Une collaboration contre-nature

Monseigneur Frantisek Tomasek
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Dans quelques mois, une commission spéciale, formée d'ecclésiastiques et d'archivistes, devrait rendre public les premiers résultats de ses recherches sur la collaboration de prêtres avec la StB, police secrète de l'ex-Tchécoslovaquie communiste. Le partenariat contre-nature catholicisme-régime communiste a-t-il eu un impact sur les relations entre l'Eglise et la population après 1989 ?

«Paix sur la Terre». C'est le nom, moins candide qu'il n'y paraît, donné au groupe de prêtres employé au service du régime communiste tchécoslovaque à partir de 1971. Sa création donne le départ à la reprise en main de l'Eglise par le pouvoir, après une brève période de relâchement.

L'appellation du Mouvement, «Pacem in Terris», n'est pas choisi au hasard et résonne comme un crochet ironique au Saint-Siège. C'est le nom de l'encyclique qu'avait publié le pape Jean XXIII huit ans plus tôt, en 1963.

L'instrumentalisation de ce groupe apparaît au grand jour avec l'affaire des «euromissiles». Rappelons les faits. Fin 1977 : les Russes commencent à déployer, sur leur territoire, des bases de lancements de SS-20, des missiles balistiques d'une portée de 3 500 km. En 1979, les Soviétiques sont sur le point d'atteindre leur objectif : la constitution de 3 600 objectifs sélectionnés en Europe occidentale. La même année, l'OTAN réagit et décide l'adoption d'un plan prévoyant l'installation de 108 fusées Pershing II en Allemagne fédérale et de 460 fusées en Grande-Bretagne. L'affaire ne s'apaisera qu'avec l'arrivée de Gorbatchev au pouvoir en 1985.

Le 21 janvier 1983, s'ouvre, au Palais de la Culture de Prague, «l'Assemblée mondiale pour la vie et la paix et contre la guerre nucléaire». Seuls sont autorisés à participer au Congrès les mouvements pacifistes officiellement reconnus. Il s'agit en fait de fustiger l'OTAN comme fauteuse de guerre. Le régime sort alors son joker catholique, censé légitimer les intentions évangéliques du Kremlin.

L'évêque Josef Vrana, administrateur apostolique d'Olomouc et l'un des leaders de Pacem in Terris, apporte immédiatement son soutien au projet russe d'installation des missiles. L'Association publie également un texte de Monseigneur Gabris, administrateur de Trnava en Slovaquie, justifiant l'initiative soviétique. Le document se révélera être un faux, contre lequel protestera l'intéressé en personne !

Face à cette manipulation, les membres des Eglises clandestines réagissent. Des catholiques écrivent à l'association ecclésiastique officielle, l'accusant d'opter pour les intérêts du pouvoir, au détriment de celui des fidèles. En décembre 1983, le Synode de l'Eglise protestante, avec Jan Keller à sa tête, dénonce le projet nucléaire soviétique. Il faut dire que sous l'influence de la Pologne voisine et face à la répression du régime, l'«Eglise réelle» sort de sa réserve.

L'archevêque de Prague, Monseigneur Tomasek, condamne Pacem in Terris et réclame plus de liberté. Le régime, de son côté, maintient la pression : en 1984, trois catholiques sont arrêtés en Slovaquie, accusés d'avoir rédigé une pétition en faveur de la venue du pape Jean-Paul II en Tchécoslovaquie. L'association Pacem in Terris regroupe alors plus de la moitié des 3 200 prêtres officiant en Tchécoslovaquie. Les motivations de ses membres sont diverses. Certains sont attirés par les avantages matériels et le statut social. D'autres, moins nombreux, ont pu faire preuve de naïveté, séduits par le discours pacifiste de la propagande officielle.

L'impopularité du mouvement a-t-il eu une influence sur la mauvaise image de l'Eglise, en Bohême surtout, depuis 1989 ? Au lendemain de la Révolution de velours, un Vaclav Maly, prêtre dissident, aura sans doute contribué à donner une aura de légitimité à l'Eglise. La population a su faire la part des choses et n'oublie pas le rôle actif de l'Eglise clandestine dans l'opposition au régime. Plus que l'existence de Pacem in Terris, ce sont deux phénomènes qui ont aggravé les relations entre l'Eglise et la nation tchèque, dans les années 90.

Le cardinal Miloslav Vlk
Les restitutions tout d'abord. En décembre 1994, à la demande de l'Eglise, la Cour de justice de Prague 1 décide de lui remettre l'ensemble des édifices religieux situés dans l'enceinte du Château de Prague. Parmi ceux-ci : la cathédrale Saint-Guy. Une partie de la population se mobilise. Une pétition recueille 12 000 signatures, parmi lesquelles celles de 107 députés. L'écrivain Lenka Prochazkova s'exprimera avec vigueur : « Pendant 650 ans, la cathédrale a été bâtie par les rois tchèques avec les deniers du peuple tchèque. Ce n'est pas pour qu'elle finisse dans les mains du Vatican! ». L'affaire n'est toujours pas classée aujourd'hui. Dernier rebondissement le 16 février dernier : la cathédrale Saint-Guy est revenue dans le giron de l'Etat, après un arrêté de la Cour Suprême annulant le verdict de la Cour d'Appel, qui avait statué, il y a un an, en faveur de l'Eglise.

Le malaise de l'Eglise tchèque remonte, quant à lui, aux années du communisme. Paradoxalement, il ne concerne pas que les prêtres «collaborateurs» mais ceux de l'Eglise clandestine, persécutée par le régime. Celle-ci comptait en son sein un petit groupe de prêtres mariés, ce qui est rigoureusement interdit par l'Eglise catholique. Ces prêtres avaient décidé de créer des structures parallèles et d'ordonner clandestinement leurs propres officiants. Rappelons qu'en 1972, on comptait 10 diocèses vacants sur 13 en Tchécoslovaquie !

Les prêtres avaient été mariés par l'intermédiaire de l'Eglise gréco-catholique, qui, comme l'Eglise orthodoxe, autorise le mariage des prêtres. Tous seront cependant mis à l'écart par le Vatican après 1989. Sur l'instigation du cardinal Vlk, certains de ces prêtres ont pu être ordonnés dans l'Eglise gréco-latine, comme en Slovaquie, à Banska Bystrica par exemple. Pour mémoire, le cardinal Vlk joue actuellement un rôle important dans la réévaluation de la collaboration de certains prêtres avec la StB, les anciens services secrets tchécoslovaques.

La polémique des prêtres mariés n'a sans doute pas pesé à long terme dans l'opinion publique tchèque. Elle rappelle plutôt les accusations de nicolaïsme, portées, au Moyen-Âge, contre les prêtres mariés. Plus encore que la collaboration de certains prêtres avec la StB, l'athéisme des Tchèques s'explique surtout par une histoire millénaire et complexe avec le catholicisme. Rappelons que les hussites furent les premiers, en Europe, à déposséder totalement l'Eglise catholique de ses biens.