Vladimír Vochoč : des passeports pour la liberté
Longtemps ignorée, l’histoire du consul tchécoslovaque Vladimír Vochoč à Marseille a été redécouverte il y a quelques années. En 2016, il a reçu le titre de « Juste parmi les nations » à titre posthume pour avoir permis, au début de la Seconde Guerre mondiale, à de nombreux réfugiés fuyant le nazisme à trouver refuge de l’autre côté de l’Atlantique. En ayant recours à ce qu’il savait faire : délivrer des passeports tchécoslovaques, et ce malgré la disparition effective du pays, occupé par l’armée d’Hitler. L’écrivaine d’origine tchèque Lenka Horňáková-Civade a fait revivre cet homme dans son roman La Symphonie du Nouveau monde paru en 2019. Et le 13 mai, une bibliothèque portant le nom de Vladimír Vochoč sera inaugurée à Marseille, dans les locaux du consulat honoraire de la République tchèque. Lenka Horňáková-Civade, qui en sera la marraine, revient sur l’histoire de Vladimír Vochoč :
« Vladimír Vochoč arrive à Marseille en mai 1938, c’est un avocat et un diplomate tchécoslovaque. Il a commencé sa carrière très jeune, juste après ses études. Il participe à la conférence de Paris, en 1919-1920, donc il avait une grande expérience de la vie parisienne et était aux premières loges lors de la création de l’Etat tchécoslovaque. Il arrive en 1938 à Marseille, déjà expérimenté, avec une expertise sur les questions internationales. C’est une grande chance pour la Tchécoslovaquie, mais on ne le sait pas encore. Qui dit mai 1938, dit avant les accords de Munich, avant le 15 mars 1939 et l’invasion de la Tchécoslovaquie et avant septembre 1939 et le déclenchement de la guerre. Ce sont des dates qui, pour les Français, n’ont pas la même signification que pour les Tchèques. Qu’est-ce que c’est d’être consul : c’est être le maire et le notaire dans le pays pour ses concitoyens. C’est aussi gérer le quotidien, sauf que le quotidien, en temps de guerre, est bouleversé. Vochoč est celui qui prend en charge les ressortissants de Tchécoslovaquie, puis du Protectorat de Bohême-Moravie, mais pas seulement. »
Vladimír Vochoč va donc prendre en charge les gens qui fuient son pays…
« En fait, il s’occupe déjà des interbrigadistes qui remontent de l’Espagne. La guerre d’Espagne se termine en 1938, Franco arrive au pouvoir. Tous les républicains et tous ceux qui sont partis se battre pour Prague devant Madrid reviennent. Il y en avait beaucoup, il y a eu plusieurs trains qui sont partis de Prague à partir de 1936. Je ne saurais pas vous dire le nombre exact de personnes, mais il y en avait assez pour que ce soit important pour son travail. Il avait d’ailleurs fait un large tour du sud de la France dans tous les camps de rétention où se trouvaient tous les républicains qui fuyaient l’Espagne vers la France qui n’était pas en guerre à ce moment-là. Il y avait toutes les nationalités : des Polonais, des Tchécoslovaques, des Allemands, des Autrichiens… Tous ceux qui avaient la possibilité d’avoir des papiers tchécoslovaques, il les prenait en charge : il essayait de leur trouver soit du travail, soit des papiers pour voyager. Mais encore fallait-il que ces personnes aient un pays où revenir… »
L’homme qui délivrait des passeports d’un pays qui n’existe plus
Cela veut donc dire, à la lumière de vos propos, que cette forme d’engagement, Vladimír Vochoč l’avait très tôt. Elle va se déployer encore davantage pendant une autre période, où il va délivrer des passeports tchécoslovaques à d’autres gens qui fuient, après le début de la guerre. Il fait cela en collaboration avec un jeune Américain, Varian Fry. Comment expliquer qu’il puisse délivrer des passeports d’un pays qui n’existe pas – ou plus ?
