Vladimír Menšík : un acteur et humoriste populaire au cœur du XXe siècle

Vladimír Menšík, photo: ČT

Il y a précisément 25 ans, ce mercredi, nous quittait Vladimír Menšík. Décédé en 1988 à l’âge de 59 ans, sa carrière de comédien l’a fait endosser près d’un millier de rôles. Figure incontournable des films de la Nouvelle Vague tchécoslovaque puis des contes et comédies de la période de la « normalisation », il a laissé une trace puissante dans l’imaginaire collectif tchèque. Egalement humoriste et inspirateur de toute une génération de comiques tchèques, Vladimír Menšík a accompagné ses compatriotes dans des émissions télévisées pour le Nouvel An devenues cultes. Retour dans cette rubrique historique sur la vie de cet homme qui a épousé les contours artistiques populaires d’une époque.

Vladimír Menšík,  photo: ČT
Aimé du public et des personnes avec qui il a eu l’opportunité de travailler, loué pour sa grande humanité, Vladimír Menšík est un témoin et un acteur privilégié des évolutions des cultures populaires tchécoslovaques sous le communisme. Lui qui a tourné dans plus de 120 films, il est considéré comme un des acteurs majeurs de cette période. Miloš Forman, dont la parole a forcément une certaine autorité, a dit de lui qu’il appartenait avec Vlasta Burian et Jan Werich à la Sainte Trinité, les autres comédiens ne pouvant prétendre qu’au rôle de leurs apôtres. Vladimír Menšík parlait difficilement de sa propre personne car il ne pouvait s’empêcher de raconter des blagues et de partir dans des délires d’improvisation. Il évoquait pourtant pour la télévision tchécoslovaque son enfance en Moravie :

« Je n’ai aucune vie privée. J’ai déjà tout dit sur moi, et même des choses qui n’étaient pas vraies. Je suis né à Ivančice. Ce n’est pas une sage-femme qui a fait accouché ma mère, nous n’étions pas en bons termes avec elle. Donc je suis né à la maternité et j’ai vécu à Ivančice une grande partie de ma jeunesse même si j’ai également habité dans le village de naissance de mon père. Mais je tenais Ivančice en estime car c’est une cité royale. J’ai toujours attendu que cela m’apporte quelque chose, sans succès ! »

Etudiant au lycée technique, Menšík est attiré par la musique et singulièrement par le chant. Après avoir postulé par deux fois, il intègre finalement l’Académie Janáček des Arts musicaux à Brno et est embauché en 1953 dans la troupe du Théâtre de village par Emil František Burian, un artiste pluridisciplinaire. A la fin des années 1950, le théâtre connaît un renouveau important que certains assimileront à un âge d’or. Les petites salles et les troupes de province se multiplient et la censure peut difficilement contrôler des pièces diffusées dans ce cadre spécifique avec un public appelé à savoir lire entre les lignes. La scénographie tchèque connaît également un rayonnement mondial avec les travaux de Jan Svoboda et l’œuvre de la Laterna Magika (La lanterne magique, ndlr), laquelle mélange arts scéniques et cinématographiques. Elle est présentée à l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 et rencontre un grand succès critique.

'Chronique morave'
Aussi les passerelles avec le cinéma deviennent de plus en plus fréquentes. C’est en empruntant l’une d’elles que Vladimír Menšík va devenir un visage familier pour les amateurs de salles obscures. Vojtěch Jasný, réalisateur ayant commencé à travailler au début des années 1950 et qui va s’imposer comme l’un des pères de la Nouvelle vague cinématographique tchèque, raconte et loue le talent de Vladimír Menšík :

« Des amis comédiens m’ont recommandé cet acteur qui jouait au théâtre d’Emil František Burian en le présentant comme un Morave très rigolo. Je l’ai donc embauché et le premier film dans lequel il a joué sous ma direction a été Les nuits de septembre (Zářijové noci). C’est ainsi que j’ai connu Vladimír et depuis cela a été une amitié ininterrompue. Dans le film J’ai survécu à ma mort (Přežil jsem svou smrt), il joue le rôle d’un kapo d’une façon remarquable. Il est impérial, il arrive à donner une humanité à ce kapo, une humanité que celui-ci a en réalité. En fait, il ne jouait pas, il était. »

Ce sont parmi les premiers films dans lesquels joue Vladimír Menšík, c’est ainsi que commence sa carrière cinématographique. Le Morave entre en conflit avec Emil František Burian qui n’aime pas les films et quitte finalement son théâtre, une décision qui le pousse un peu plus vers le Septième Art. Sa capacité à jouer un répertoire de personnages très large s’exprime également dans un autre film de Vojtěch Jasný, Až přijde kocour (Un jour, un chat) dans lequel il interprète le concierge d’une école, détestable de bassesse et de servitude mais très drôle.

