Jan Blažej Santini Aichel, le plus original des architectes en Bohême

Le dessin de l'abbaye de Rajhrad par Santini

Il y a 290 ans de cela, le 7 décembre 1723, mourrait Jan Blažej Santini Aichel, créateur d'un nouveau style d'architecture – le gothique baroque. Membre de la troisième génération de tailleurs de pierre italiens établis à Prague, Santini est l'auteur de plus de quatre-vingts projets dont deux, l'église Saint-Jean-Népomucène de Žďár nad Sázavou et l'église de l'Assomption de Sedlec à Kutná Hora, sont classés au patrimoine de l'UNESCO.

Jan Blažej Santini
Né à Prague le 3 février 1677, Jan Blažej Santini a grandi à l'ombre de la cathédrale Saint-Guy du château de Prague que les membres de sa famille ont aidé à construire. Originaire de Roveredo, dans le Tyrol du sud, le grand-père de Jan Blažej a été le premier membre de la dynastie des tailleurs de pierre Santini installés à Prague. Quant à Jan Blažej, dont le prénom est l’équivalent tchèque de Blaise, son handicap physique, une paralysie partielle, lui permet d’éviter de devoir suivre les pas de son père et de son grand-père. En dépit ou plutôt grâce à cela, il a pu réaliser une œuvre pratiquement sans pareil en Europe, comme l’explique Olga Hudečková, auteur de deux livres sur Santini :

« Bien que souffrant d'un handicap physique qui ne lui permettait pas d'exercer le métier de tailleur, il a réussi, sous la conduite de son maître Jean Baptiste Mathey à trouver sa juste place. Son handicap l'a conduit sur la voie de l'architecture qu'il n'aurait pas choisie s'il avait pu travailler comme tailleur de pierre. Il se peut que le destin de Santini ait été tracé à l'avance. »

Le dessin de l'abbaye de Rajhrad par Santini | Source: Wikimedia Commons,  public domain
Tombé aux oubliettes pendant plus de cent cinquante ans, l'œuvre de Santini n'a été redécouverte que dans la seconde moitié du XXe siècle. Des historiens justifient cet oubli par la disparition de la documentation relative aux plus de quatre-vingts constructions réalisées par Santini. L'église Saint-Jean-Baptiste dans le quartier de Malá Strana à Prague, où Santini a été enterré le 8 décembre 1723, a été quant à elle rasée dans le cadre des réformes de l’empereur Joseph II. Il est pourtant acquis que Santini a établi une documentation détaillée de ses travaux, comme en témoignent quelques rares documents originaux conservés ou encore la correspondance avec ses amis et mécènes exprimant leurs regrets suite à la disparition d'un architecte de génie, ainsi que le raconte Stanislav Růžička, président de l'association « Pèlerinage auprès de Santini: »

« On pourrait comparer Santini à Petr Parléř, bâtisseur de la cathédrale Saint-Guy, ou encore à Kilian Ignace Dienzenhofer : tous deux sont des architectes allemands de Bohême, tandis que Santini est tchèque. Créateur d'un style original appelé le gothique baroque à une période injustement qualifiée des Ténèbres, Santini a contribué à la réhabilitation de l'espace tchèque. Son grand rôle joué dans notre histoire, c'est d'avoir contribué à restaurer l'autonomie des ordres religieux. »

Réhabiliter entièrement l'œuvre de Santini et promouvoir sa connaissance, telle est donc l'ambition de l'association « Pèlerinage auprès de Santini » fondée en 2011 par un groupe d'historiens et d'enthousiastes. Pour son président Stanislav Růžička, l'œuvre de Santini ne cesse de fasciner par son harmonie et sa perfection :

Le projet de la chapelle de Mladotice
« Dans chacune de ses réalisations, Santini est tout à fait original. Il n’est jamais le même. On n'aura jamais assez admirer sa fantaisie, son audace, ainsi que son intuition : Santini est un artiste de génie, je ne peux le dire autrement. »

Les réalisations de Santini suscitent de plus en plus d'admiration auprès des jeunes, car il avait vingt-quatre ans lorsqu’il a dessiné son premier projet de construction de la chapelle de Mladotice, grandement inspiré du style de Francesco Borromini avec ses murs extérieurs concaves. Un an après, Santini s'est lancé dans la reconstruction complète de la cathédrale gothique de Sedlec à Kutná Hora, aujourd’hui site du patrimoine culturel mondial de l’UNESCO.

