Une école pour les écrivains en herbe

Comment devient-on écrivain ? Peut-on apprendre le métier d’écrivain dans un établissement spécial, dans un atelier, dans une école ? En Europe et notamment en France les réponses à ces questions ont été pendant longtemps négatives car on était convaincu que la création littéraire ne pouvait pas s’apprendre à l’école. Par contre, outre-Atlantique, on ne partageait pas cet avis. Aux Etats-Unis des ateliers d’écriture ont été créés pratiquement dans tous les départements de littérature des universités et ces ateliers sont souvent dirigés par des écrivains reconnus. Petit à petit le phénomène s’est diffusé aussi en Europe. Il y a dix ans un établissement de ce genre a été créé également en République tchèque. En mai 2011 l’Académie littéraire de Prague qui s’appelle aussi l’Ecole supérieure Josef Škvorecký a fêté son 10e anniversaire.

Josef Škvorecký
C’est le nom du romancier, traducteur, pédagogue et éditeur Josef Škvorecký, un des meilleurs écrivains tchèques, que porte cette école bien particulière dont l’existence a commencé il y a juste dix ans. Le sort de Josef Škvorecký est d’ailleurs typique pour les intellectuels tchèques la seconde moitié du XXe siècle. Dans les années 1960 l’écrivain a su garder une certaine liberté d’expression, malgré la censure communiste. Après l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968, il s’est cependant rendu compte que la littérature libre ne serait plus possible dans le pays occupé et s’est exilé avec sa femme Zdena Salivarová au Canada. C’est à Toronto qu’il a poursuivi son œuvre, c’est là qu’il est devenu enseignant d’université et c’est dans cette ville qu’il a fondé la maison d’édition « 68’ Publishers » pour pouvoir publier les œuvres des écrivains tchèques réduits au silence par le régime totalitaire.

L’Académie littéraire de Prague, qui porte le nom de Josef Škvorecký, est une école privée et payante. En présentant son établissement, son recteur Martin Štoll rappelle que l’Académie se trouve actuellement au seuil d’une période de changements :

Martin Štoll
« Notre école existe depuis dix ans et cela signifie que nous sommes une des écoles privées les plus anciennes de République tchèque. Je ne veux pas nous comparer aux universités d’Etat, mais dans le contexte des établissements privés nous avons atteint une certaine longévité, nous avons survécu à tous les changements. Evidement nous nous demandons quelle sera notre situation pendant les années marquées par le déclin démographique qui arrivent maintenant. 10 ans d’existence, c’est non seulement une occasion de faire le bilan mais aussi d’acheminer l’école vers l’avenir. »


Académie littéraire de Prague
Actuellement l’Académie propose aux étudiants six programmes d’études différents dont l’atelier d’écriture général, l’atelier de communication avec les médias, l’atelier de littérature documentaire et l’atelier de rédaction des textes. L’année dernière un changement important est intervenu dans les activités de l’Académie, changement que Martin Štoll qualifie de passation entre générations. Martin Štoll a succédé au professeur Petr Černoj au poste de recteur. Sous la nouvelle direction, l’établissement se propose de se présenter avant tout comme une école artistique :

« Ce n’était peut être pas évident dans le passé. Nous étions plutôt une école des sciences humaines avec des ambitions artistiques. Désormais nous nous considérons clairement comme une école artistique et nous cherchons à transformer dans ce sens les disciplines enseignées pour mettre l’accent sur la pratique. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que nous ayons supprimé les leçons de théorie et les activités de recherches. Nous sommes toujours un établissement de recherche artistique. »

Ivona Březinová
Et les changements se sont poursuivis aussi au cours de l’année 2011 lorsque la chef de la chaire d’écriture littéraire Ivona Březinová a décidé de quitter son poste et qu’il a fallu chercher une personnalité qui pourrait lui succéder. Martin Štoll retrace les riches activités d’Ivona Březinová qui resteront un chapitre important dans l’histoire de l’école :

« Ivona Březinová a fait pour notre école un travail de géant. C’est grâce à son travail de manager, à ses activités pour motiver les étudiants, à son énergie que toute une série de livres a été publiée par nos étudiants non seulement chez nous mais aussi dans d’autres maisons d’édition. Cependant, comme elle a décidé de réduire ses activités, nous avons été obligés de chercher son successeur. »

Radek Malý
En République tchèque il n’y a qu’une seule chaire d’écriture artistique. Selon Martin Štoll les candidats pour le poste vacant ne manquaient pas. Onze candidats à ce poste qui étaient tous des spécialistes de qualité ont été en lice. La chaire d’écriture artistique a été finalement confiée au poète et traducteur Radek Malý, lauréat du prix littéraire Magnesia Litera, qui vit actuellement dans la ville d’Olomouc, mais envisage de s’installer à Prague. Martin Štoll se félicite de ce choix :

« J’ai accueilli ce résultat avec beaucoup d’espoir parce que nous avons besoin pour cette discipline non seulement d’un homme dynamique, mais surtout d’un homme capable de créer une conception, un homme qui serait au courant aussi des tendances dans les écoles de ce genre dans le monde. C’est donc un symbole de changement. Nous avons beaucoup de respect pour la génération sortante, mais nous nous rendons compte qu’il faut aller de l’avant. Et ma tâche est d’agir en sorte que ces efforts se poursuivent, qu’ils ne s’arrêtent pas. »


Photo: stock.xchng
L’Académie littéraire de Prague est ouverte à tous ceux qui désirent devenir écrivains, qui aimeraient travailler à la télévision, à la radio et dans les médias en général, qui souhaitent créer une maison d’édition. Ceux qui aiment les célébrités ont l’occasion de rencontrer parmi les enseignants quelques uns des écrivains tchèques reconnus et lauréats de prix littéraires dont Radka Denemarková, Daniela Fischerová, Lucie Lomová, Petr Borkovec, Petr Čornej, David Jan Novotný, Július Gajdoš et autres. Ils sont là pour conseiller les adeptes de la littérature. Ces écrivains en herbe peuvent apprendre la technique de l’écriture, mais l’école ne peut pas leur donner le talent et l’inspiration, les deux ingrédients absolument nécessaires de la vraie littérature. Quand il n’y a pas de talent et de passion pour l’écriture, même les meilleurs pédagogues sont impuissants. Le directeur de l’Académie littéraire Martin Štoll s’en rend compte :

« La condition fondamentale de la création artistique est le besoin de créer. Quant on n’a pas besoin de créer, la création n’a pas de sens. Et c’est le problème auquel se heurtent les pédagogues de n’importe quelle école artistique. Ce n’est que de ce besoin de s’exprimer, de ce désir d’évoquer tous les amours inaccomplis etc., que sont nées les plus grandes œuvres. »