Un roman initiatique de Gustav Meyrink

Gustav Meyrink

La fin du XXe siècle a apporté un regain d'intérêt pour les romans de Gustav Meyrink. On a réédité la majorité des oeuvres de cet écrivain germanophone et on les a traduites en français. Pourquoi cet intérêt pour un romancier considéré longtemps comme marginal. Pourquoi cette soif de la littérature fantastique? Comment était la vie de l'auteur du roman "Le Visage vert", cet homme original dont l'imagination a été modelée par Prague, ville des rêves? Je vais vous parler aujourd'hui de sa vie et de son roman.

"Je ne connais aucune autre ville au monde qui, comme Prague, invite aussi souvent par un étranger charme à rechercher les traces de son passé..." Ces paroles de Gustav Meyrink illustrent son rapport vis-à-vis de la capitale de Bohême. Pourtant il ne vient à Prague avec sa mère qu'en 1883, dans son adolescence, et quitte la ville quelque vingt ans plus tard, en 1904. Ces deux décennies joueront cependant un rôle décisif pour son orientation littéraire. Où qu'il soit par la suite, à Vienne, à Munich, à Starnberg, il n'échappera pas à la contagion pragoise, et cette ville reviendra comme un fantôme, encore bien des années après son départ, dans ses romans pragois, Le Golem et la Nuit de Walpurgis.

Né en 1868 à Vienne d'un père aristocrate et d'une actrice de la cour de Bavière, il connaît une jeunesse pleine de mouvements et de voyages. Son père, Carl Freiherr von Varnbühler, estime que Marie Mayer, la mère de Gustav, n'est pas digne de devenir son épouse et l'actrice est obligée donc de gagner sa vie dans divers théâtres et dans diverses villes. Ainsi le jeune Gustav, un enfant sans père, partage en quelque sorte la vie nomade, la carrière, les succès et les échecs artistiques de sa mère qui joue à Munich, à Hambourg, à Saint-Petersbourg, à Berlin et à .... Prague. Et c'est à Prague que la mère et le fils se séparent. La mère part pour jouer ailleurs et le fils délaissé se met à la haïr. Il n'en oublie pas pour autant de poursuivre ses études à l'Ecole de commerce et devient banquier. La firme Meyer et Morgenstern qu'il crée avec un associé n'est pas sans problèmes, car le banquier Meyer alias Meyrink n'est pas aimé par la société pragoise.

Vers la fin du 19ème siècle, Meyrink travaille dans des sociétés secrètes, étudie les sciences occultes et la parapsychologie. Il est co-fondateur et président de la Loge de l'Etoile bleue, société de théosophie. Il n'est pas encore romancier mais il est déjà un observateur perspicace et ironique du monde et un critique impitoyable de la médiocrité humaine. Et ceux qui sont visés par ses remarques ironiques ne pardonnent pas. "Ils le détestaient terriblement", écrira-t-il dans un conte autobiographique, "et lui, au lieu de chercher à atténuer cette haine et à se conformer aux idées courantes, il se tenait toujours à côté et apportait souvent quelque chose de nouveau."

La haine accumulée contre Meyrink n'attend qu'une impulsion pour éclater. En 1901 il est provoqué en duel et, presqu'en même temps, il est accusé d'escroquerie et écroué. Malheureusement, un banquier ne peut pas se permettre de telles folies. Bien qu'il soit finalement acquitté, bien qu'il soit innocent, sa réputation en est gravement compromise et ceux qu'il a osés critiquer ne lui permettent pas de reprendre sa place dans la société pragoise. Gustav renonce à sa carrière de financier et, au printemps de 1904, il quitte Prague. Une nouvelle vie s'ouvre devant lui, car il remporte les premiers succès littéraires. Le monde des finances le rejette, le monde des lettres va bientôt le porter aux nues. L'épisode pragois de son existence s'achève par un nouvel espoir. L'écrivain a trouvé sa vocation. Bientôt il écrira aussi le roman "Le Visage vert" qui est, comme d'ailleurs la majorité de ses oeuvres, une porte secrète vers la perception des phénomènes se trouvant au-delà de la réalité quotidienne, la descente dans les profondeurs inexplorées ...


Le roman Le Visage vert de Gustav Meyrink paraît en 1916 à Leipzig. Il est moins connu que le célèbre Golem, mais certains critiques le considèrent comme le chef d'oeuvre de son auteur. Alchimie, magie, kabbale, taoïsme, bouddhisme - Meyrink a abordé toutes ces doctrines et elles se reflètent dans toutes ses oeuvres. Le Visage vert raconte l'expérience spirituelle de l'ingénieur Hauberisser qui, grâce à des exercices spirituels fréquents, se retrouve à la charnière des deux mondes - le monde des humains vivant dans leur médiocrité et celui des esprits inaccessibles et fuyants. Il rencontre une jeune femme, Eva, et s'éprend d'elle, mais un jour elle disparaît. Lorsque, après un immense effort spirituel, il l'a fait revenir, le bonheur des amants réunis n'est que d'une courte durée. Un matin, Hauberisser se réveille et trouve Eva inanimée dans son lit. Au comble du désespoir et au bord du suicide il voit apparaître Chidher le Vert, personnage qui symbolise la quête des mondes secrets, le Juif errant, qui lui permet de passer de l'autre côté du miroir, de déceler la face cachée des choses. Cette scène donne à Meyrink l'occasion de décrire ce qu'il appelle l'inversion des lumières, l'opération magique qui modifie radicalement la perception de la vie des initiés.


Ici s'arrête mon invitation à la lecture du roman "Le Visage vert" de Gustav Meyrink. Je vous laisse le plaisir de découvrir la suite et la fin de cette histoire initiatique et j'espère que cette expérience vous donnera envie de lire aussi d'autres oeuvres de cet auteur.