5) Le Musée du rideau de fer de Rozvadov aborde des valeurs sans frontières
Situé dans la petite commune de Rozvadov, à la frontière avec l’Allemagne, le Musée du rideau de fer offre aux visiteurs sa riche collection d’objets en tous genres datant de l’époque de la guerre froide. Il invite également à réfléchir au mot « frontière » à la lumière de valeurs humanistes.
Projet amateur partant d’une volonté de « comprendre le passé pour parvenir à comprendre l’avenir », le Musée du rideau de fer de Rozvadov occupe le rez-de-chaussée d’un bâtiment situé à la frontière qui a partagé l’Europe en deux pendant quatre décennies. Son directeur, Václav Vítovec, évoque son histoire :
« Le musée se trouve au niveau de l’ancien passage entre l’Europe orientale et l’Europe occidentale le plus fréquenté. Côté allemand se trouve la petite ville de Waidhaus, côté tchèque, c’est la commune de Rozvadov. Le bâtiment où est installé le musée servait à la douane, aux contrôles des passeports et probablement au service de contre-espionnage, qui surveillait les mouvements à la frontière. A une cinquantaine de mètres d’ici, on voit le ruisseau qui délimite la frontière ; on y trouve des restes de fils barbelés ainsi que la dernière clôture existante, qui empêchait d’entrer sur le territoire tchèque depuis l’Europe de l’Ouest – mais cela arrivait rarement ! Elle empêchait surtout les Tchèques de fuir à l’Ouest. Il s’agit du dernier bâtiment du genre dans le pays. Cent mètres plus loin commence le territoire de l’ancienne Allemagne de l’Ouest. A l’heure actuelle, le rez-de-chaussée de ce bâtiment a été transformé en Musée du rideau de fer absolument unique. Nous y exposons quelque 1000 objets, possédons quelque 35 000 photos numérisées, et rassemblons toutes sortes d’informations sur la guerre froide et le rideau de fer. »
« C’est en 1946 que le terme ‘rideau de fer’ a été prononcé pour la première fois, par Winston Churchill, dans son célèbre discours de Fulton. Cependant, la vérité historique, c’est que le dignitaire nazi et chef de la propagande Joseph Goebbels l’avait employé avant lui. »
« Cela ne doit en aucun cas se répéter »
Mais rafraîchissons-nous un peu la mémoire : le rideau de fer désigne la séparation – tout d’abord idéologique, puis ensuite physique – qui s’est installée en Europe après la Seconde Guerre mondiale, entre la zone sous influence soviétique, à l’est, et les pays d’Europe de l’Ouest. Václav Vítovec rappelle le contexte de l’apparition de ce rideau de fer ainsi que la chronologie des conflits internationaux de la guerre froide :
« A la fin de la Seconde Guerre mondiale s’est tenu le procès de Nuremberg. Ses conséquences sont bien connues : quelque 17 responsables de l’Allemagne nazie ont été exécutés. Mais le grand paradoxe de la Seconde Guerre mondiale, c’est qu’une fois la guerre terminée, les Alliés d’alors – à savoir les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Union soviétique – s’en sont pris les uns aux autres avec une force incroyable. La guerre froide et l’armement qu’elle a impliqué ont coûté des sommes pharamineuses. Les armes nucléaires, qui ont été développées, testées et essayées, sont inutilisables : elles n’ont pas de sens d’un point de vue militaire ; de plus, le pays théoriquement vainqueur serait en pratique anéanti, tout comme le pays vaincu. »
« A travers nos expositions, nous souhaitons que les visiteurs réalisent que la guerre froide a été une succession de conflits : dans les années 1950, la guerre de Corée ; en 1953, l’insurrection en Allemagne de l’Est ; en 1956, celle de Budapest ; en 1968, le Printemps de Prague ; de 1961 à 1965, la guerre du Vietnam… La Guerre froide était une aberration. Cela ne doit en aucun cas se répéter. »
Victimes civiles et militaires
En République tchèque, si c’est dès 1948 que le rideau de fer a commencé à être mis en place, ce n’est qu’en 1952-1953 qu’il a véritablement été rendu impénétrable. Et ce en réaction aux nombreuses fuites de particuliers vers l’Europe de l’Ouest. Dès lors, des clôtures de fils barbelés et de fils électriques ont condamné ces frontières rigoureusement surveillées. Civiles ou militaires, nombreuses sont les personnes à y avoir laissé leur vie, comme le rappelle Václav Vítovec :
« Dans cette partie du musée, nous avons installé des armes de la période communiste en Tchécoslovaquie ainsi que des armes du système occidental. Symboliquement, elles sont braquées les unes vers les autres. Nous exposons également des panneaux indiquant ‘Attention : frontière’ ou ‘Danger : sous tension’. Pendant les 42 années qu’a duré le rideau de fer, quelque 268 personnes tentant de passer illégalement la frontière ont été tuées par balle, et 686 soldats faisant leur service militaire se sont suicidés. C’était une époque de pression psychologique intense. Ça donne le frisson. »
Téléphone de Gustáv Husák
Au milieu des vitrines rassemblant, pêle-mêle, armes, décorations, vaisselle, panneaux de signalisation, plaques, insignes et vêtements militaires, entre des bibliothèques chargées de livres et des murs recouverts de photos d’époque, une image pieuse retient l’attention. Václav Vítovec explique son histoire :
« Cette image est le symbole du fait que le régime communiste ne savait pas s’accommoder de la religion. Pas très loin d’ici se trouve le village de Rájov ; du temps de la prise de pouvoir par les communistes, les images pieuses y ont été liquidées. Cette image a été offerte à notre musée par un monsieur qui l’avait sauvée de la destruction. On voit bien comment elle a été abîmée, salie… Les gens y ont mis des coups de couteau, ont jeté des pierres dessus, et même des excréments… Cela fait presque 80 ans, et ça y est encore. C’est le symbole du comportement du régime communiste envers les croyants. »
Autre pièce remarquable du Musée du rideau de fer de Rozvadov, l’un des cinq téléphones dit « à haute fréquence » que comptait alors le pays – et pas des moindres : il s’agit de celui de Gustáv Husák, président de la République tchécoslovaque de 1975 à 1989. La particularité de ce téléphone est qu’il ne pouvait être mis sous écoute.
