques anti-journalistes du président tchèque que cet événement ne semble avoir guère secoué. Distinguée par le prix de la Meilleure interprète féminine, pour le film Ice Mother, l’actrice slovaque Zuzana Kronerová y est allée de son appel à défendre les valeurs démocratiques :

« Aujourd’hui je suis heureuse. Mais je suis aussi triste, inquiète, je dirais même furieuse, quand je vois ce qui se passe en Slovaquie. S’il vous plaît, ne permettez pas de telles choses en Tchéquie. Ne permettez pas que l’arrogance du pouvoir se moque de nous et fasse obstacle à la démocratie et à la liberté. Croisons ensemble les doigts pour les gens bien, qu’ils soient en Bohême, en Moravie ou en Slovaquie. »

Grand vainqueur de la cérémonie, le film Ice Mother a raflé six statuettes sur ses quinze nominations et ce, dans les catégories les plus prestigieuses : meilleur film, meilleur scénario, meilleur réalisateur, meilleur interprète masculin, meilleure interprète féminine donc, meilleur second rôle féminin.

Bohdan Sláma,  photo: ČTK
Bohdan Sláma, le réalisateur, est un des cinéastes les plus remarqués du cinéma tchèque actuel, ses films rencontrant une reconnaissance certaine à l’étranger. D’aucuns comparent parfois son langage à celui de Jiří Menzel, grande figure de la nouvelle vague tchécoslovaque, pour son talent d’observateur de la vie et sa capacité à la retranscrire sur grand écran. Ice Mother a d’ailleurs été distribué en France aussi et y a récolté de jolies critiques comme celle de Télérama, parlant d’un « beau film sensible sur la difficulté de (dé)nouer les liens du cœur et les liens du sang, (qui) surprend jusqu’au bout. »

A défaut de films réellement engagés politiquement, c’est donc cette année, sur la scène du Rudolfinum que la politique s’est invitée à l’occasion du 25e anniversaire de ces Oscars tchèques.