Visite chez Lenka Reinerova (II.)

Lenka Reinerova

L'oeuvre littéraire de Lenka Reinerova retrace la vie mouvementée de cette Pragoise née au milieu de la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, ses écrits sont publiés en République tchèque et en Allemagne, et, récemment, la maison d'éditions française L'Esprit des Péninsules a publié un recueil de ses trois récits intitulé 'Promenade au lac des cygnes'. Pour Lenka Reinerova, c'est une satisfaction, certes, mais elle ne cache pas être un peu déçue par des imprécisions dans le texte. Elle trouve également que le titre choisi par la maison d'édition, 'Promenade au lac des cygnes' ne correspond pas au caractère des récits réunis dans le livre. Dans un long entretien que cette écrivaine de langue allemande a accordé à Radio Prague, elle évoque divers chapitres de son existence pleine d'épreuves, source d'inspiration inépuisable pour son travail littéraire. Voici la seconde partie de cet entretien dans laquelle Lenka Reinerova revient d'abord sur la Prague des années 1930, ville où se croisaient et coexistaient les cultures tchèque, allemande et juive ...

Lenka Reinerova
"Dans les années trente, on vivait beaucoup dans les fameux cafés de Prague. C'est très différent aujourd'hui, il y avait le Café Arco, qui était très connu parce que c'était là où se réunissaient les écrivains de langue allemande avec ceux de langue tchèque. Cela se passait d'une façon tout à fait normale, ce n'était pas organisé. C'est très différent maintenant, les gens restent chez eux pour regarder la télévision. La façon de vivre a aussi changé, ce qui me paraît tout à fait normal."

Egon Erwin Kisch était donc votre ami. Quels étaient vos rapports? A-t-il influencé aussi votre travail littéraire?

"J'ai lu quelque part que Kisch m'avait appris comment écrire. C'est un peu drôle pour moi, cela ne se passe pas comme ça, non. J'observais comme il travaillait, oui, de temps en temps, il me disait aussi quelque chose, mais d'une façon tout à fait naturelle. "

Je sais que vous aimeriez créer un musée de la littérature allemande de Prague. C'est une idée qui vous est chère. Est-ce que ce musée pourrait ressusciter, en quelque sorte, l'atmosphère qui existait à Prague avant la guerre?

"Non, je ne pense pas. Cette idée a vu le jour en 1968, pendant le Printemps de Prague, c'est ainsi qu'on appelait cette période. De tous ces gens qui on discuté de cette possibilité, il n'y plus personne, sauf moi. Le dernier qui nous a quittés, c'est le professeur Eduard Goldstücker, qui faisait partie, lui aussi, de cette initiative. Il ne reste donc que moi, je travaille à ce projet avec quelques personnes. Probablement qu'on ne va pas appeler ça un musée, parce qu'un musée, ce n'est pas assez vivant. Cela s'appellera probablement 'Maison de la littérature des écrivains pragois de langue allemande'. Je parle de cette possibilité quand je suis par exemple en Allemagne, parce que mes livres y sont assez populaires. J'ai donc cette possibilité et je parle toujours de cela. Un jour, j'ai reçu une lettre d'une femme que je ne connaissais pas. Elle m'a écrit qu'elle possédait une bibliothèque de 750 livres d'écrivains tchèques de langue allemande et 170 livres d'auteurs tchèques traduits en allemand. Elle a appris l'existence de cette initiative et s'est déclarée prête à nous faire don de ces livres. C'est fabuleux, n'est-ce pas?"

Vous êtes née dans une famille bilingue et vous avez choisi de devenir écrivain de langue allemande. Pourquoi avez-vous choisi cette langue?

"Je ne sais pas si je l'ai choisie. C'est venu comme ça. Mais ma langue maternelle dans le vrai sens du mot est l'allemand, parce que ma mère était de langue allemande. Si c'est pour cela, je ne sais pas. Peut-être. Mais après la débâcle du Printemps de Prague, on m'a défendu de publier chez moi, en Tchécoslovaquie, et depuis 1983, on publiait mes livres en Allemagne. Alors, j'ai continué et la langue allemande est devenue mon instrument. J'ai travaillé avec cette langue, je me suis perfectionnée dans cette langue, et, maintenant, quand j'ai de nouveau la possibilité de publier ici des livres en tchèque, je préfère qu'on me traduise. J'ai la chance de pouvoir lire et corriger ces traductions. Je préfère qu'on me traduise parce que le texte doit être parfait. L'instrument avec lequel je travaille maintenant est donc la langue allemande."

