1,3 million d'utilisateurs de titres restaurant en République tchèque
Les titres restaurant, « stravenky » en tchèque, qu’ils soient désignés sous leurs noms commerciaux, Ticket restaurant, Chèque déjeuner ou encore Chèque restaurant, font partie de la vie courante de millions d’employés. Il s’agit d’un moyen de paiement scriptural utilisable uniquement dans des restaurants ou pour obtenir des biens alimentaires. Mais comment fonctionne ce système ? C’est ce que Daniela Pedret, responsable de la communication au sein de la société française Edenred, acteur majeur de ce secteur, explique au micro de Radio Prague.
« Les tickets, historiquement, existaient déjà ici dans les années 1950. Donc c’est quelque chose qui existe ici depuis très longtemps et il n’y a pas eu de problème à ce que cela continue après le changement en 1989. Les tickets en République tchèque, comme en France d’ailleurs, sont intéressants au niveau fiscal. Si on compare avec la France, l’idée principale était que les gens qui travaillent doivent manger le midi. »
Les titres n’ont donc pas été un choc culturel en République tchèque où trois sociétés, Edenred, Sodexo et une plus petite Chèque Déjeuner, se partagent ce juteux marché basé sur un avantage fiscal prévu par la loi pour les entreprises désireuses de faciliter le déjeuner de leurs employés. Les trois compagnies déjà citées fournissent donc des titres restaurant aux entreprises qui les redistribuent à leurs employés et s’attachent à créer un réseau de restaurants et de points de vente le plus large possible. Daniela Pedret donne quelques chiffres permettant d’évaluer le succès de ce système en République tchèque :
« Il y a 1,3 million d’employés qui utilisent ces titres en République tchèque. Notre société prend en charge un demi-million d’utilisateurs de tickets restaurant. Il faut dire que cet avantage fiscal concerne également les gens qui mangent dans des cantines. Cela veut dire qu’il y a en République tchèque 3,1 millions de personnes qui profitent de cet avantage fiscal dont 1,3 million pour les titres et un demi-million pour Edenred. »80% de la population active tchèque entre donc dans le champ d’application de cet avantage fiscal, qui consiste en fait en une défiscalisation de l’argent fourni par l’employeur à son employé. Daniela Pedret en précise les modalités de fonctionnement :
« En fait, la valeur est donnée par le code du travail. Aujourd’hui, la somme idéale pour l’imposition c’est 100 couronnes. Sur ces 100 couronnes, il y a 55% qui sont payés par l’employeur. Cette somme, qui représente 55,30 couronnes, est parfaitement libre de toutes les cotisations, qu’ils s’agissent des cotisations sociales, des cotisations de santé ou des impôts. »
Les 45% restant sont prélevés sur le salaire net des employés. Cette défiscalisation du travail ne va pas sans poser de questions. Si cet avantage fiscal est limité au cadre du repas, n’y-a-t-il pas un risque qu’il soit étendu à d’autres composantes du salaire, ce qui permettrait à l’employeur de se décharger davantage de ses cotisations patronales ? Aussi, il s’agit d’un manque à gagner pour l’Etat et à ce titre, la possibilité de revenir sur ce système a été envisagée de façon récurrente par les gouvernements successifs. En 2008, celui de Mirek Topolanek souhaitait ainsi supprimer les titres restaurant. Le projet n’avait pas abouti mais les manœuvres de lobbying, à la limite de la corruption, de la société Sodexo avait à l’époque largement terni l’image du secteur. Et quand le ministre des Finances Miroslav Kalousek a tenté à nouveau en 2011 d’avoir la peau de cet avantage fiscal, c’est par le biais d’études de marché que l’industrie des titres restaurant s’est défendue.
