30 ans après la partition de la Tchécoslovaquie, les étudiants slovaques « comme chez eux » en Tchéquie
Etudier en Tchéquie est une expérience prisée par les jeunes Slovaques qui représentent la majorité des étudiants étrangers inscrits dans les écoles supérieures tchèques. Quelles sont leurs motivations pour venir étudier à Prague et plus encore à Brno et comment les universités tchèques les accueillent-elles ?
« Je suis originaire de Bratislava. J’ai choisi de faire des études de réalisation à l’école de cinéma de Prague. Cet art est en quelque sorte une tradition dans notre famille. »
Agé d'une vingtaine d'années, Sebastián avait une raison particulière pour venir étudier à la FAMU, l’école supérieure de cinéma de Prague. Son père, le réalisateur slovaque Martin Šulík, auteur de nombreux films remarqués à l’international, comme « Le Jardin », « Tzigane » ou « The Interpreter », enseigne à l’école de cinéma de Bratislava (VŠMU). Pour éviter tout conflit d’intérêt, son fils a décidé de se former dans le même métier à Prague. Mais ceci n’était pas son unique motivation :
« J’envisageais d’autres possibilités également. Mais finalement, j’ai choisi Prague, parce que la FAMU a une très bonne réputation. Et aussi parce que pour les Slovaques, la République tchèque est proche linguistiquement et culturellement. »
« Je me plais à Prague, c’est un centre culturel beaucoup plus important que Bratislava. Les multiples influences culturelles et artistiques se reflètent sur les gens, sur la façon dont ils interagissent, sur leurs diverses approches de la réalité. Les Tchèques me semblent avoir davantage confiance en eux que les Slovaques. Cela s’explique peut-être justement par leur background culturel. »
Plus d’étudiants slovaques en Tchéquie qu’inversement
Environ 47 000 étudiants étrangers étudient actuellement dans les écoles supérieures publiques en République tchèque, dont environ 21 000 sont originaires de Slovaquie. Cela représente près de 8,5 % du nombre total d’étudiants Tchéquie.
La situation se présente tout autrement en Slovaquie : au milieu des années 2000, les statistiques faisaient état de 400 étudiants tchèques seulement inscrits dans les universités slovaques. Ils y étaient alors moins nombreux que les étudiants grecs et norvégiens. Depuis, leur nombre a augmenté pour s’élever à quelque 4 000 étudiants tchèques en Slovaquie, selon les statistiques de l’UNESCO de 2018, ce qui représente environ 4% de tous les étudiants en Slovaquie.
Brno d’abord, Prague ensuite
En République tchèque, ce n’est probablement pas sa capitale, mais sa deuxième ville, Brno, géographiquement plus proche de la Slovaquie, qui accueille le plus d’étudiant slovaques : en 2017, ils étaient près de 5 300 à étudier à l’Université Masaryk, représentant 17% de ses étudiants. « Les étudiants slovaques sont surtout intéressés par la faculté d'informatique, où ils représentent la moitié des étudiants » avait alors déclaré la porte-parole de l’université. « Je ne me sens pas comme une étrangère à Brno, où j’ai beaucoup d'amis de Prešov, où je suis née », a confié, il y a quelques années de cela, Lenka, étudiante slovaque de la Faculté des sciences sociales, au magazine Reflex, en ajoutant : « La première année, j'ai étudié en même temps dans une université en Slovaquie et à l'Université Masaryk. A Brno, l’approche des enseignants et les études elles-mêmes sont nettement meilleures. Les cours ne se résument pas à la théorie, comme c'était le cas en Slovaquie ».
Markéta Martínková nous explique la situation à l’Université Charles de Prague, où elle occupe le poste de vice-rectrice :
« Au cours de cette année universitaire, un peu plus de 3 800 Slovaques étudient à l’Université Charles. Notre université, qui se range parmi les 26 établissements d’enseignement supérieur public en République tchèque, compte près de 50 000 étudiants. Donc la proportion d’étudiants slovaques est d’environ 7%. »
« Cette proportion varie selon le niveau d’études. Par exemple, 10% d’étudiants en doctorat sont slovaques, ce qui correspond à environ 600 personnes, tandis que dans les programmes de licence, nous recensons près de 5% d’étudiants slovaques. Ce pourcentage reste le même en ce qui concerne les programmes de suivi du master. En revanche, il approche les 9% dans les programmes de master de longue durée, proposés par exemple par les facultés de médecine ou de droit. »
Quelles sont les conditions d’études pour les étudiants slovaques en Tchéquie ? Peuvent-ils, par exemple, rendre leurs travaux ou passer des examens dans leur langue maternelle, étant donnée la proximité des langues tchèque et slovaque ? Markéta Martínková :
« Avec la langue slovaque, c’est un peu compliqué. Jusqu’en janvier 2012, un mémorandum signé par les représentants tchèques et slovaques mettait sur un pied d’égalité les deux langues en République tchèque. Nos étudiants slovaques pouvaient donc en bénéficier. Néanmoins, depuis dix ans maintenant, ce n’est plus le cas et tous les étudiants qui suivent des cours en tchèque doivent aussi rendre leurs travaux et passer des examens en tchèque. Toutefois, je sais que des exceptions sont possibles : certains enseignants acceptent que les étudiants slovaques s’expriment dans leur langue maternelle. Mais à vrai dire, c’est de moins en moins fréquent, étant donné que les enseignants plus jeunes ne comprennent pas bien le slovaque. »
Rédiger son mémoire en tchèque
« Pour les mémoires de licence et de maîtrise, les règles sont assez strictes : ils doivent être rédigés en tchèque. Quand un étudiant slovaque n’y arrive pas, on lui propose de l’écrire en anglais par exemple. Mais là encore, ce sont des cas exceptionnels. Personnellement, je dirige le programme d’études de biochimie. Je sais qu’en cas de difficultés, nos étudiants slovaques s’adressent à leurs collègues de laboratoire tchèques qui relisent et corrigent leurs travaux. Ils se débrouillent très bien. »
Pour Sebastián Šulík, étudiant à la FAMU, la question de la langue ne se pose pas vraiment :
« Le fait que je sois un Slovaque vivant à Prague ne joue aucun rôle dans mes études. Dans le domaine du cinéma, je ne me pose pas de questions sur les influences tchèques ou slovaques. En plus, à la FAMU, nous utilisons ce que nous appelons ‘un langage cinématographique’ qui est universel. Car le film est un médium qui a sa propre langue, ses propres moyens de communication. Evidemment, dans ma façon de réfléchir, de percevoir le monde, se reflètent les expériences que j’ai faites en Slovaquie et ici, en Tchéquie. Je me sens plus particulièrement influencé par ma famille : j’ai eu la chance de grandir dans un milieu cultivé et érudit, j’étais toujours entouré de gens ouverts d’esprit. C’est ça qui m’a formé. »
A Bratislava, j’ai grandi avec des livres tchèques
« Beaucoup de jeunes Slovaques, nés après la chute du régime communiste, comprennent le tchèque sans problème. En revanche, il m’arrive souvent que les Tchèques de mon âge ne me comprennent pas. Ce que je trouve plutôt amusant. »
« Moi-même, j’ai grandi avec la Télévision tchèque et des livres tchèques, de même que beaucoup de jeunes Slovaques de ma génération. La culture tchèque nous est très proche et je pense que c’est aussi la raison pourquoi tant de jeunes Slovaques choisissent de faire leurs études en Tchéquie, à Brno en particulier. »
Markéta Martínková de l’Université Charles ajoute encore un détail important qui fait de la Tchéquie la destination privilégiée des étudiants slovaques :
« L’enseignement est gratuit pour tous les étudiants inscrits dans des programmes dispensés en tchèque. C’est sans doute une grande motivation pour les jeunes Slovaques. Nos pays sont toujours très proches, nos institutions sont habituées à collaborer depuis très longtemps. Cette absence de frais de scolarité augmente encore l’attrait qu’a la République tchèque aux yeux d’étudiants slovaques. »
L’Institut tchèque des statistiques rappelle que grâce à cet afflux d’étudiants slovaques en Tchéquie, la Slovaquie a la deuxième plus grande part d’étudiants ayant étudié à l'étranger en 2018 parmi les pays de l’OCDE, après le Luxembourg. Un afflux de cerveaux dont la Tchéquie profite certainement : d’après les recherches menées par le Centre tchèque pour la politique d’éducation, ce sont les meilleurs étudiants slovaques qui visent les universités tchèques. Près de la moitié d’entre eux resteraient en Tchéquie après avoir obtenu leur diplôme.
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