Dans le livre 'Chez moi à Prague et parfois aussi ailleurs', vous dites que c'est dans la prison française que vous avez commencé à écrire en tchèque. Pour quelle raison?

"J'ai écrit mon tout premier livre dans la prison de la Petite Roquette à Paris. On m'a mise au cachot et j'ai demandé un jour des choses pour écrire. On m'a dit: 'Non, vous n'avez pas le droit de correspondre avec quelqu'un.' Et j'ai répondu: 'Je ne veux pas correspondre, je veux écrire.' Cela les a d'abord étonnés, puis ils m'ont donné un cahier, de l'encre, etc., et j'ai écrit là-bas un livre pour les enfants. Je l'ai écrit en tchèque, parce que je pensais que le tchèque à Paris, au commencement de la guerre, était une langue secrète. Cela a été tout à fait inutile, parce que tout le monde pouvait lire ce que j'avais écrit. Cela m'a énormément aidée. En écrivant en prison, je me retrouvais hors de la prison et j'en étais très contente. Je peux toujours écrire en tchèque, dans mon dernier livre paru en tchèque, il y a deux contes que j'ai écrits en tchèque, mais comme je l'ai déjà dit, mon instrument est maintenant la langue allemande."

Si vous vous retournez aujourd'hui, si vous regardez votre longue existence, est-ce qu'il y a des erreurs que vous avez commises et que vous aimeriez réparer?

"Réparer, c'est un drôle de mot. Je sais ce que vous attendez maintenant. Moi, j'étais très révolutionnaire quand j'étais jeune. Ce n'était pas un cas exceptionnel, on était très révolutionnaire en ce temps-là. C'était le moment où le fascisme commençait à s'établir en Europe, pas seulement en Allemagne, c'est ce qu'on oublie quelque fois. Cela a commencé en Italie, en Abyssinie, en 1936. J'étais alors une communiste jeune et convaincue et je pensais que la société devait être changée et réparée. Après un temps assez long, j'ai appris ce que je sais maintenant - c'est qu'un pouvoir absolu, même avec des idées qui semblent être justes, ne doit pas exister, pour des raisons éthiques, morales, religieuses. Dans aucun cas, il n'y a pas de justification pour un pouvoir absolu, pour une dictature."

Dans votre vie, vous avez connu des moments difficiles, parfois des moments tragiques. Est-ce que l'écriture vous a aidée, vous a permis de surmonter ces moments tragiques?

"Cela ne se passe pas comme ça, parce que l'écriture vient après. Je pense que la nature a été gentille avec moi, généreuse peut-être, parce que mon attitude vis-à-vis de la vie est tout à fait positive. Je suis reconnaissante pour chaque jour et je suis même capable de me réjouir de chaque jour. Mais ce n'est pas tous les jours qu'il vous arrive quelque chose de bon ; peut-être une tout petite chose quand même. Je vis seule depuis des années. J'ai une fille, mais malheureusement elle n'est pas chez moi, elle est à Londres et c'est assez loin. Mais je ne me sens jamais abandonnée, ce qui est très important, je pense. Je suis capable de me réjouir de petites choses, et les petites choses, il y en a toujours. Le grand bonheur, c'est rare. Cela arrive aussi, mais c'est rare. Comme je l'ai déjà dit, c'est ma nature, mes gènes qui me donnent cette possibilité. Naturellement, quand j'écris, quand je suis capable d'écrire, oui, c'est un certain bonheur, parce que c'est un monde à moi, c'est « mon » monde quand je suis en train d'écrire. Après, quand on a un livre, c'est très bien, on est très content. Mais les moments d'écriture, ce sont les moments où l'on sent le bonheur, je pense."