Ztohoven, bientôt dix ans de points d’interrogation
Au tournant de l’année 2012-2013, cela fera dix ans que le groupe Ztohoven aura lancé sa première opération dans l’espace public, en transformant un grand cœur en néon rose en immense point d’interrogation. L’interrogation, un principe à la base de toutes leurs actions depuis cette époque, une interrogation pour secouer les choses établies, pour mettre en lumière ce qui peut être pourri dans le royaume d’ici-bas. A l’occasion de leur dernier coup d’éclat, cette fois, en pleine Chambre des Députés, retour sur dix années de farces et attrapes plus que réfléchies.
En 2005, les spectateurs de la télévision publique découvrent avec stupéfaction dans un programme matinal où la campagne est filmée en direct par des caméras téléguidées, une explosion atomique au milieu de ce paysage bucolique. Ce hacking de la télévision tchèque fait connaître les Ztohoven hors des frontières de leur pays. Depuis cette opération censée pointer du doigt la manipulation des médias, ils ont continué leur bonhomme de chemin.
Dernier coup d’éclat en date : le 5 juin dernier, lors de l’audition de David Rath, devant le Parlement réuni pour décider de la levée de l’immunité du député social-démocrate soupçonné de corruption. Là, en cours de séance, les députés reçoivent des SMS, apparemment venus de leurs collègues, faisant les louanges d’un projet de réforme moral, ou encore faisant leur mea culpa sur leur comportement passé. Le lendemain, les Ztohoven publient sur le site web, leur manifeste, appelant à un renouveau moral du monde politique. Un des membres du groupe qui se fait appeler Petr Žílka, évoque pour nous l’objectif de cette action :
« Un des objectifs était d’abord de montrer la fragilité des systèmes de télécommunication : nous avons montré combien il était simple de détourner le système de sms spoofing, c’est-à-dire d’usurpation d’identité pour les sms et de mettre les gens dans l’embarras. Nous avons montré que nous pourrions très simplement faire du tort à quelqu’un. Nous aimerions que les hommes politiques qui nous ont critiqués se rendent compte que cet instrument aurait pu faire du mal mais que nous avons décidé de ne pas choisir cette voie négative. »Message reçu en tout cas, au moins pour le premier ministre Petr Nečas qui, s’il n’a pas réagi sur le fond de la réforme morale, s’en est tenu à la partie émergée de l’iceberg, celle d’un problème de sécurité du côté des opérateurs. Tout comme la vice-premier ministre Karolína Peake :
« Je prends cela comme une blague. Et je ne me suis pas sentie en danger pour autant. D’un autre côté, il est extrêmement surprenant de voir comme il est facile de pirater les téléphones portables. »
En attendant, peu nombreux sont ceux qui se sont arrêtés sur le message de cette nouvelle action. Petr Žílka :
« Nous n’avons évidemment voulu causer de tort à personne, et c’est là qu’intervient le deuxième thème de ce projet : la réforme morale. Il s’agit de l’expression de l’opinion de tous les membres du groupe contre la situation politique tchèque. Nous voulions exprimer notre mécontentement et notre inquiétude : lors des dernières élections, les citoyens tchèques ont clairement montré qu’ils ne voulaient plus d’une politique basée sur la corruption et le clientélisme. Or, même s’ils ont voté différemment, cela n’a pas marché : les hommes politiques n’ont pas changé et au contraire, ils continuent de se comporter de manière louche. »Les Ztohoven affirment que le choix de la séance d’audition de David Rath est un hasard, le projet étant préparé depuis bien plus longtemps. Mais admettent qu’évidemment, le cas de cet homme politique en vue et soupçonné d’abus de biens publics tombait à pic… Si certains hommes politiques interrogés après l’échange de SMS ont trouvé au mieux l’idée plutôt plaisante, sinon, l’ont pris comme une blague de potache, cela n’a pas été le cas de tous les projets du groupe.
