Une Iranienne à Prague depuis plus de vingt ans (2e partie)
Suite de notre entretien avec la journaliste iranienne basée à Prague, Golnaz Esfandiari.
Comment êtes-vous passée des études de psychologie au journalisme ?
« J’ai toujours été intéressée par le journalisme. En fait je voulais faire des études de journalisme, mais plein de gens m’ont dit que ce n’était pas la peine parce que le journalisme s’apprend en travaillant. La psychologie m’intéressait aussi beaucoup, je voulais faire un doctorat mais c’était trop mal payé et je n’ai pas pu en fait. Et j’ai lu dans les journaux que Radio Free Europe ouvrait un service persan. Je leur ai envoyé mon CV et ils m’ont appelée... »
Les émissions en farsi de Radio Free Europe ont commencé en 1998. Ça s’appelait Radio Azadi (Liberté) et c’est devenu Radio Farda (Demain). Comment se sont passés vos débuts ?
« J’aimais beaucoup, j’ai appris plein de choses et je renouais les liens avec mon pays. C’était très intéressant pour moi et je comprenais mieux plein de choses que j’avais oubliées ou que je n’avais pas suivies pendant des années et là j’étais au centre, j’arrivais à parler à plein de gens tous les jours... »
Il faut préciser qu’aujourd’hui vous n’êtes plus dans la rédaction de Radio Farda, vous travaillez dans ce qu’on appelle la « central newsroom » de Radio Free Europe.
« Oui, mais je fais toujours des entretiens pour Radio Farda. Maintenant je fais des papiers en anglais pour notre site en anglais mais aussi pour nos 25 autres services qui les traduisent dans leur langue. Je fais surtout des papiers sur l’Iran. A cause de la crise en Iran, il se passe tous les jours quelque chose là-bas. »
C’est un travail assez particulier, parce que vous ne pouvez pas aller sur le terrain. Ça consiste donc à contacter des gens sur place ?« C’est ça, j’ai plein de contacts en Iran. Ils nous envoient des photos, des vidéos, des documents, et on fait beaucoup d’entretiens par téléphone. Et je voyage aussi, j’ai été en Afghanistan, je reviens de Washington... »
Radio Free Europe est parfois critiquée pour son manque de crédibilité ou son manque d’objectivité, parce qu’elle est financée par le Congrès américain. Après une dizaine d’années passées dans cette radio, que pensez-vous de ces critiques ?
« C’est vrai, on reçoit notre argent du Congrès américain mais on est vraiment indépendants. Je n’ai jamais reçu un coup de fil de quelqu’un du Congrès ou d’un de mes chefs me disant de faire ça ou de ne pas faire ça pour une raison politique, jamais. La différence entre nous et Voice of America c’est que eux couvrent l’actualité par rapport au point de vue du gouvernement américain. Nous non, on essaie de donner aux gens en Iran et dans les autres pays l’actualité qu’ils ne reçoivent pas. Par exemple, depuis le début de la crise il y a plein de gens qui meurent dans les prisons. Ce n’est pas quelque chose que vous entendez à la radio en Iran, mais nous on diffuse des entretiens avec les mères de ces gens, qui nous racontent comment ça s’est passé, comment était le corps de leur enfant. Il y a un jeune homme de 25 ans qui a été arrêté pendant une manifestation à Téhéran. Trois semaines après, ils ont demandé à sa famille de venir chercher le corps. Un de ses amis, qui a vu le corps, nous a dit qu’il avait été torturé. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez entendre à la radio iranienne ou à la télévision. »Comme tous les journalistes iraniens employés ici, vous ne pouvez retourner dans votre pays sous peine d’être harcelée ou même arrêtée. Est-ce d’autant plus dur en ce moment, depuis le début de cette crise ?
« C’est très dur pour nous. Pour tous les Iraniens. Mais c’est très dur de voir de loin toutes ces images tous les jours. J’aimerais beaucoup aller là-bas, chaque jour, chaque nuit. Mais je ne peux pas, mes collègues non plus. »
En revenant à Prague d’un court séjour à Téhéran l’année dernière, je me suis posé la question de savoir si le régime des mollahs iraniens pourrait tenir autant d’années, voire plus, que le régime communiste tchécoslovaque. Si je vous pose la question, qu’est-ce que vous me répondez ?
« Je ne sais pas. J’espère qu’un jour les Iraniens auront un régime démocratique, c’est ce qu’ils veulent et j’espère que ça va se passer très vite. J’espère qu’il n’y aura plus de morts, plus de tortures en Iran. »
Quels sont vos projets ? Voulez-vous rester à Prague ?
« Mes projets ne marchent jamais... Je ne sais pas, la vie m’emmène, on verra... »