Václav Havel (*5.10.1936 - †18.12.2011)
Dernier président tchécoslovaque. Dissident de toujours. Premier président tchèque. Héros de la révolution de velours. Dramaturge. Réalisateur. Philosophe. Les attributs ne manquent pas pour désigner Václav Havel, disparu dimanche matin, 2011, à l’âge de 75 ans. Il n’y a sans doute que l’ordre chronologique pour classer l’inclassable. Car Václav Havel était tout cela à la fois et n’a jamais dissocié aucune de ses fonctions.
A l’heure du souvenir sur une vie aussi pleine que celle de Václav Havel, difficile de faire le tri. « Premier président surréaliste au monde », pour paraphraser Arthur Miller, Václav Havel a endossé ce rôle un peu par hasard, sans jamais vraiment l’avoir voulu, parfois engoncé dans des habits trop grands pour lui, et pourtant il l’a assumé avec la même constance que lorsqu’il croupissait dans les prisons communistes. Jan Sokol, philosophe, ancien dissident proche de Václav Havel, candidat malheureux à sa succession en 2003, se souvient :
« Pour lui, ça avait été une grande surprise, une chose qu’il n’a pas acceptée avec un cœur léger. Je me souviens toujours du mot de Platon selon lequel au pouvoir il faut des gens qui ne veulent pas gouverner. C’est exactement le cas de Havel. Il a toujours, pendant toute sa présidence, beaucoup réfléchi sur lui-même. Il a fait beaucoup de choses pour éviter de devenir un politicien professionnel. Il a toujours douté de lui-même. Parmi ses amis, parfois, il faisait une mine, comme s’il avait honte d’être au pouvoir. »
Constance, mais aussi droiture, fidélité à des idéaux de vérité et de morale, il est aujourd’hui peu d’hommes, encore moins politiques, qui peuvent se targuer d’être les porteurs de telles valeurs. Encore moins lorsque l’on combine ces qualités à un sens de l’humour et de l’ironie bien ancré et délicieusement rafraîchissant. Jan Sokol :
« Il est toujours resté un homme. C’était délicieux de le voir dans une négociation importante, lors de sa présidence. Il s’est toujours adressé à ses partenaires d’une façon tellement amicale, avec de l’humour même. C’est ce qui a fait son succès : pas seulement les grande paroles qu’il maîtrisait, mais aussi cette attitude amicale, avec un léger sourire… Son autorité a toujours consisté dans le fait qu’il ne s’imposait jamais. »
Václav Havel, un homme qui ne s’imposait jamais, et pourtant, le vide que sa mort laisse derrière lui en dit long sur le poids symbolique qu’il représentait. Fils d’une grande famille de la bourgeoisie tchèque devenue indésirable au moment du putsch communiste, il grandit sous le communisme, empêché, comme tant d’autres, de suivre les études qu’il souhaitait.
Dramaturge, il le devient en travaillant comme machiniste au Théâtre Na Zábradlí (Théâtre de la Balustrade) à Prague. Il commence à écrire ses pièces inspirées par l’absurde, aussi bien kafkaïen que beckettien. Une œuvre qui peu à peu devient un positionnement politique face au régime communiste qui veut le faire taire. En 2005, Stéphane Gailly, de l'Université de Paris XII, évoquait suite à un colloque à Bordeaux sur l’œuvre de Havel, son engagement politique et artistique :
« Tout ceci est très lié. Quand on parle d'engagement politique dans le théâtre de Havel, c'est, à mon avis, pratiquement un abus de langage. Havel utilise plutôt le terme, même pas d'engagement, mais de démarche civique plus que politique. Et si je mets en parallèle les deux, c'est parce que tout ceci est porté par l'idée de base, à savoir qu'il y a une valeur qui est au-dessus de tout, et c'est la morale, tout simplement. Et c'est la même morale qui conduit le discours politique de Havel et sa manière d'écrire, de penser l'identité de l'homme qui est au cœur du sujet de toutes ses pièces. »
Epoque des seventies : alors que dans le reste du monde on célèbre le « flower power », en Tchécoslovaquie, comme dans le reste du bloc communiste, les hippies aux cheveux longs sont poursuivis, le rock qui fait fureur à l’ouest du rideau de fer doit se cacher ou alors, lorsqu’il s’exprime, il est sévèrement réprimé. C’est le procès du groupe mythique Plastic People of the Universe qui décide Václav Havel et plusieurs autres personnalités à réagir : neuf ans après l’écrasement du Printemps de Prague, naît la Charte 77, premier manifeste de la dissidence tchécoslovaque.
