Věra Chytilová, 80 ans : l’engagement d’une vie dédiée au cinéma
La réalisatrice tchèque Věra Chytilová fête ses 80 ans ce lundi. L’occasion de revenir sur les plus de 40 ans passés derrière la caméra de cette figure marquante de la « nouvelle vague tchécoslovaque », à côté de Miloš Forman, Jiří Menzel, ou Ivan Passer.
Věra Chytilová, « première dame du cinéma tchèque » : un titre qui est maintes fois attribué à la célèbre réalisatrice, et qui n’est pas usurpé. Car à 80 ans, Věra Chytilová n’a perdu ni de sa fougue, ni de son insolence, ni de son humour acerbe, ni de son énergie légendaires. Son dernier film remonte à peine à deux ans, et même s’il n’a pas forcément été accompagné par l’engouement de la critique, force est de constater, en tout cas, qu’aucun opus de la réalisatrice ne passe jamais inaperçu. Dimanche soir, d’ailleurs, la nouvelle chaîne de télévision Barrandov a diffusé un documentaire qu’elle vient d’achever.
En 2006, elle avait confié au micro de Václav Richter, l’origine de cette envie de tourner, toujours renouvelée :
« Je travaille toujours parce que je m'intéresse à ce qui se passe et je me demande pourquoi cela se passe. C'est une question qui reste toujours la même, dans le passé et dans le présent, parce qu'en fin de compte les gens sont toujours les mêmes. Je suis déjà un témoin, un survivant parce qu'il y a des générations qui ne se doutent pas, qui ne savent rien de ce qui s'est passé. (...) Si je tourne encore des films c'est parce que je me demande pourquoi nous sommes tels que nous sommes, où est le fond du problème. Miloš Forman dit que le bien et le mal coexistent dans chaque homme. Moi, il me semble que l'homme pourrait se dominer par sa volonté, se rendre compte de la brièveté de son existence et donner un sens à sa vie. »
Car Věra Chytilová est également une femme engagée et n’a pas la langue dans sa poche : opposée au projet d’implantation de la base radar américaine en RT, elle l’a fait savoir haut et fort. Un engagement qu’elle a tenté d’ailleurs de mettre en pratique, lorsqu’elle s’est portée candidate il y a trois ans aux sénatoriales dans le cadre d’un parti féminin et féministe, Egalité des chances. Une candidature infructueuse mais qui en dit long sur les opinions de la cinéaste.
C’est sans aucun doute cette force de caractère qui lui a fait traverser et les années, et les épreuves. Comme beaucoup d’artistes de tous bords, l’invasion soviétique en 1968 met un coup d’arrêt à la liberté de création rejaillie dans les années soixante. Věra Chytilová se retrouve un temps sur le carreau, mais parviendra à forcer sa route et à s’imposer, malgré les restrictions du régime communiste.
Les Petites Marguerites et Le fruit de paradis font partie des nombreux long-métrages de Věra Chytilová qui ont connu un succès national, et sont à l’origine de sa renommée à l’étranger. Elle est également à l’origine de l’adaptation au cinéma du spectacle Le bouffon et la reine, où jouent le couple d’acteurs d’alors, Bolek Polivka et la comédienne française Chantal Poullain.En 1967, Věra Chytilová a reçu une proposition d’un représentant des productions Warner à Paris. Un contrat de trois ans avec totale liberté de création à la clé. Seule condition : le choix des acteurs reviendrait à la production. Věra Chytilová refusera car elle répugne aux contraintes, et démontrera qu’il était paradoxalement possible de créer dans l’espace esthétique confiné de la normalisation.