Zákon Helena : un film qui explore la porosité des frontières entre le bien et le mal
Dans les années 1990, le gang de Berdych était démantelé et ses membres étaient jugés au cours de plusieurs procès très médiatisés. La condamnation de ce groupe mafieux, nommé d’après son chef, a attiré l’attention du public notamment parce qu’il illustrait la collusion entre le monde criminel et le milieu de la police. Ce cas, désormais un peu daté, et dont la plupart des protagonistes ont fini de purger leur peine, fait l’objet d’un film documentaire réalisé par Petra Nesvačilová, une jeune diplômée de l'école pragoise de cinéma FAMU. Elle est partie de cette affaire pour développer une réflexion sur la porosité des frontières entre le bien et le mal. Radio Prague a rencontré la réalisatrice pour parler de ce film sorti sur les écrans en 2016 et nommé Zákon Helena (La Loi Helena en français).
Un film dont l’interrogation philosophique dépasse le cadre d’un gang
Interrogée sur son film, Petra Nesvačilová souligne dès le départ qu’il ne fait pas office d’un reportage d’investigation. En revanche, l’histoire et les protagonistes du gang de Berdych en constituent le cadre. Voici comment la réalisatrice qualifie l’objet de son entreprise cinématographique :« Le film Zákon Helena porte sur le bien et le mal et sur la porosité des frontières entre le monde qui est le nôtre et celui de la mafia, qui est désigné comme un ‘quasi-monde’ par l’un des personnages du documentaire. Quant au gang de Berdych, il symbolise les gangs en général qui opèrent partout dans le monde. Le film s’interroge sur les sources du mal et sur le moyen, s’il existe, de lutter contre lui. C’est aussi un film sur le pardon. Il montre qu’il est très facile de s’approcher du mal car chacun l’a à l’intérieur de soi, il est donc très important de prendre soin de soi. »
Le questionnement philosophique sur la nature du bien et du mal est relié dans le film à l’histoire de la détective Helena Khánová, qui, avec son collègue, faisait partie des rares policiers que le milieu de la mafia n’était pas parvenu à acheter. Son enquête, qui s’est étalé sur plusieurs années, a été cruciale pour que des personnes coupables d’avoir commis des meurtres et des vols puissent être jugées et condamnées. Tout en évoquant cette affaire, la réalisatrice maintient son interrogation philosophique comme fil rouge de son film :
« Les genres des films les plus populaires sont le porno et les films policiers. Il s’agit symbolique de la naissance et de la mort. Ainsi, ces deux genres recouvrent des interrogations existentielles qui nous accompagnent tout au long de nos vies. Ce qui attire les spectateurs vers les films policiers, c’est la capacité de quelqu’un à prendre la vie d’autrui entre ses mains, ce principe de demi-dieu. Mes personnages sont les personnages de ces films, sauf qu’ils ne sont pas lointains. Je voulais que l’on comprenne bien que ce sont des personnes normales. »La détective, les membres de la maffia et la réalisatrice deviennent tous les protagonistes du film
Avant de commencer le tournage, Petra Nesvačilová s’apprêtait à filmer un court-métrage portant exclusivement sur la personnalité courageuse de Helena Khánová. Suivant le conseil d’un journaliste tchèque d’investigation, la réalisatrice a décidé de rencontrer une personne condamnée dans cette affaire pour se faire idée du genre de personnes avec qui l’enquêtrice, alors âgée d’une vingtaine d’années, avait affaire. Cette première rencontre a incité Petra Nesvačilová à aller vers les autres anciens membres du gang de Berdych jusqu’à qu’ils deviennent les protagonistes de son film. Ils y apportent une sorte de contrepoids au personnage de détective incarné par Helena.