'Markéta Lazarová'
La Nouvelle vague tchécoslovaque, c’est ce moment où les cinéastes tchèques s’affirment comme des artistes. Le cinéma est entièrement financé par l’Etat mais les grands studios de production sont dirigés par ceux qui font les films, leur assurant une relative liberté créatrice. D’autant plus que la censure se fait moins pressante à une époque où le régime communiste, tiraillé entre sa frange orthodoxe et une autre réformatrice, tend à se libéraliser et que le cinéma tchécoslovaque est légitimé par la critique dans les festivals internationaux où il est de plus en plus représenté.

Vladimír Menšík joue le plus souvent des rôles secondaires dans quantité des films assimilés à ce mouvement. Il est un soldat bourru dans Les amours d’une blonde de Miloš Forman, un kleptomane bon vivant dans Chronique morave du même Vojtěch Jasný. Il est également au générique des chefs d’œuvres de cette décennie que sont le très noir Incinérateur de cadavres de Juraj Herz et le magnifique Markéta Lazarová de František Vláčil, élu meilleur film tchèque de tous les temps par une ribambelle de critiques dans les années 1990.

Bien que les films de la Nouvelle vague fassent largement appel à des acteurs amateurs, une génération de professionnels émerge dans les années 1960, des comédiens qui forment l’ossature de la plupart des œuvres réalisées à cette époque. Ils y interprètent souvent des seconds rôles qui participent à les ancrer dans le paysage filmique tchécoslovaque. Leur popularité ne se démentira pas par la suite, même quand normalisation du régime oblige, ils joueront les premiers rôles dans des films bien moins ambitieux. Parmi eux on trouve notamment Jiřína Bohdalová, Jiří Sovák et bien sûr Vladimír Menšík. La première évoque la complicité qui liait les deux autres :

« Entre Jiří Sovák et Vladimír Menšík, il y avait une petite différence. Sovák n’arrêtait pas de faire des blagues mais il n’est jamais parvenu à bien les raconter. Menšík était là quand Sovák imaginait des histoires incroyables et c’est lui qui les racontait ensuite. J’ai plusieurs fois assisté à des scènes au moment du maquillage ou chez l’accessoiriste où Menšík narrait des histoires et Sovák lui en demandait encore alors que c’était ses propres histoires ! Mais il aimait écouter la façon dont Menšík les disait et il n’avait pas le sentiment de se faire voler. Jiří Sovák était le glossateur et Vladimír Menšík le conteur. »

Et ce talent pour raconter des histoires loufoques et abracadabrantes, Vladimír Menšík l’exploite merveilleusement. Il est l’un des premiers à le faire à la télévision où il est un précurseur en matière de spectacle humoriste. Les Tchèques et les Slovaques se souviennent également de Menšík comme de celui qui les a parfois accompagnés lors des longues veillés de la Saint-Sylvestre dans l’attente d’une nouvelle année.

Vladimír Menšík,  photo: ČT
Ces années passent d’ailleurs, la Tchécoslovaquie est envahie en août 1968 par les troupes du Pacte de Varsovie qui viennent sonner la fin de la récréation et le retour à un exercice du pouvoir communiste brutal et arbitraire. C’est la période dite de la « normalisation » qui s’ouvre alors. Elle n’épargne pas le cinéma : certains films sont interdits « à jamais » à l’instar de Chronique morave et des cinéastes et acteurs se voient interdire l’exercice de leur profession. Bien qu’il ne soit pas membre du parti communiste, Vladimír Menšík, très populaire, peut continuer son petit bonhomme de chemin. Il signera même l’anti-charte qui invite les artistes tchécoslovaques à proclamer leur solidarité avec les autorités socialistes et leur condamnation de la Charte 77, laquelle contestait le processus de « normalisation ». On le voit alors dans des contes encore très appréciés aujourd’hui, tels que Trois noisettes pour Cendrillon (Tři oříšky pro Popelku), des séries télévisées et des comédies inoffensives, par exemple le farfelu et ludique Monsieur, vous êtes veuve ! (Pane, vy jste vdova !).

'Jak utopit dr. Mráčka'
Marié deux fois et père de quatre enfants, Vladimír Menšík tire sur la bouteille de façon inconsidérée et doit effectuer plusieurs cures pour tenter de soigner son addiction. Les dernières années de sa vie sont marquées par un asthme de plus en plus handicapant, mais lui continue à fumer comme un pompier. Acteur également prolifique, Lubomír Kostelka, que Menšík a poussé à venir s’installer à Prague pour lancer sa carrière sur les planches, évoque la maladie de son ami :

« Les médecins disaient que n’importe qui d’autre avec cette maladie serait parti en retraite pour invalidité et n’aurait plus rien fait. Mais Vladimír a fumé jusqu’au dernier jour de sa vie. »

Vladimír Menšík meurt le 29 mai 1988 et reste un acteur incontournable très ancré dans le paysage cinématographique tchèque.