Viktor Ullmann, le plus tchèque des compositeurs autrichiens
Méconnu en République tchèque, célèbre à l’étranger. Tel est le sort qui a été réservé à Viktor Ullmann, mort gazé à Auschwitz en 1944. Né à Těšín, dans le sud de la Pologne, Viktor Ullmann est d’abord un compositeur autrichien. Et s’il n’était donc pas tchèque, c’est pourtant bien à Prague qu’il a passé une grande partie de sa vie. Deux projets du Théâtre national de Prague et du Théâtre national de Moravie-Silésie à Ostrava permettent actuellement d’apprendre à mieux connaître les opéras d’Ullmann et à découvrir jusqu’à quel point son œuvre a été influencée par sa vie à Prague dans l’entre-deux-guerres.
Le compositeur Viktor Ullmann (1898-1944) a passé une grande partie de sa vie dans les Pays tchèques, mais n’a jamais accepté la nationalité tchécoslovaque, restant un citoyen autrichien. Il est né à Těšín sous l’Empire austro-hongrois, a longtemps vécu à Prague, et après avoir séjourné dans le ghetto juif de Terezín, il est finalement mort à Auschwitz. Son œuvre appartient incontestablement au formidable bouillonnement culturel tchéco-juif-allemand de la Prague de l’entre-deux-guerres. En République tchèque, cependant, elle reste encore aujourd’hui presque inconnue, et ce malgré le fait que son opéra « L’Empereur d’Atlantis », composé à Terezín et devenu symbole de la destruction de plusieurs générations d’artistes juifs, rivalise à l’étranger avec les plus grands succès de l’opéra tchèque comme « Rusalka » d’Antonín Dvořák ou « Jenůfa » de Leoš Janáček.
Cette situation est en train d’évoluer grâce à deux projets parallèles : « Musica non grata » du Théâtre national de Prague et « Les Opéras des compositeurs de Terezín » du Théâtre national de Moravie-Silésie à Ostrava. Et c’est à Ostrava, justemement, en février, qu’ont été présentés au public les opéras d’Ullmann initulées « L’Empereur d’Atlantis » et, pour la toute première fois en République tchèque, « La Cruche cassée ». Les deux œuvres en un acte ont été dirigées par le chef d’orchestre Jakub Klecker, qui nous aide à mieux situer l’œuvre d'Ullmann dans le contexte de son époque :
« Sa musique est très spécifique. Elle reflète évidemment l’époque à laquelle Viktor Ullmann a écrit. Et je pense que même les deux pièces en un acte que nous jouons dans la même soirée sont différentes. Dans ‘La Cruche cassée’, cela tient déjà à l’ouverture distincte, qui est souvent présentée comme une œuvre de concert séparée pour les concerts symphoniques. Il y a aussi la longueur, qui est d’environ sept minutes, et on peut dire qu’il y a des éléments à la fois un peu comme chez George Gershwin et des motifs comme chez Richard Strauss ou Gustav Mahler. Dans l’orchestration, on trouve divers instruments moins habituels, par exemple l’harmonium, qui dans notre mise en scène est remplacé par un orgue, les instruments à vent ne sont que pour un joueur. Mais nous avons aussi le saxophone, par exemple, qui apparaît comme un instrument secondaire, tout comme la guitare. »
Jakub Klecker explique aussi les raisons pour lesquelles, selon lui, Viktor Ullmann a été un peu oublié en République tchèque. Est-ce parce qu’il n’a finalement écrit que relativement peu de choses en raison de sa mort prématurée, à l’âge de seulement 46 ans, ou parce que son œuvre est plus difficile d’accès pour le grand public ?
« Je n’ai bien sûr moi non plus pas eu un accès aussi ouvert à Ullmann qu’il n'y paraît, et je n’ai été confronté à son œuvre que de manière très sporadique. Mais je suis très heureux que, ces dernières années, la possibilité soit apparue de la présenter ici en Tchéquie, car Ullmann est originaire de Těšín. Je pense que c’est là une grande réussite surtout du Théâtre national de Moravie-Silésie, dans le cadre du cycle des Opéras des compositeurs de Terezín. Cela dit, l’Empereur d’Atlantis, par exemple, est en fait un opéra très joué. Il est régulièrement présenté à l’étranger, où le public peut l’apprécier beaucoup plus souvent qu’ici chez nous. »
Une réponse qui peut amener à se demander si la musique possède une nationalité. Où la musique de Viktor Ullmann peut-elle ainsi être classée ? Dans la musique tchèque, dans la musique allemande, dans la musique juive ?
« Je pense que tous ces aspects et toutes ces influences sont présents. La période à laquelle Ullmann a vécu se reflète certainement dans son œuvre. Il ne faut pas oublier tout ce qu’il a appris de ses pairs au cours de sa très courte vie et comment il a été influencé et inspiré, car il a aussi été l’élève d’Arnold Schönberg. Mais d’un autre côté, Ullmann a un style est très spécifique, et je pense même pouvoir affirmer qu’il est très facilement reconnaissable. Par exemple, lorsque l’ouverture de La cruche cassée commence, je pense que si vous l’entendez pour la énième fois, vous vous dites que oui, ça, c’est bien du Viktor Ullmann. »
Et pour nous faire une idée plus concrète de ce style donc si spécifique, nous vous proposons d’écouter un extrait d’un enregistrement de l’opéra La Cruche cassée de Viktor Ullmann, composé en 1942 et interprété par l’Orchestre symphonique allemand de Berlin sous la direction de Gerd Albrecht. Très bonne écoute !