L’introduction d’une grande variété de points de vue se fait alors au détriment de la place qu’occupe Helena dans le film. Néanmoins, celle-ci reste, selon les mots de la réalisatrice, « la mesure du bien ». Ce basculement dans la structure du film introduit deux « extrêmes », le bien et le mal. On peut alors saisir le contraste entre les deux, mais aussi leur interconnexion, comme si l’un ne pouvait exister sans l’autre. Ainsi, la réalisatrice a ressenti la nécessité d’introduire une troisième perspective dans son film, celle d’une personne « ordinaire ». Pour cela, elle est elle-même devenue un protagoniste de son propre film. Petra Nesvačilová explique cette évolution :« J’étais réticente à devenir un personnage du film, même si j’ai déjà joué des rôles dans mes films précédents. Vis-à-vis de celui-ci, je voulais maintenir une distance. Mais comme il était très compliqué de tourner avec ces personnages, j’ai dû devenir un élément du film, sans quoi il serait resté incomplet. Sur moi se reflète ‘le mal’, qu’on voit un peu moins affecter Helena, ce qui s’explique par son approche professionnelle des mafieux en tant que détective. Je comptais de toute façon rechercher un personnage de mon genre pour le film, quelqu’un du monde normal, pour accentuer le contraste. »
La police, la maffia et les gens ordinaires : les mondes si proches
Filmer dans un milieu qui s’apparente à un « quasi-monde », celui de la maffia, n’est pas une tâche facile. Petra Nesvačilová ne cache pas qu’il a parfois pu être difficile d’établir un rapport avec les anciens membres du gang. Le film montre également qu’elle a plusieurs fois été la cible de menaces.Un extrait de la Comédie humaine de Dante est cité dans le film car cette œuvre est présentée comme la lecture préférée de David Berdych, le leader du gang, le seul qui était encore incarcéré au moment du tournage. La réalisatrice entretient une correspondance épistolaire avec lui. Dans ses lettres, David Berdych évoque ses lectures et sa routine carcérale. Petra Nesvačilová filme également l’examen par un tribunal de sa demande de libération anticipée. Cette requête est enfin acceptée et la réalisatrice assiste alors avec son équipe de tournage à un des moments les plus déconcertants du film : la rencontre entre le méchant de l’histoire et la détective qui l’a envoyé derrière les barreaux. Il faut toutefois noter que David Berdych a collaboré avec la police après son arrestation et que ses révélations ont permis l’arrestation de plusieurs autres personnes. Néanmoins, le caractère détendu de cette rencontre et le rapport humain qu’ils entretiennent tous les deux peut en effet en surprendre plus d’un. C’est pourquoi nous avons demandé à Petra Nesvačilová plus de détails sur cet épisode :
« Helena Khánová et David Berdych ont décidé bien auparavant de se rencontrer. J’ai juste demandé l’autorisation de filmer ce moment. Cette situation montre à nouveau le principe du pardon et de l’acceptation. Pardonner est tellement important… Surtout pardonner à soi-même pour pouvoir pardonner aux autres. Cela montre à nouveau la proximité des mondes. Je me rappelle de ce moment où j’ai demandé à Helena Khánová si elle avait peur de David Berdych et elle a répondu que non. Pour moi, c’était un paradoxe et une des raisons de s’intéresser à cette histoire. Qu’est-ce que cela veut bien pouvoir dire ? »La vie curieuse du documentaire après le tournage
Dans le film, un autre des anciens malfrats vante les qualités de la jeune détective. Il témoigne de son respect pour Helena Khánová qui n’a ni accepté les pots-de-vin ni cédé face aux graves menaces des membres du gang. Néanmoins, la rencontre entre Helena et les autres protagonistes n’a pas eu lieu dans le film. Nous avons demandé à Petra Nesvačilová si les autres exprimaient, eux aussi, le souhait de rencontrer la détective :« Samopalník (le pseudo d’un des membres du gang, « le mittrailleur » en français, ndlr) voulait la rencontrer, mais Helena a refusé car il était l’un de ceux qui lui avaient envoyé des menaces de mort. Le soir de la première, certains gangsters étaient dans le public. Après la projection, Samopalník est venu voir Helena, il lui a demandé s’il pouvait lui serrer la main et elle a accepté. C’était une forme de satisfaction pour elle et je pense que c’était important pour lui aussi. »
Malgré la fin du tournage, la vie du film se poursuit de façon autonome, en permettant par exemple ce type de rencontres. La réalisatrice s’est également lancée dans des nouveaux projets, mais avec le documentaire, des éléments peu communs surgissent parfois dans son existence :
« D’un côté, il y a les projections-débats du film. D’un autre côté, il m’est arrivé récemment d’être convoquée au commissariat de police pour déposer un témoignage car un des protagonistes du documentaire est en prison. Quand la police m’a appelé, j’ai pensé que mes amis me faisaient une blague. Mais finalement, j’ai cru à l’appel et je suis allée à la police. J’ai dû y laisser le film, mais évidemment, je ne savais pas du tout ce qui pouvait les intéresser. J’ai dit aux policiers que j’espérais que les autres protagonistes auraient un comportement impeccable car sinon je vais passer ma vie dans des commissariats. Mais cela fait partie d’un documentaire qui appartient au monde du réel. »Diplômée de la FAMU à Prague, Petra Nesvačilová est à la fois réalisatrice (elle a tourné près de dix films), et actrice (on peut la voir dans une trentaine de films). Le documentaire Zákon Helena, dont le tournage s’est étalé sur quatre ans, permet de combiner ses deux talents. Même si nous avons réalisé notre entretien en tchèque, Petra Nesvačilová est également apparue dans une coproduction franco-tchéco-belge de 2015, le film « Marguerite » de Xavier Gianolli dans lequel elle jouait une chanteuse d’opéra allemande. Elle a partagé avec nous certaines répliques que nous avons décidé de ne pas retranscrire pour épargner à nos lecteurs du langage quelque peu vulgaire. Nous laissons tout de même à nos auditeurs le plaisir de les découvrir.