Pour mémoire, le champignon atomique avait donné lieu à une plainte de la part de la télévision tchèque suivi d’un procès qui avait débouché sur un acquittement. Plus proches de nous, le projet Občan K. (Citoyen K.) qui avait vu ses membres falsifier des photos d’identité et se faire établir de vrais faux papiers a failli leur coûter cher, la police criminelle étant chargée du dossier, avant que celui-ci ne repasse finalement à un tribunal administratif.En attendant, le projet des SMS et de la réforme morale semble, près de dix ans après le premier projet des Ztohoven, fermer une boucle : en 2003, le groupe dissimule une partie du grand cœur rose en néon, œuvre du sculpteur Jiří David, à l’occasion de la fin du mandat de Václav Havel. Le cœur devient point d’interrogation. Une façon de se demander où va aller le pays, après la période Havel. La « réforme morale » du monde politique est un principe que n’aurait pas renié l’ancien président et ancien dissident, décédé en décembre dernier. Alors les Ztohoven, enfants de la révolution de 1989 et de l’héritage de Havel ? Oto Horsi, membre de Ztohoven :
« Evidemment, c’est difficile à dire pour tous les membres du groupe. Mais je pense que ce thème résonne en nous quelque part, de même que les prises de positions de Václav Havel. Nous sommes à coup sûr les enfants de cette génération qui, à un moment donné, s’est retrouvée à l’âge adulte au moment de la révolution de velours. Je pense que cela nous a tous influencés. »Guerilla art. Artistes activistes. Collectif de hackers artistiques. Derrière ces définitions dont aucune n’est réellement adaptée, se cache une autre réalité : celles d’un groupe de personnes d’horizons différents, artistes, mais aussi étudiant en droit, tatoueur, ou autre, qui tous ont pour point commun de ne pas se satisfaire de la société telle qu’elle est, préférant remettre en question les choses qui posent problème. Alors qu’on dit les Tchèques souvent apathiques, les Ztohoven, eux, s’engagent dans le débat de société, quand bien même se défendent-ils d’être politiques. Petr Žílka :
« Quand on parle de politique, on est en terrain glissant. Nous essayons d’être apolitiques dans le sens où nous ne nous réclamons d’aucun parti, d’aucune philosophie politique existante. Vous trouverez au sein du groupe des point de vue très différents sur la politique : des gens de gauche, des gens de droite… Donc il n’est pas possible d’avoir une position politique unique. D’un autre côté, tous nos projets sont politiques dans le sens large du terme, parce qu’ils parlent de sujets qui nous concernent tous. Nous ne disons pas quel est notre point de vue, ni comment les choses devraient être mais nous essayons de poser les bonnes questions, de proposer un miroir à la société afin qu’elle ait la possibilité de voir la réalité sous un autre angle et par conséquent de susciter un débat. »
Détesté par certains membres de la communauté artistique, ou au contraire adulé par d’autres, le groupe Ztohoven ne laisse en tout cas personne indifférent. Avançant masqués à la façon de Zorro, mais sans être pour autant des vengeurs ou des Robins des bois des villes, les Ztohoven sont plutôt les héritiers spirituels des Rychlé Šípy (Les flèches rapides), les héros d’une bande-dessinée tchécoslovaque créée en 1938, mettant en scène une bande de jeunes garçons, liés par l’amitié et la fraternité, qui vivent ensemble de nombreuses aventures.
Certains des membres du groupe sont passés autrefois par des organisations de jeunesse où l’on apprend tôt à camper, survivre dans les bois, à vivre en-dehors de la société. D’autres ont été tagueurs, sprayeurs durant les années d’adolescence. Une façon de connaître la vie, mais aussi de savoir comment se lancer dans une aventure sans être pris.
Venu l’âge adulte, les jeux de l’adolescence se sont faits plus sérieux, sur des sujets plus « graves », mais toujours avec un regard décalé. A bientôt près de dix ans de leur existence, comment le collectif Ztohoven voit-il rétrospectivement cette décade de projets et d’actions coup de poing. Oto Horsi suivi de Petr Žílka :
« Nous regardons ce que nous avons fait, en prenant de la distance. Il y a eu de nombreux projets donc on peut aussi les comparer, voir que certains thèmes sont récurrents et qu’ils relient les projets entre eux. »« Je ne suis pas dans le groupe depuis longtemps et je suis le plus jeune du groupe mais pour moi c’est intéressant de suivre les discussions sur les projets passés et de voir que les différents projets vont ensemble, qu’ils créent une sorte de fil rouge qui depuis le premier jusqu’au dernier, forme un ensemble logique. Les différentes opérations sont beaucoup plus intéressantes vues d’ensemble qu’individuellement. D’ailleurs nous sommes en train de refaire tout notre site web dans ce sens, pour présenter au public l’ensemble de nos activités et susciter la réflexion et la discussion. »
Réfutant les rumeurs d’un départ de la figure de proue du groupe, l’artiste Roman Týc, récemment sorti d’un mois de prison pour son relookage de feux piétons, les membres du groupe Ztohoven préfèrent avancer qu’à coup sûr, les dix ans du groupe seront l’occasion d’un nouveau projet…