Ainsi, Daniela Pedret considère elle-même que les tickets restaurant s’inscrivent dans un cercle vertueux puisque, enquête à l’appui, elle affirme que les employés bénéficiant de ces titres se rendent en moyenne plus de 2,5 fois au restaurant par semaine, soit 50% de plus que les autres salariés. Ainsi, la santé économique de nombreux restaurants reposeraient sur ces coupons de papier. La responsable de la communication de la société Edenred cite une étude pour affirmer que sans les titres restaurant, l’industrie de la restauration perdrait sept milliards de couronnes par an (près de 276 millions d’euros). Elle nous donne de nouveaux chiffres :« On a fait des calculs avec l’Ecole supérieure d’économie (VSE) et ces études, qui ont été réalisées en 2009-2010 je crois, disent que le système des titres de l’Etat apportent au budget de l’Etat 400 millions de couronnes (environ 16 millions d’euros) en positif. Cela veut dire que si l’on prend en considération le chômage qui pourrait exister dans la restauration et le chiffre d’affaire que réalisent les restaurateurs, le système arrive à être positif pour le budget de l’Etat. »
Mais ce système est précaire puisqu’il dépend seulement de la pérennité de l’avantage fiscal prévu par la loi. En Hongrie, le gouvernement a tenté de s’attaquer à la situation monopolistique des firmes françaises sur ces titres. Les entreprises comme Endered ou Sodexo essaient par conséquent de diversifier leur offre avec l’introduction de nouveaux tickets donnant droit à d’autres prestations, des cartes prépayés ou des services via les téléphones portables. L’une des pistes envisagées est la dématérialisation de ces titres restaurant. C’est ce qu’explique Ratislav Škultéty directeur du développement pour Edenred à Prague :
« Nous croyons que la dématérialisation est le futur pour notre entreprise mais aujourd’hui le marché en République tchèque n’est pas prêt pour cette dématérialisation des tickets restaurant. Donc nous travaillons sur ce sujet mais je crois que cela deviendra une réalité seulement dans quelques années. »
Cependant, des critiques pointent du doigt le risque que pourrait représenter cette dématérialisation en matière de contrôle des employés par leur hiérarchie. Ce à quoi Rastislav Škultéty répond que la mise en place d’une carte à puce de ce type serait conditionnée au respect de la protection des informations des salariés.Il y a quelques semaines, un autre type de coupon a fait parler de lui. La mairie de la ville de Karvina, à l’est du pays, employait une vingtaine de personnes à l’entretien de la commune. En échange de quoi elle les rémunérait à l’aide d’un unique titre d’une valeur de 50 couronnes (deux euros), soit six heures de travail payées huit couronnes l’heure. La municipalité a précisé qu’il s’agissait de volontariat. Le titre reçu en échange ne serait donc pas une rémunération mais un « cadeau » offert en récompense pour les services rendus. Un cas similaire s’était produit à Chomutov où des travailleurs « bénévoles » recevaient 100 couronnes sous forme de titre par journée travaillée. La mairie de la ville avait été contrainte de suspendre cette expérimentation.
Daniela Pedret dit ne pas avoir eu vent de cette affaire mais suppose qu’il ne s’agit pas de tickets restaurant mais peut-être de tickets service, dont elle nous précise l’usage :
« Ce ticket est reçu par des gens désignés par l’Etat, des gens socialement fragiles. C’est vraiment l’Etat qui décide que certaines personnes ont besoin d’aides de l’Etat. S’il y a un risque que la personne abuse de l’argent en espèces, on peut la lui donner en tickets. Par exemple, si un père de famille est au chômage et qu’il y a un risque qu’il utilise cet argent en alcool ou dans des machines à sous, dans ce cas là, il reçoit ce titre avec lequel il peut seulement se procurer de la nourriture pour sa famille. Donc, c’est vraiment quelque chose qui permet de contrôler les aides d’Etat pour les gens socialement fragiles. »
Un peu comme avec la carte bancaire dite « sociale », la S-Karta : il s’agirait d’un système visant à déresponsabiliser les personnes en difficultés, lesquelles ne seraient pas capables de déterminer tout seul ce qui est bon pour elles. Le titre service est cependant bien moins répandu que son homologue destiné à la restauration. Le plus souvent, les employés tchèques reçoivent 70 couronnes (2,76 euros) sous cette forme par journée chômée.