Une vieille station d’épuration, bijou de l’architecture industrielle, fête ses 101 ans
Située dans le quartier de Bubeneč, dans le sixième arrondissement de Prague, la Vieille station d’épuration des eaux usées est un joyau de l’architecture industrielle. Propriété de la ville de Prague, mais géré par la société Továrna, qui s’occupe de biens immobiliers industriels, l’édifice fête cette année son 101e anniversaire. Cette station d’épuration mécanique a joué un grand rôle dans les premiers temps du traitement des eaux usées de la ville. L’historienne de l’architecture Šárka Jiroušková nous a offert une petite visite de ce site industriel exceptionnel. Reportage.
L’idée de mettre en place un nouveau réseau des traitements des eaux usées dans la capitale a germé dès la fin du XIXe siècle. En 1884, la municipalité de la ville de Prague lance un concours pour sa construction, et ce n’est qu’après plusieurs ébauches de plan infructueuses de la part de différents ingénieurs tchèques, que le projet de construction est confié à William Heerlein Lindley. Ce célèbre ingénieur britannique, qui avait déjà participé par le passé à la réalisation de projets d’approvisionnement en eau et de systèmes d’évacuation des eaux usées dans plusieurs villes européennes, comme Francfort ou Varsovie, a décidé d’utiliser certains éléments des projets précédents de ses collègues ingénieurs tchèques. A propos de la Vieille station d’épuration, l’historienne d’architecture Šárka Jiroušková précise :
« La station faisait partie du réseaux des canalisations de Prague. Le système de gestion des eaux usées a été construit à la fin du XIXe siècle et la station, en tant que dernier élément du système, a été édifiée entre 1901 et 1906. A partir de 1906 et jusqu’à 1967, toutes les eaux usées de la ville étaient acheminées vers la station pour être traitées. »
Seule station d’épuration mécanique préservée en Europe
A l’époque, la ville de Prague comptait près de 400 000 habitants, et le système de canalisations devait irriguer vers la station d’épuration près de 400 litres d’eau par seconde. Lorsque William Lindley a quitté Prague en 1909, la station traitait plus de 700 litres d’eau par seconde pour plus de 550 000 habitants. Šárka Jiroušková poursuit :« La station est unique en son genre, car toutes les choses que vous pouvez voir ici ont été conservées dans l’état où elles étaient en 1906, et ce notamment en raison du fait qu’il n’était pas possible d’élargir et de moderniser le fonctionnement de la station, face à la croissance progressive de la capitale. C’est pourquoi une seconde station a dû être construite en face, sur l’île impériale, et qui est toujours en marche depuis 1967. On a continué à utiliser les réservoirs de décantation dans la Vieille station pendant une dizaine d’années encore, mais rien n’y était plus transformé, contrairement à d’autres stations. C’est une des raisons pour laquelle il s’agit de la seule station d’épuration mécanique ainsi préservée en Europe. Nous avons déposé une demande auprès de l’organisation qui gère la liste indicative des monuments culturels afin de pouvoir faire partie de l’Unesco. Nous voulons savoir à titre de comparaison ce qu’il en est à l’échelle mondiale. »
On ne vous dévoilera pas tous les mystères de l’évolution du mécanisme d’assainissement des eaux usées, mais ce qui est certain c’est que la technique mécanique de la station était une des plus innovantes de l´époque. De nos jours, le système de chaufferie, créant de la vapeur pour mettre en marche les machines nécessaires à l’épuration, est le seul système de ce type conservé en République tchèque. Šárka Jiroušková dévoile à ce propos :« Nous lançons les machines quatre fois par an et ce à l’occasion de différents évènements qui durent toute la journée. La visite comprend une explication détaillée et amusante du fonctionnement des machines de la part de notre mécanicien. Récemment, cela a été à l’occasion de la Journée de l’eau le 25 mars dernier. Sinon, la démonstration a lieu lors de la Journée du sport au mois de juin, lors des Journées européennes du patrimoine en septembre et traditionnellement lors de la fête de la Saint-Nicolas. »
Point d’ancrage de la Route européenne du patrimoine industriel
Chaque année, le 6 décembre, les passages souterrains se transforment en enfer, où des diables attendent les visiteurs. Mais la station offre d’autres activités tout au long de l’année, telles que l’escalade de l’une des deux cheminés, des virées en raft dans les canalisations souterraines ainsi que des programmes éducatifs pour les écoles. Des visites sont prévues trois fois par jour, et même des visites nocturnes sur réservation préalable. L’historienne de l’architecture révèle notamment :
« La station est classée monument culturel depuis 2010 et elle est devenue depuis 2016 le point d’ancrage de la Route européenne du patrimoine industriel (ERIH). Il s’agit d’un réseau européen virtuel touristique qui réunit d’importants sites du patrimoine industriel en Europe. A l’heure actuelle, on sait que la Vieille station d’épuration des eaux usées est le seul monument de ce genre en Europe. Mis à part cela, elle remplit également les conditions de cette organisation pour ce qui est de l’accueil des touristes, on y trouve la cafétéria Továrna et les visites guidées sont aussi en anglais. »Des lieux industriels exceptionnels qui attirent tant les visiteurs que les équipes de tournage
A l’occasion du 100e anniversaire de la Vieille station célébré en 2016, son administrateur, la société Továrna a sorti une publication très détaillée, parue aussi en anglais, sur la riche histoire du lieu. D’ailleurs, petite curiosité, il est également possible de louer les locaux de la station, pour organiser différents évènements, comme des fêtes privées ou des expositions et même des tournages de films, comme nous le dévoile Šárka Jiroušková :
« Parmi les films qui ont été tournés ici, on peut citer parmi les plus connus Šakalí léta, Les Années du chacal en français, ou aussi Mission Impossible avec Tom Cruise. Récemment, on y a tourné les séries tchèques Neviditelní (Les Invisibles) ou Mattoni, et même une publicité étrangère pour une laiterie, dans laquelle on voit très bien les lieux. Donc les tournages y sont fréquents et d’ailleurs ils représentent une source de revenu. Sans eux, la fréquentation des visiteurs ne suffirait pas à entretenir le lieu. »
Les labyrinthes du monde souterrain de Prague
Long de 90 km lors de son ouverture à la fin du XIXe siècle, le réseau de canalisations de la ville de Prague mesure à l’heure actuelle 2 400 km. Et les labyrinthes de canaux façonnés avec des briques rouges, que l’on peut voir dans la Vieille station, sont les mêmes que ceux situés sous l’ensemble de la capitale tchèque. A propos de ce monde souterrain, Šárka Jiroušková développe :« C’était comme un détecteur de vie. C’est ici que l’on voyait absolument tout ce que les gens faisaient du matin au soir. Deux guerres mondiales ont travec/praha/stara_cistirna_bubenec/cistirna_letecky_pohledrsé ces canaux souterrains. Mais si vous voulez voir la canalisation pragoise utilisée actuellement, la société des Conduites d’eau et canalisations de Prague (Pražské vodovody a kanalizace) rend accessible de temps à autre, ce que l’on appelle, « le confluent des trois égouts » situé sous la mairie de la Vieille-Ville. L’accès à ce lieu a été rendu possible pour montrer justement aux visiteurs étrangers la modernité des canalisations de la ville, qui se trouvaient au début du XXe siècle à un niveau des plus élevés en Europe. »
Sachant que le travail à la station était par le passé parfois très difficile, une nouvelle idée de projet passionnant devrait bientôt voir le jour. On a demandé aux quatre derniers anciens employés de la Vieille station qui y travaillaient avant sa fermeture dans les années 1960, de livrer leur témoignage dans un documentaire, lequel sera projeté lors des visites guidées. Ces témoignages complèteront l’ensemble exceptionnel de photos conservées sur des négatifs sur plaque de verre retraçant les étapes de la construction de la station au début du XXe siècle.
Une nouvelle station d’épuration prévue pour le mois d’août 2018
Toutefois s’il est difficile d’arrêter la croissance d’une ville, il est nécessaire de satisfaire la mise en place de nouveaux processus biologiques et de nouvelles technologies plus élaborées pour le traitement des eaux usées. Šárka Jiroušková conclut :« En 1967, c’est une nouvelle station, appelée Station centrale des eaux usées, qui a pris le relais. Les grues que l’on peut voir à côté et en face délimitent le lieu où sera bientôt construite une toute nouvelle station, ce qui marque une nouvelle étape dans le traitement des eaux. Donc cette zone du quartier de Bubeneč et de l’île impériale, le Císařský ostrov, commence à devenir une zone exceptionnelle en ce qui concerne le développement des stations d’épuration des eaux résiduaires urbaines. »
La ville de Prague a décidé d’investir près de trois milliards de couronnes, environ 108 millions d’euros, dans la construction d’une nouvelle station d’épuration à quelques mètres des deux précédentes, dont les travaux devraient s’achever au mois d’août 2018.
Terminons par préciser néanmoins que si William Lindley a participé au projet de la première station d’épuration à Prague en tant qu’ingénieur, et que la construction du site fut confiée à un certain Quido Bělský, l’historienne Šárka Jiroušková révèle que, malgré les investigations continues et acharnées de différentes équipes depuis de nombreuses années, le nom même de l’architecte de la Vieille station d’épuration de Prague reste quant à lui toujours inconnu.