20 ans après la dissolution de la Tchécoslovaquie : un bilan contrasté des attitudes européennes des deux pays (I)

20 ans après la dissolution de la Tchécoslovaquie, les deux nouveaux Etats semblent avoir adopté des attitudes opposées vis-à-vis de l’Union européenne. Si la Slovaquie a adopté l’euro et participe à toutes les grandes initiatives européennes, la République tchèque est bien plus connue pour son euroscepticisme et se montre réticente quant à l’approfondissement de l’intégration. Un regard sur le bilan de la dissolution de la Tchécoslovaquie permet de mettre en perspective les positions européennes des deux pays.

Source: Radio Prague Int.
Vu les différences dans les politiques européennes en République tchèque et en Slovaquie, il est légitime de s’interroger sur les facteurs qui ont influencé cette évolution divergente. On peut rappeler le fameux titre du journal Respekt qui au moment de la dissolution invitait la République tchèque à aller « toute seule en Europe » ou de concert avec la Slovaquie « vers les Balkans. » De ce point de vue, il y a une sorte de renversement des rôles des deux Etats. Initialement la République tchèque affirmait son objectif européen et vantait ses chances d’entrer dans l’Union européenne avant tous les autres. Aujourd’hui elle est davantage un outsider tandis que la Slovaquie s’y intègre pleinement.

Commençons par constater qu’il y a bien des différences dans les politiques étrangères des deux pays. David Cadier, spécialiste de l’Europe centrale et orientale à la London School of Economics, remarque que la République tchèque est plus atlantiste et plus pro-israélienne, tandis que la Slovaquie est souvent moins critique envers la Russie, comme on a pu le voir pendant la crise géorgienne. Mais la différence la plus prégnante reste l’attitude envers l’Union européenne, David Cadier :

« Il existe des différences dans les choix des politiques étrangères de la République tchèque et de la Slovaquie. Pas des différences majeures, mais en tous les cas des différences qui méritent qu’on s’y attarde. La première et la plus évidente est la relation à l’Union européenne. La Slovaquie a adopté l’euro alors que le gouvernement tchèque refuse ne serait-ce que de fixer un calendrier pour adopter l’euro. Plus récemment, la République tchèque a refusé de signer le pacte budgétaire européen. Elle est le seul pays avec la Grande Bretagne à avoir refusé de prendre part à ce mécanisme européen. »

Photo: Štěpánka Budková
Pour Grigorij Meseznikov, directeur de l’Institut pour les questions publiques de Bratislava, l’orientation pro-européenne de la Slovaquie se matérialise surtout dans l’adoption de l’euro qui a été décidée avant même l’entrée slovaque dans l’Union européenne :

« Pour la Slovaquie, l’entrée dans la zone euro était très importante du point de vue de l’amélioration des conditions de développement de l’économie nationale. Elle signifiait une mise en place d’une politique fiscale plus responsable et de réformes. Ainsi, l’adoption de l’euro était stratégique d’autant plus que cette décision a été prise avant que la Slovaquie n’entre dans l’Union européenne. Il a été décidé qu’au moment de l’adhésion pleine et entière, la Slovaquie entrerait dans l’espace Schengen et adopterait la monnaie commune. »

« Les attitudes européennes de la Slovaquie sont présentées de manière plus cohérente que celles de la République tchèque. Ceci est dû notamment au fait que tous les partis politiques slovaques classiques sont d’accord sur la nécessité d’une solution solidaire à la crise de l’euro. »

Que peut nous dire le divorce tchécoslovaque sur les attitudes européennes de la Slovaquie ? Milan Šimečka du journal Respekt souligne que c’est surtout l’expérience de l’autoritarisme du nouvel Etat slovaque après la division du pays qui a ensuite favorisé une volonté forte d’intégration à l’Union européenne. La Slovaquie a été critiquée pour la dérive autoritaire du gouvernement Mečiar par l’Union européenne qui a considéré en 1997 que le pays ne remplissait pas les critères de Copenhague nécessaires à une candidature à l’entrée dans l’Union européenne. Ainsi, elle a été exclue du premier rang des candidats tandis que tous ses voisins en faisaient partie.

La prise de conscience de cette marginalisation internationale a favorisé la victoire électorale de l’opposition en 1998 et a permis d’entamer un processus de démocratisation. Milan Šimečka met l’évolution des années 1990 en perspective avec l’européisme slovaque d’aujourd’hui :

Photo: Commission européenne
« La différence principale dans la perception de la dissolution par les deux nations était dans l’importance que les Slovaques accordaient à la création de leur nouvel Etat. S’ils se sentaient comme des frères mineurs au sein de la Tchécoslovaquie, ils pouvaient désormais bâtir leur propre Etat pour la première fois dans leur histoire. Cette expérience a été dramatique notamment au niveau psychologique. Les Slovaques ont compris que le monde n’était pas un lieu accueillant et qu’ils n’arrivaient pas à mettre de l’ordre dans leur nouvel Etat. Les premières années ont surtout été caractérisées par un glissement vers l’autoritarisme qui a conduit à ce que la communauté internationale pointe du doigt la Slovaquie. »

« Cette transition dramatique a permis aux Slovaques de comprendre leur position de même que le fait que leur acceptation par la communauté internationale et par l’Union européenne était subordonnée aux changements profonds qu’ils avaient à lancer. Au bout de six ans, Mečiar a perdu les élections et les nouveaux hommes politiques ont dû recommencer à zéro. C’est à ce moment là que la Slovaquie a pris le chemin de l’intégration européenne. Tout cela, ce sont des expériences qui ont poussé les Slovaques à réfléchir sur leur nouvel Etat et sur leur sort en général. »

Grigorij Meseznikov rejoint l’analyse de Milan Šimečka et ajoute qu’au niveau de la société le sentiment d’appartenance à l’Europe est partagé en République tchèque comme en Slovaquie.

« La question de l’attitude envers l’Union européenne a mon sens divise surtout les représentants politiques des deux pays. Personnellement je ne pense pas qu’il y ait une grande différence dans le sentiment d’appartenance à l’Europe parmi la population. En Slovaquie, la différence vient du fait que l’Union européenne a joué un rôle crucial dans le développement politique interne. Le refus de l’Union européenne de lancer les négociations avec la Slovaque non-démocratique a fait d’elle un garant important de la stabilité démocratique et économique du pays. »

L’européisme slovaque serait donc le résultat de la période de transition démocratique qui a fait comprendre à l’opinion publique comme aux élites politiques slovaques l’importance de l’Union européenne en tant que garante de la stabilité du pays. Dès lors, la Slovaquie s’est pleinement engagée dans les structures de l’Union et a participé à tous les projets visant à l’approfondissement de l’intégration.

Le sort de la République tchèque, surprenant pour certains, fera l’objet d’une prochaine rubrique Panorama.