Václav Havel, l’intellectuel, sait reconnaître dans l’underground musical un terreau fertile d’idées libres. Il est aussi un ami de Lou Reed, icône du Velvet underground vénéré des musiciens tchèques. Jiří Smetana producteur et programmateur musical de la principale scène rock parisienne, le Gibus, dans les années 1970, évoque cette rencontre :
« En février 1990, Lou Reed est venu à Prague, pas en tant que musicien mais parce qu’il voulait écrire un article pour le magazine Rolling Stone sur Václav Havel. Il avait appris que Václav Havel avait été en prison avant 1989 et qu’il avait écouté sa musique quand il était pour la première fois – et l’unique fois – aux Etats-Unis en 1968 ; il avait acheté un disque des Velvet Underground. Lou Reed était touché par cette histoire. Il est donc venu à Prague faire une interview avec Václav Havel. Et Havel lui a demandé s’il pouvait donner un concert pour lui. Lou Reed a répondu qu’il n’avait pas ses instruments avec lui, mais Havel lui a dit qu’il connaissait un groupe à Prague qui était composé de ses amis et qui s’appelait le Velvet Underground Revival. Il a ajouté qu’ils jouaient le répertoire de son ancien groupe et que ce serait un immense honneur pour eux de pouvoir accompagner Lou Reed. Alors, le soir même, Lou Reed a joué avec le Velvet Underground Revival dans une galerie dans le centre de Prague et il a été très impressionné par le fait que le groupe connaissait toutes ses chansons. C’était en 1990 et le Velvet Underground avait joué pour la dernière fois en 1969. Lou Reed n’avait pas joué pendant 21 ans avec le Velvet Underground mais à l’issue du concert, il a dit que c’était incroyable, qu’il se sentait comme s’il avait retrouvé son ancien groupe. Il était très impressionné. »
Václav Havel était allé à New York en 1968 et avait rapporté le disque des Velvet. Comme le souligne Jiří Smetana, c’est peut-être lui qui a prêté son disque pour qu’il soit copié sur des bandes enregistrées. Et donc c’est peut-être lui le précurseur du mythe du Velvet Underground à Prague dans les cercles rock.
Havel, ami des rockers et des présidents. Lors de sa présidence dans les années 1990, le Château de Prague accueillera de manière naturelle aussi bien les Rolling Stones que Bill Clinton, qui ne rechigne pas à aller boire une bière en sa compagnie et celle de l’écrivain Bohumil Hrabal.
Mais l’exercice du pouvoir est dur dans un pays qui se réveille après quarante ans de communisme. Privatisations sauvages, réformes, démocratisation, division de la Tchécoslovaquie : de nombreux événements jalonnent sa présidence, certains de ses actes sont diversement appréciés, d’aucuns lui reprochant trop de tiédeur face aux anciens communistes, tandis que Havel, lui, rechigne à pousser trop loin la chasse aux sorcières.
Václav Havel, éternel dissident avant 1989 comme après, ou encore « éternel insurgé » comme le dit bien le titre d’un documentaire réalisé en 2008 par Jarmila Buzková, réalisatrice tchèque installée en France. Voilà ce qu’elle disait de son documentaire et de Havel :
« Je ne pense pas que mon film soit hagiographique. J’ai essayé de poser mon regard sur Václav Havel. Je ne me défends pas parfois de dire des choses qui sont un peu critiques. Comme par exemple dans son second mandat où je trouve que beaucoup de choses auraient dû être différentes. Simplement, je ne suis pas sûre que Havel, en tant que président, aurait pu faire autre chose. Je pense que c’était plutôt les erreurs du gouvernement. La vraie faute de Václav Havel, c’est qu’il est trop gentil. Souvent, il est tellement bien élevé qu’il n’arrive pas à rentrer dans les gens. Malheureusement, je pense que les politiques doivent parfois être très durs. Ce qui m’a le plus marquée chez lui, c’est quelque chose entre une autorité naturelle et un charme discret. C’est très difficile à définir mais vous le sentez tout de suite en présence de Václav Havel. Il est plutôt doux, timide et en même temps, il a une grande autorité, il sait définir les choses. C’est un mélange de sentiments qui vous envahit et c’est plutôt inattendu face à quelqu’un qui a fait de la politique. J’ai eu l’occasion de rencontrer quelques politiciens et j’ai toujours plutôt eu le sentiment d’avoir devant moi des personnes un peu égocentriques, à la limite de l’arrogance, imbus de leur pouvoir, et ce n’est pas le cas de Václav Havel. »
Václav Havel est celui qui a redonné le pouvoir aux sans-pouvoir et s’il a accepté de gouverner son pays, c’est sans illusion sur cet exercice périlleux. Après avoir terminé son mandat, de santé toujours fragile, Václav Havel avait pensé un temps s’éloigner de toute vie politique en trouvant refuge au Portugal avec son épouse. C’était sans compter la nécessité farouche de décrypter le monde et l’actualité de son pays. Il était donc un commentateur fréquent et souvent désabusé sur l’évolution de la société tchèque et de sa politique. Interrogé par la radio tchèque dans un de ses derniers entretiens, voilà comment Václav Havel regardait en arrière :
« J’ai eu une vie très variée. Ce qui est intéressant, c’est que ma vie a été une aventure alors que mon caractère est loin d’être celui d’un aventurier. Je suis quelqu’un de calme, discret, sobre. Ma vie aventureuse est plutôt due au destin, à l’histoire, plus qu’à moi-même qui ne l’ai pas vraiment cherché. »