Une fois par année hongroise
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! On entend souvent dire « stane se to jednou za uherský rok » – ce qui signifie « cela arrive une fois par année hongroise ». Mais qu’est-ce donc qu’une année hongroise et quelle est sa durée ? Ce sont précisément les deux questions auxquelles nous allons tâcher de répondre...
Une petite précision lexicale s’impose tout d’abord. Les Tchèques disent en effet „jednou za uherský rok“ et non pas „jednou za maďarský rok“. Un peu d’histoire et de géographie nous aidera à mieux comprendre. Aujourd’hui, en tchèque, la Hongrie se dit Maďarsko. Et bien avant cette Hongrie a existé, jusqu’en 1918, le Royaume de Hongrie – lié a l’Empire d’Autriche depuis 1867, ce qui formait l’Empire d’Autriche-Hongrie, auquel appartenait également la République tchèque actuelle. Et ce Royaume de Hongrie, qui comprenait des bouts de territoires des actuelles Slovaquie, Roumanie, Ukraine, Croatie, Serbie, Slovénie ou encore Pologne, s’appelait alors Uhersko ou officiellement Uherské království.. Cette petite mise au point effectuée, venons-en à ce qui nous intrigue – à cet espace-temps indéfini, uherský rok, l’année de Uhersko ou l’année hongroise pour faire plus simple. Paradoxalement, cette année hongroise peut être plus longue qu’une année, mais elle peut aussi être plus courte qu’un mois, selon votre appréciation. En résumé, « jednou za uherský rok »– « une fois par année hongroise » signifie « pas souvent », voire « très rarement ». Mais bien entendu, chacun possède une appréciation très différente de ce que des notions de temps comme « souvent » ou « rarement » signifient.
Cherchons maintenant à découvrir pourquoi les Tchèques emploient cette expression. Selon certaines sources étymologiques, elle pourrait venir du XVIIe siècle, quand les soldats de l’Empire de Uhersko, bien misérables, attendaient leur paye une fois par an, paye qui arrivait donc une fois par « année hongroise »… Mais il existerait encore une autre explication selon laquelle la durée supposée du service militaire des soldats hongrois était d’un an, mais qu’elle était dans la réalité sans cesse prolongée et prolongée… Retenez donc l’explication qui vous convient le mieux, et pour la petite histoire, sachez encore que la fameuse paye de ces pauvres soldats hongrois arrivait parfois lors de „turecké Velikonoce“, soit pendant les Paques turques, c’est-à-dire donc jamais.
Reste la question de savoir : jak dlouhý je Uherský rok?– quelle est la durée de l’année hongroise? Une question qui se pose depuis plusieurs siècles. Par exemple, au début du XVIIe siècle, un certain Šimon Podolský écrivait „Uherský rok musí být prostě stejně dlouhý jako ten náš, jelikož i v Uhrách se právě píše rok 1617. Pokud by byl Uherský rok jinak dlouhý, museli bychom najít odchylku mezi letopočty.“– soit „L’année hongroise doit être aussi longue que la nôtre, puisque, en Hongrie aussi s’écrit l’année 1617. Si l’année hongroise était plus longue ou plus courte, alors on trouverait une différence dans le décompte des années“. Et il s’agit là en effet d’un constat logique et plein de bon sens. Mais ensuite, il y a eu l’Empereur d’Autriche, qui s’est moqué des Turcs en 1681, en disant : „ Turci? Ti nás napadnou tak možná za Uherský rok...„Les Turcs? Ils nous attaqueront peut-être dans une année hongroise…“. A la lecture de l’Histoire, il aurait peut-être tenu sa langue s’il avait lu Podolský. Toujours est-il que, l’attaque ayant eu lieu le 12 septembre 1683, on a évalué l’année hongroise longue de 721 jours exactement. Inutile de vous préciser que, malgré ces tentatives, les scientifiques ont fini par abandonner l’idée d’évaluer précisément l’espace-temps que représente uherský rok… Et que le convertisseur d’unité de temps que vous pouvez trouver sur Internet www.converter.cz/prevody/cas.htm précise bien, hors tableau, en indiquant : « Uherský rok je ustálené slovní spojení, které z fyzikálního hlediska nemá význam », soit « l’année hongroise est une expression, qui d’un point de vue physique n’a pas de sens ». Nous voilà donc fixés pour de bon.
Enfin, si vous voulez être plus Tchèque que les Tchèques, sachez également que vous pouvez utiliser un diminutif en –ák, adoré notamment des Pragois, et dire, au lieu de « jednou za uherský rok »– « jednou za uherák! » Et c’est sur cette astuce qui vous permettra de briller en société que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue », consacré à l’espace-temps indéfini qu’est une année hongroise. En attendant de vous retrouver la semaine prochaine, portez-vous donc du mieux possible – mějte se co nelíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !