300 ans depuis la mort du plus italien des architectes tchèques et inventeur du « baroque gothique »

L’église Saint-Jean-Népomucène à Zelená hora

Le 7 décembre 1723 disparaissait à Prague Jan Blažej Santini Aichel, créateur d’un nouveau style d’architecture, le baroque gothique, et auteur de plus de 80 projets dont deux, l’église Saint-Jean-Népomucène de Žďár nad Sázavou et l’église de l’Assomption de Sedlec à Kutná Hora, sont classés au patrimoine de l’UNESCO.

C’est particulièrement visible à Prague au regard de la présence si importante d’édifices baroques : il y flotte souvent, notamment à certaines saisons, un petit air d’Italie… Et pour cause, avec la Contre-Réforme qui a suivi les sanglantes guerres de religion, l’avènement du style baroque en pays tchèques s’est fait notamment avec l’appui de nombreux artistes italiens venus exercer leurs talents un peu partout en pays tchèques.

Le monastère de Kladruby | Photo: Martina Schneibergová,  Radio Prague Int.

D’italien, Jan Blažej Santini Aichel dont on commémore le tricentenaire de la mort, a conservé le nom et l’héritage familial, lui dont le grand-père, tailleur de pierre, est né dans le nord de l’Italie, près du lac de Lugano, et est arrivé en Bohême dans les années 1630. Jan Blažej Santini Aichel est donc représentant de la troisième génération de cette émigration de talents : handicapé par une paralysie partielle, la carrière de tailleur de pierre de Santini est loin d’être toute tracée. Il étudie la peinture et fait un voyage initiatique en Autriche et en Italie, où il verra les réalisations du grand architecte baroque Francesco Borromini. C’est paradoxalement ce handicap qui le fait évoluer vers un autre métier du bâtiment. Olga Hudečková, auteure de deux livres sur Santini :

Le dessin de l'abbaye de Rajhrad par Santini | Source: Wikimedia Commons,  public domain

« Bien que souffrant d'un handicap physique qui ne lui permettait pas d'exercer le métier de tailleur, il a réussi, sous la conduite de son maître l’architecte français Jean Baptiste Mathey à trouver sa juste place. Son handicap l'a conduit sur la voie de l'architecture qu'il n'aurait pas choisie s'il avait pu travailler comme tailleur de pierre. Il se peut que le destin de Santini ait été tracé à l'avance. »

Ce génie, longtemps oublié de Santini, mais redécouvert et reconnu 150 ans après sa mort, il l’exerce très tôt et dans des projets d’édifices profanes et religieux. Stanislav Růžička est le fondateur d’une organisation nommée « Pèlerinage sur les traces de Santini » et également le coauteur d’un livre sur ce grand architecte baroque. C’est aussi cette association qui organise plusieurs événement pour marquer les 300 ans de la mort de Santini. Il constate que le génie de ce jeune homme s’est manifesté très tôt :

Le dessin de l’église de pèlerinage Saint-Jean-Nepomucène de Zelená Hora  par Santini | Source: Wikimedia Commons,  public domain

« L’histoire de Santini est très riche. Il a commencé à travailler comme architecte à l’âge de 23 ans, ce qui à nos yeux, peut paraître assez incroyable. Il a reçu des commandes pour reconstruire les plus grandes églises en Bohême. Il n’a pas été le réalisateur de ses projets, il n’avait pas cette possibilité parce qu’il était handicapé. Il est mort jeune - à l’âge de 46 ans seulement. A l’époque où il préparait ses projets les plus importants comme l’église de pèlerinage Saint-Jean-Nepomucène de Zelená Hora, le château Karlova Koruna, les cathédrales de Kladruby et de Sedlec, il était à l’apogée de ses forces. Il a disparu jeune et nous ne savons même pas où il a été enterré. Il ne nous a laissé que ses édifices que nous pouvons redécouvrir aujourd’hui. »

L’église Saint-Jean-Népomucène à Zelená hora | Photo: Zdeňka Kuchyňová,  Radio Prague Int.

De tous les édifices qu’on doit à Santini, c’est évidemment l’église Saint-Jean-Népomucène de Zelená Hora à Žďár nad Sázavou qui retient toutes les attentions. L’UNESCO ne s’y est pas trompé puisque cette organisation l’a choisie pour figurer dans sa prestigieuse liste du patrimoine mondial : achevée en 1722, après deux ans de travaux à peine, l’église est dédiée à ce saint si typique de la reconquête catholique en Europe centrale. Mais c’est surtout le tour de force architectural et l’extraordinaire composition de l’édifice qui a retenu l’attention de ses contemporains jusqu’à ses admirateurs aujourd’hui.

L’église Saint-Jean-Népomucène à Zelená hora | Photo: Zdeňka Kuchyňová,  Radio Prague Int.
L’église Saint-Jean-Népomucène à Zelená hora | Photo: gampe,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Perchée en haut d’une colline abrupte, l’église se déploie sur un plan en forme d’étoile, bien visible en vue aérienne, et fonctionne entièrement autour de la symbolique du chiffre 5. Plan d’étoile à cinq branches, cinq chapelles ovales, cinq absides dans les chapelles, cinq marches menant à l’église, cinq portails et cinq autels… jusqu’à certaines mesures qui sont une combinaison autour du chiffre 5, pour le pentagramme censé être une protection contre le mal, et du chiffre 3 également, pour symboliser la Trinité. Loin de ce qui serait considéré comme une forme d’ésotérisme aujourd’hui, il faut plutôt y voir une inspiration visant, à l’instar de la verticalité de l’édifice, à une perfection visuelle et environnementale contribuant à l’ascension spirituelle des fidèles et des visiteurs.

Précédant de plusieurs décennies le néo-gothique, Santini a également inventé un style tout à fait personnel, le baroque gothique : avec une conception très minimaliste pour ce style d’ordinaire très chargé, les réminiscences gothiques allègent et ont rendu plus fluides ses créations, sans renoncer à la richesse du baroque censé témoigner de la grandeur de l’Eglise. Parmi les grandes œuvres architecturales auxquelles Santini a contribué, citons encore l’abbaye cistercienne de Plasy. Pavel Duchoň y est guide touristique, il nous avait parlé du rôle de Santini dans sa conception :

L’abbaye cistercienne de Plasy | Photo: Martina Schneibergová,  Radio Prague Int.

« Santini a renoué avec la conception de son maître, Jean-Baptiste Mathey, architecte français venu à Prague de Dijon. C’est Mathey qui a commencé les travaux de remaniement de l’abbaye, du grenier et de l'église du cimetière de Plasy. Quant à Santini, il a repris la conception de son maître, en édifiant un nouveau bâtiment du couvent. Bien que prévue comme une des constructions les plus monumentales du genre, l’abbaye est restée inachevée. Elle ne comporte que le couvent, soit la partie habitée par les moines, tandis que l’église dessinée par Santini n’a jamais été réalisée, faute de moyens. »

De nombreux événements culturels sont prévus jusqu’à la fin de l’année autour de cet anniversaire, organisés par le projet https://santini300.cz.

L'église de pèlerinage mariale de Křtiny | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
Auteur: Anna Kubišta
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