Le musée de Rozvadov rend également hommage aux personnalités qui ont joué un rôle dans la fin du rideau de fer. Václav Vítovec :
« Ici, nous exposons les portraits des personnes qui ont contribué à détruire le rideau de fer. On ne saurait oublier Lech Wałęsa, Václav Havel, bien sûr, le pape Jean Paul II, Ronald Reagan, Margaret Thatcher, George Bush père, et puis Mikhaïl Gorbatchev, sans qui rien de cela n’aurait eu lieu… Et enfin, Madeleine Albright, François Mitterrand et Helmut Kohl. »
Si l’Europe n’est plus divisée par un rideau de fer depuis plus de trente ans, Václav Vítovec déplore cependant l’existence de rideaux de différents types ailleurs dans le monde :
« L’homme n’a pas appris de ses erreurs. Nous n’avons tiré aucune leçon de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre froide… Nous construisons de nouveaux rideaux de fer, entre Israël et la Palestine, entre la Corée du Sud et la Corée du Nord, entre le Mexique et les Etats-Unis, et en Europe, nous construisons des clôtures contre les migrants… Il ne s’agit pas d’un rideau de fer idéologique comme celui que nous avions ici, c’est un rideau de fer économique. Mais les résultats sont identiques, le genre humain ne s’est pas débarrassé des murailles, des rideaux de fer, de ce genre de chose… Rien n’a vraiment changé. »
Salle de méditation
Pour inciter les visiteurs du Musée du rideau de fer de Rozvadov à la réflexion, Václav Vítovec les invite à passer un peu de temps dans la dernière pièce du musée, appelée « salle de méditation » :
« Dans cette salle de méditation, nous invitons nos visiteurs à réfléchir à ce qu’ils pourraient faire pour les générations à venir, et à la façon dont ils pourraient rendre le monde meilleur, afin d’éviter les erreurs du siècle passé. Ensuite, ces visiteurs du monde entier nous laissent leurs messages. »
Outre celui de Rozvadov, il existe également un Musée du rideau de fer à Valtice, en Moravie, ainsi qu’un écomusée à Nové Hrady, en Bohême du Sud.
Par ailleurs, d’autres sites aux frontières tchèques avec l’Autriche ou l’Allemagne rappellent, au moyen de ruines préservées, de répliques, de croix ou de monuments, la présence et l’histoire du rideau de fer. Ils honorent ainsi la mémoire des lieux et de leurs anciens habitants, contraints d’abandonner leurs églises et leurs villages – d’ailleurs ensuite rasés – pour permettre la mise en place de zones tampon dans lesquelles l’accès était interdit. D’une largeur de 4 à 10 km, couvrant au total 1,5 % de la surface du territoire tchèque, ces « bandes frontalières » longtemps exemptes de toute intervention humaine offrent aujourd’hui une nature magnifique. Et d’ailleurs propre au recueillement et à la réflexion, dans l’esprit du Musée du rideau de fer de Rozvadov.
« Ici, nous entretenons la conviction que ce ne sont pas les monsieur et madame Tout-le-Monde, qui ne demandent qu’à vivre normalement, qui posent des problèmes. Ce sont les élites avides de pouvoir. L’une des devises de la Fondation du rideau de fer est une citation d’Albert Einstein : ‘La paix ne peut être maintenue par la force ; cela ne peut être réalisé que par la compréhension’. C’est une pensée à la valeur universelle et intemporelle. »