La cathédrale de Sedlec à Kutná Hora,  photo: CzechTourism
Santini est d'abord l'élève de Kristian Schröder, peintre et administrateur des collections au Château de Prague. Il poursuit ses études en Autriche, puis en Italie. A Rome, il est impressionné par les œuvres de Lorenzo Bernini et plus particulièrement par celles de Francesco Borromini. Mais c'est Jean-Baptiste Mathey, architecte bourguignon installé à Prague depuis 1675, qui devient le principal maître de Santini et lui apprend les principes baroques. Après la mort de Mathey, Santini reprend ses projets inachevés et sa clientèle.

La maison Valkounský,  photo: Martin Šanda,  CC BY-SA 3.0 Unported
Dès 1700, il devient membre de la guilde des architectes et constructeurs et fonde son propre atelier. En 1705, il achète, dans la rue Nerudova qui mène au Château de Prague, la maison Valkounský et l'immeuble voisin appelé « A la coupe d'or », deux bâtiments qu'il relie en un seul ensemble et remanie dans son style du gothique baroque.

Santini travaille pour des ordres ecclésiastiques, notamment les Cisterciens, pour lesquels il rénove et achève dans un style original plusieurs complexes gothiques endommagés par les guerres hussites. Il parvient à mettre en valeur des éléments gothiques dans un ensemble purement baroque. Son style réunissant deux courants différents en une symbiose parfaite est très personnel, expressif et unique dans le contexte européen.

Dans son travail, Santini s'inspire de l'abbaye cistercienne de Morimond, en France, qui est la quatrième des abbayes filles de Cîteaux ayant un rôle de première importance dans l'organisation de l’ordre. Le nom Morimond dérive du latin « mori mundo – mourir au monde », qui illustre l'idéal de renoncement au monde des moines cisterciens. Pour Santini, la rénovation des abbayes avait un sens profond, car les moines savaient très bien où les édifier : dans des endroits remplis d'énergie positive. On écoute Stanislav Růžička :

L'église de pèlerinage Saint-Jean-Népomucène près de Ždár nad Sázavou | Photo: CzechTourism
« Santini est un artiste de multiples talents, philosophe, théologien, ingénieur brillant et aussi un grand connaisseur de la Kabbale: l'interprétation mystique et ésotérique de la Bible hébraïque dont l'expression est une symbolique, le plus souvent numérique. Les réalisations de Santini sont toutes remplies d'une symbolique profonde. Ainsi, l'église de pèlerinage Saint-Jean-Népomucène près de Ždár nad Sázavou est conçue comme une étoile à cinq branches, le symbole du saint. Le pentagramme est aussi considéré comme une protection contre les forces du mal.
Le projet du château de Karlova Koruna
Chaque plan de Santini comporte une symbolique, que ce soit le chiffre 3 - le signe de la Sainte Trinité, le triangle en tant que symbole de l'œil de la providence ou l'étoile à six branches, symbole de David. Santini, qui possède aussi un sens parfait des proportions géométriques dans l’espace, est resté fidèle à ses principes jusqu'à la fin de sa vie. Hélas, il est mort alors qu’il n’était âgé que de 46 ans. »

Outre les célèbres palais comme celui de Thun dans le quartier de Malá Strana à Prague, les églises de Žďár et de Kutná Hora classées au patrimoine de l'UNESCO, Santini est l'auteur des plans des abbayes de Mariánská Týnice, Kladruby et Plasy situées en Bohême de l'Ouest, de l'église de pèlerinage mariale de Křtiny près de Brno et de l'abbaye de Rajhrad, dans le sud de la Moravie. Le château de Karlova Koruna conçu pour la famille Kinski à Chlumec nad Cidlinou en Bohême orientale est la construction profane la plus célèbre de Santini.

Le jeu d'ombres et de lumières est un trait caractéristique de l'esthétique des constructions de Santini, qui utilise également les effets de l'eau, comme c'est le cas à l'abbaye de Plasy que nous vous proposerons de découvrir dans notre magazine touristique.