Vítězslav Nezval, un magicien aux prises avec la réalité

Vítězslav Nezval

La silhouette massive de Vítězslav Nezval domine les lettres tchèques de toute la première moitié du XXe siècle. Il a été le personnage clé de la majorité des avant-gardes ayant marqué la poésie tchèque dans cette période et a su leur apporter une contribution très personnelle. Il a été le prince des poètes tchèques à l’époque où la poésie était encore considérée comme un art presque sacré. Pourtant, le 50e anniversaire de sa mort passe pratiquement inaperçu. Les temps ont changé et la poésie n’est plus ce qu’elle était. Cinquante ans après sa mort, le poète Nezval nous pose la question : «Avez-vous encore besoin de poésie?»

Le journaliste Josef Chuchma s’étonne lui aussi du silence qui accompagne cet anniversaire :

Né dans un petit village de Moravie, où son père était instituteur, juste avec le siècle, le 26 mai 1900, Nezval, ce grand amateur de la vie, ce grand infidèle, qui dans sa quête de nouvelles sensations, était obligé d'oublier toujours pour être capable d'absorber de nouvelles inspirations, n'a pourtant jamais oublié ce pays natal qui lui a dicté de très beaux vers. C’est ainsi qu’il évoque le paysage au bord de la rivière Svratka :

Au bord de la Svratka fleurit la véronique.

Je venais m'y baigner chaque jour, puis rêver

Tandis que l'eau coulait, boueuse et nostalgique.

Au bord de la Svratka fleurit la véronique

L'herbe y est basse, et le ciel trouble et délavé.
Même par grand soleil il y fait presque obscur,

Comme il faisait chez nous jadis dans le jardin

Ou sur la vieille estampe qu'on peut voir au mur;

Même par grand soleil il y fait presque obscur...

Cela sentait le fenouil, l'ail et le cumin.
Il y a des fleuves plus beaux que la Svratka,

Mais je n'ai pas vécu au bord de ces rivières.

Tant pis si leurs eaux brillent d'un plus vif éclat.

Il y a des fleuves plus beaux que la Svratka,

Mais jamais avec moi n'y est venue ma mère.

Nezval commence à publier très jeune. Après le premier recueil intitulé "Le Pont" ses oeuvres se multiplient avec une abondance prodigieuse. Il crée avec facilité une poésie chantante, rythmée et musicale, qui sied le mieux à son talent. Chaque fois lorsqu'il voudra faire une poésie plus moderne et plus sobre, il sera obligé de forcer son talent, d'écrire comme quelqu'un d'autre. Bien sûr, il est extrêmement difficile de traduire une telle poésie qui prend source dans les dons lyriques très personnels et exploite, avec beaucoup de fantaisie, les possibilités d'une langue. Une telle traduction est presque impossible, car elle suppose non seulement une connaissance profonde des deux langues, mais aussi le même talent poétique. Mais il n'y avait pas au monde deux Nezval. Il faut quand même savoir gré à François Kérel d'avoir osé les traductions en français de quelques oeuvres de ce poète généreux dont le rayonnement resterait, sans cela, limité à son pays.


Jan Rubeš, chercheur et connaisseur du surréalisme tchèque dont Nezval était le fondateur, écrit : "Si Nezval représente le mieux l'avant-garde en Tchécoslovaquie, il est impossible de lui trouver un équivalent français. Sa prodigieuse facilité évoque Eluard, son goût de la vulgarisation Soupault, ses manifestes et commentaires font penser à Breton. Par ses activités multiples, Nezval déborde constamment le cadre dans lequel nous avons l'habitude de cerner le poète avant-gardiste. Il participe à la vie culturelle, donne des conférences, fait de nombreuses traductions, travaille pour le théâtre et consacre dix années de sa vie au cinéma. Après la guerre, il devient une de ces grandes figures de la littérature qui, comme dit Petr Kral, ont lié leur sort à l'utopie d'un monde meilleur, puis aux nouveaux pouvoirs politiques auxquels cette utopie servait de justification."

Et Jan Rubeš de rappeler le temps où Nezval était le poète officiel de la Tchécoslovaquie d'après-guerre et où ses poésies célébraient le président communiste, Klement Gottwald, et Staline qu'il appelait "notre ami le généralissime de la paix". Néanmoins, il y a aussi des témoignages qui démontrent, qu'à la fin des années 40 et dans les années 50, Nezval souffrait de l'asservissement de la culture, qu'il n'aimait pas le courant artistique appelé le réalisme socialiste, qu'il cherchait à aider les poètes proscrits.

Pour le poète Jiří Kuběna, Nezval reste quand même la plus grande figure de la poésie tchèque : "Il était poète du grand monde, à l'époque de la Renaissance il aurait été poète de cour, de la cour des Médicis par exemple. Il devait être, tout simplement, toujours du côté des vainqueurs, il était destiné à les couronner et à les célébrer. Ce n'était pas de sa faute que, tout à coup, il n'y avait pas de vainqueurs. Nezval les inventait en rêvant..."

Parmi les grandes sources de l’inspiration de Vítězslav Nezval, il y avait son pays natal, la femme et Prague. Il a consacré de nombreux vers aux femmes dont le recueil La Femme au pluriel. Il a donné l'image inoubliable d'une certaine féminité, dans la pièce de théâtre en vers "Manon Lescaut", inspiré de "L'Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut", de l'abbé Prévost. Lorsqu'il est venu à Prague, il s'est épris de la ville comme d'une femme et ne cessait de célébrer cette ‘cité aux doigts de pluie’.


Nezval est mort le 6 avril 1958. La presse communiste, en France, a publié, à cette occasion, de nombreux articles. Aragon a composé un poème:

Dans le Hradschin désert la lune est sans rival

Elle peint sur le pont le deuil blanc des statues

La radio ce soir a parlé de Nezval

Pour dire qu'il s'est tu
Ainsi Prague a perdu son âme et son poète

Lorsque j'irai tantôt je ne l'y verrai pas

Et son coeur s'est brisé comme un verre qu'on jette

A la fin du repas

On évoquait, à cette occasion, les rapports amicaux entre Nezval et Breton, Eluard, Aragon, l'aventure surréaliste, on se souvenait des traductions de nombreux poètes français que Nezval avait faites. On citait aussi Nezval lui-même. Dans le célèbre poème "L'adieu et le mouchoir" il semblait déjà dire quelque chose de plus qu'un simple adieu à l'amour. Le poème est aussi un constat des choses de la vie, de l'acceptation du sort qui malgré l'énergie tumultueuse qui animait toute l’existence de ce poète, le faisait accepter et subir aussi les choses qui, au fond, étaient inacceptables.

Adieu et si c'était pour la dernière fois

Tant pis pour mon espoir il est trop incertain

Si je veux te revoir, l'espoir se cache en moi

L'adieu et le mouchoir accomplis-toi destin.