« Parce qu’il n’était pas seulement diplomate, mais aussi un brillant avocat. Rappelons tout d’abord que l’ambassadeur Osuský ne livre pas l’ambassade tchécoslovaque aux Allemands lorsque ceux-ci le lui réclament. Osuský refuse, et donc Vladimír Vochoč, le consul, dit que son supérieur est son ambassadeur dont le supérieur est le gouvernement à Londres. Prague cesse donc d’exister en tant que supérieur. Evidemment, ils sont licenciés, ils reçoivent des lettres que Vochoč met à la poubelle. Il y a une sorte d’inertie dans la durée des bureaux qui sont ouverts. Vochoč arrive à convaincre les autorités françaises à Marseille. Et puis il y a une confusion totale : s’il y a un diplomate qui vient avec un argumentaire qui tient la route, et qu’il dit qu’il va prendre en charge une partie de ces âmes errantes dont on ne sait quoi faire, ils sont contents. Il y a là une sorte de cohabitation d’intérêts communs, à la fois pour Vochoč et pour les autorités françaises. Il trouve aussi des failles dans la panique ambiante, mais il y a aussi chez lui, cette capacité à construire cet argumentaire et à utiliser ces failles. »
Ce qu’il dit également en agissant de la sorte, c’est qu’il y a une continuité juridique de l’Etat tchécoslovaque à Paris, à Marseille et à Londres…
« Exactement. Et Vochoč dit : tant que je suis là, l’Etat existe. L’institution perdure, le bureau est ouvert. C’est merveilleux, car il arrive à tordre un peu le système, il estime qu’on lui impose une voie, mais qu’il y a une autre voie. Et il argumente, c’est très fort. Et ensuite il délivre des papiers non seulement aux Tchécoslovaques, mais aux Juifs, aux communistes : il n’est pas regardant, il donne des papiers à ceux qui en ont besoin. Il part du principe qu’il y a une règle juridique mais qu’il y a aussi une règle humaine. »
Le collectif avant tout
Pour ce faire il collabore aussi avec ce jeune Américain Varian Fry qui parvient à faire traverser l’Atlantique à des milliers de gens, dont des artistes comme Chagall ou Breton. Récemment, une série sur Netflix, Transatlantique, retrace l’histoire de Varian Fry, mais sans la présence de Vladimír Vochoč qui est une des personnes qui, administrativement, permet aussi à ces gens de quitter la France. Comment l’expliquez-vous ?
« C’est celui qui a le budget qui donne le ton d’un tel projet. D’abord, il faut se dire que c’est une fiction. Même les historiens chevronnés vont dire qu’il y a des failles dans cette histoire qui est avant tout faite pour plaire. Mais grand bénéficie de cette histoire, on va découvrir au moins l’existence de Varian Fry, lui-même peu connu. Je n’ai pas vu la série personnellement, mais on m’a dit qu’à un moment, on voit quelqu’un qui fait un passeport tchécoslovaque. En fait, je pense qu’il nous reste à faire notre propre film sur Vladimír Vochoč. Non seulement sur Vochoč, mais sur le collectif : rien de tout cela n’aurait existé si autour de Fry il n’y avait pas eu un réseau, des gens qui adhéraient à son idée et qui l’aidaient. Il y avait Vochoč, mais aussi le consul colombien, mexicain, chinois… C’est un travail de plusieurs personnes. J’adorerais qu’il y ait un film sur Vochoč mais c’est pareil : il serait le représentant de tout un tas de gens qui ont su prendre les bonnes décisions dans des conditions dramatiques. »
Ce pourrait être un défi pour vous : écrire le scénario d’un film sur Vladimír Vochoč ?
« Je suis déjà bien contente que le roman existe, aussi bien en français qu’en tchèque. Je dois dire que je suis très reconnaissante à tous les gens qui m’ont écrit par rapport à cette série pour me dire qu’il n’y avait pas le nom de Vochoč. Je me dis qu’il existe un peu. Et puis il va revenir à Marseille… »
Bientôt une bibliothèque Vladimír Vochoč à Marseille
Oui, c’est un beau projet puisqu’une bibliothèque au nom de Vladimír Vochoč va ouvrir le 13 mai…
« Je trouve cela extraordinaire. Et une bibliothèque, des livres, c’est magique. Cela s’est fait à l’initiative du consulat honoraire de la République tchèque à Marseille et c’est dans les locaux de ce dernier qu’elle va ouvrir. L’idée est de préserver et de cultiver la langue tchèque. Ils ont eu l’idée de lui donner le nom de Vladimír Vochoč qui retourne à Marseille, là où il a fait ses actes d’héroïsme ordinaire. Je vais être la marraine du lieu et j’en suis très fière et honorée. Je serai présente à l’ouverture qui se fera également en présence de l’ambassadeur tchèque, Michel Fleischmann et d’autres personnalités. On espère que ce sera un lieu vivant. Il faut remercier tous les donateurs de ces livres, dont ma maison d’édition tchèque Argo, qui fournit beaucoup de livres récemment parus. J’espère que ça va devenir un lieu où les gens auront plaisir à venir rencontrer l’autre et que cela créera une petite communauté autour de la littérature. »
Le nom de Vladimír Vochoč sera aussi rappelé bientôt, l’an prochain, avec le projet d’une plaque commémorative…
« Oui, on est en train de tout mettre en place. Ce projet est prévu au début de l’année 2024. Et elle devrait être placée à côté de celle dédiée à Varian Fry. L’idée est de rappeler cette coopération, ces moments à la fois difficiles mais aussi magnifiques, car l’humanité était là. »