1968 : la Russie veut de nouveau réécrire l’histoire
La République tchèque falsifie l’histoire des relations avec la Russie. C’est du moins ce qui se dit ces derniers jours du côté de Moscou qui accuse l’Occident d’interpréter des événements clés de l’histoire russe de manière erronée. Et parmi eux également l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968.
Si cette interprétation largement acceptée est soutenue notamment par une équipe tchéco-russe des historiens constituée pour examiner ces événements, Moscou voit les choses autrement. Le Kremlin serait persuadé d’être victime d’une guerre de l’information menée par l’Ouest qui falsifie différents moments clés de l’histoire du pays, dont notamment la révolution bolchévique, la Deuxième Guerre mondiale ou justement le rôle des Soviétiques dans les « crises en Europe centrale ».
Selon le journal Kommersant qui a publié ces informations, des experts du Conseil de sécurité de Russie, le plus important organe consultatif du président Vladimir Poutine, ont pour cette raison recommandé de mettre en place une commission spéciale dont l’objectif serait de lutter contre ces « falsifications » de l’histoire. Une proposition qui déplaît au ministre tchèque des Affaires étrangères, Lubomír Zaorálek :« Je refuse catégoriquement que la République tchèque mène une sorte de guerre. Nous sommes intéressés par la vérité historique. Nos historiens ont fait un travail intéressant et précieux. »Quelle est donc selon le Kremlin la bonne interprétation des événements d’août 1968 ? Le journal se tait sur le sujet. Les tentatives de la part des Russes de changer la perception de ce chapitre de l’histoire ne sont pourtant pas nouvelles, et ce même si plusieurs présidents ont par le passé assumé la responsabilité morale du pays pour l’invasion de la Tchécoslovaquie. L’an dernier, un documentaire présentant l’arrivée des Soviétiques plutôt comme une « aide fraternelle » a ainsi été projeté à la télévision publique Rossiya 1. Président de l’association Gulag.cz et employé de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires, Štěpán Černoušek revient sur cet épisode :
« Le documentaire présente des ‘vieux mensonges’ de l’Union soviétique communiste. Il indique notamment que l’intervention a permis d’empêcher un coup d’Etat en Tchécoslovaquie préparé par l’OTAN qui avait ses chars à la frontière allemande, que des dépôts d’armes étaient en Tchécoslovaquie, que les soldats soviétiques ont été bien accueillis par les citoyens tchèques et qu’ils ont ainsi empêché le déclenchement de la Troisième Guerre mondiale. Bref, que l’Union soviétique a apporté la paix dans le pays. On peut donc supposer que si une commission est créée auprès du Conseil de sécurité de Russie, l’interprétation de ces événements pourrait aller dans ce sens. »« De mon point de vue, il s’agit d’une tendance de l’Etat russe d’avoir le contrôle sur l’interprétation de son histoire. Cette tendance vise à renforcer la conscience nationale grâce à la présentation du rôle positif de l’Union soviétique, car la Russie de Vladimir Poutine fait souvent référence à l’Union soviétique. M. Poutine a d’ailleurs lui-même indiqué que la dislocation de l’URSS avait été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. En gros, il y a une tendance visible de la part de l’Etat, qui intervient par exemple contre les historiens indépendants, de présenter l’histoire russe de manière positive. »
A en croire les médias, les efforts des élites politiques russes pour lutter contre ce qu’ils considèrent être des interprétations erronées sont salués également par de nombreux historiens russes. Cependant, il en existe aussi certains qui s’opposent complétement à ce débat médiatique et qui refusent toute éventuelle modification de la position de l’Etat vis-à-vis des événements en Tchécoslovaquie. C’est le cas par exemple du politologue Vadim Trukhachev :« La Russie considère officiellement ces événements comme une erreur tragique qui a abouti à une aggravation des relations entre l’Union soviétique et la Tchécoslovaquie. »
La conduite du Conseil de sécurité de Russie invite pourtant à penser les choses autrement. Cette institution a en effet appelé à élargir sa campagne dans d’autres pays post-communistes et dans les « régions frontières ».