Hommage à Lenka Reinerová (2è partie)
Le 27 juin dernier est décédée à Prague l’écrivaine Lenka Reinerová. En diffusant la suite d’un entretien qu’elle nous avait accordé l’année dernière, Radio Prague souhaite lui rendre hommage.
Lors de cette rencontre, elle a évoqué son séjour en France en 1939. Arrêtée à Paris avec un groupe d’intellectuels tchécoslovaques, Lenka Reinerová avait été envoyée dans un camp dans le Massif central, avant d’être transférée dans un autre au milieu du désert marocain. Après quelques mois de détention, elle réussit à s’enfuir et à rejoindre Casablanca d’où elle prit un bateau pour le Mexique. De retour à Prague après la guerre et un détour par la Yougoslavie, c’est au tour des communistes de l’enfermer. « J'étais déjà communiste avant la guerre - ce qui était mal vu à l'époque -, exilée à l'Ouest, juive, journaliste, et mariée à un Yougoslave. Cela faisait trop d'éléments contre moi », résumait-elle en souriant. On écoute donc Lenka Reinerová, à qui nous avons d’abord demandé ce que représentait pour elle d’être la « dernière écrivaine pragoise de langue allemande » :
« Je sais que c’est extraordinaire. Mais je ne pense pas que ce soit un mérite, c’est la vie qui l’a décidée pour moi... Cela s’est passé comme ça. Naturellement maintenant à mon grand âge je n’ai aucune raison de changer. J’écris aussi en tchèque de temps en temps, mais tous ceux qui travaillent avec une langue pendant de nombreuses années le savent probablement : elle devient comme un instrument. Si vous jouez du violon, vous connaissez tous les détails de cet instrument. C’est pareil avec la langue. Donc je n’ai aucune raison maintenant, à la fin de ma vie, de changer. »
Vous parlez parfaitement le français. Je sais que vous l’avez appris en France pendant votre exil, puis lors de votre incarcération. Pouvez-vous nous parler de cette période ?
« C’est un peu difficile vous savez. On m’a arrêtée en France au début de la guerre avec un groupe d’intellectuels tchèques. C’était la Drôle de guerre. Un jour à Paris, j’étais dans la prison pour femmes de la Petite Roquette qui n’existe plus. J’étais en isolement, j’ai demandé si on pouvait me donner un cahier et un stylo. Ils ont d’abord refusé en disant qu’il était interdit de correspondre, mais ils ont fini par accepter quand je leur ai dis que je voulais juste écrire. Deux jours après on m’a apporté un cahier et quelque chose pour écrire. Dans cette prison française, j’ai écrit en tchèque – je pensais que c’était une langue secrète, ce qui n’était pas nécessaire car j’écrivais un livre pour enfants – et ça m’a vraiment permis de tenir le coup. Enfin, il y a quelques années j’ai été invitée à un symposium sur l’immigration à Paris. J’ai dû leur dire – je ne pouvais pas dire autre chose – que j’avais vécu un peu plus d’une année en France, mais dont six mois en prison : un séjour pas tout à fait idéal...
Mais quand même j’aime Paris et j’espère que les choses vont aller en s’améliorant. Je sais que c’est difficile avec les jeunes issus de l’immigration. Et selon moi, il est inévitable de trouver une façon de bien vivre avec ces gens qui sont avant tout des citoyens français. »Vous parlez de mélange de cultures. Est-ce que la Prague d’aujourd’hui vous plaît autant que la Prague que vous avez connue entre-deux-guerres, où ce mélange culturelle était une richesse extraordinaire ? Est-ce que Prague vous plaît toujours autant ?
« Vous savez, je pense que c’est un peu malheureux. Avant la dernière guerre, ici à Prague et en Tchécoslovaquie – je suis d’ailleurs très triste que la Tchécoslovaquie n’existe plus, c’était beaucoup mieux – on était assez liés avec la France, et c’est la raison pour laquelle on a été terriblement choqué en 1938 par les Accords de Munich. Mon impression est que ça dure encore : l’amitié avec la France a perdu quelque chose. Les jeunes maintenant sont naturellement orientés vers la grande Amérique,( surtout pour la technique, toujours en langue anglaise). Je pense que c’est dommage. Espérons que cela va changer avec le temps. »
Est-ce que vous aimez toujours vous promener dans les rues de Prague ?
« Je sens avec une intensité particulière l’atmosphère de Prague. Je suis très heureuse que cette ville n’ait pas souffert comme les autres grandes villes d’Europe pendant la guerre. Toutes les choses sont là, donc il existe ici une certaine continuité, c’est ce que je sens vraiment. Parce que la ville est telle qu’elle était – elle est naturellement en développement, mais plutôt dans les banlieues – je sens à Prague une certaine intimité, que je ne sens pas dans les très grandes villes comme Londres, Paris ou Berlin. Ici je sens ça. Prague est une métropole, mais une petite métropole. Ça a un certain charme. »