Une solide tradition bancaire

0:00
/
0:00

La crise financière actuelle a pour l’instant épargné les banques tchèques. Il faut dire que ce n’est pas la première fois que celles-ci font face à une crise importante. Dans les années 20 et 30, les Tchèques feront d’ailleurs preuve d’une véritable maîtrise monétariste face à la conjoncture. Retour, aujourd’hui, sur la tradition bancaire tchèque.

Jaroslav Preiss
Il faut remonter à la fin du XIXe siècle pour voir le secteur bancaire endosser, à Prague comme à Vienne, le rôle qu’on lui connaît aujourd’hui. A partir de 1895, les banques poussent comme des champignons en Bohême, à tel point qu’à la veille du premier conflit mondial, on ne compte pas moins de quinze banques par action et d’une vingtaine de filiales.

Les activités industrielles étant déjà gérées par les banques allemandes, c’est vers les autres centres de la monarchie que les banques tchèques développent leurs activités. Lors de la création de la Tchécoslovaquie en 1918, les banques tchèques disposent donc déjà d’un réseau serré de filiales, de la Galicie jusqu’à l’Europe balkanique. Mais d’autres atouts permettent alors de penser que Prague va supplanter Vienne dans le rôle de centre bancaire en Europe centrale.

Appartenant au camp des vainqueurs, la Tchécoslovaquie échappe aux lourdes réparations qui touchent l’Autriche. Bien plus, le pays bénéficie des réseaux bancaires et des grands groupes industriels de l’Autriche-Hongrie, partagés entre les pays successeurs. L’ingénieux Jaroslav Preiss, à la tête de la Maffia économique, avait engagé les banques tchèques à liquider leurs avoirs en emprunts de guerre. Mais au lendemain du conflit, les milliards de couronnes austro-hongroises qui circulent en Tchécoslovaquie menacent le pays d’une grave inflation. Afin d’y parer, on décide l’estampillage des billets, une mesure d’urgence suivie du meilleur des boucliers possibles : la création d’une monnaie nationale.

La couronne tchécoslovaque bénéficie, dès sa naissance, en avril 1919, d’un cours favorable, le régime politique et l’industrie florissante donnant des gages de stabilité. Est-ce ce qui poussera le ministre des Finances, Alois Rašín, à entreprendre la revalorisation de la couronne au début des années 20 ? Le prestige national est pourtant d’un faible avantage comparé aux conséquences néfastes d’une telle décision : le taux de la couronne monte, les exportations baissent car les prix sont moins compétitifs et au final, les entreprises connaissent une véritable crise. Un engrenage qui n’est pas sans évoquer les préoccupations actuelles des entrepreneurs tchèques ! Cette politique de déflation sera rapidement abandonnée et la couronne tchécoslovaque connaîtra une grande stabilité dans les années. Quant à la Tchécoslovaquie, elle s’impose comme un îlot de prospérité en Europe centrale dans les années vingt.

La suite est moins idyllique : la crise financière américaine de 1929 touche le pays de plein fouet à partir de 1931. Une deuxième dévaluation de la couronne permet cependant une reprise dès 1935. Mais c’est à une crise plus vaste qu’est bientôt confrontée l’économie tchèque : celle de la guerre, qui commence en 1939 et inaugure, pour soixante ans, une mise en sourdine de toute économie nationale… et de débuts prometteurs.

L'économie tchèque est littéralement pillée par l’occupant, qui profite d’un potentiel indispensable à sa machine de guerre. Le cours de la couronne, fixé à un Reichsmark pour dix couronnes, permet aux Allemands d’acquérir facilement les entreprises tchèques. Sans parler des lois d’aryanisation, qui voient les Juifs « légalement » dépossédés de leurs entreprises. A partir de 1943, les banques tchèques sont intégrées à des groupes bancaires allemands ou supprimées, exception faite de la Živnostenská Banka.

Deuxième dictature et deuxième mise sous scellés de l’économie tchèque : sous le communisme, banques et assurances sont nationalisées, comme le reste des grands et petits commerces. Le savoir-faire bancaire, qui avant guerre, avait démontré inventivité et vitalité en Tchécoslovaquie, n’a plus de raison d’être. Simple outil comptable de l’Etat, les banques mettent à la disposition des entreprises les sommes prévues par le Plan. Le réseau des caisses d’épargne, couvrant autrefois le pays en un maillon serré, est réduit à peau de chagrin. Quant au siège central de l’ancienne Caisse d’Epargne, il abrite un musée ouvrier dédié au président Parti, Klement Gottwald.

La crise économique qui touche la Tchécoslovaquie à partir de 1962 se retournera contre le régime, contribuant à sa déstabilisation durant la décennie. Si la réforme économique décidée par le Parti reste prudente, le besoin de devises pousse le pays à s’ouvrir au tourisme. Conséquences : les Pragois évaluent le coût de la vie en fonction du Deutsche Mark ouest-allemand et non selon le cours officiel, décidé par Moscou. Le Printemps de Prague, c’est aussi ce retour, pendant un moment, à la réalité économique de l’ouest, aussi filtrée fut-elle.

Après la chute du communisme, les banques font leur réapparition en Tchécoslovaquie et renouent avec une tradition solide et séculaire. Ceci participe sans doute à la sérénité affichée par les acteurs du secteur bancaire face à la crise actuelle.