400 ASA : la photographie documentaire tchèque mise à l’honneur dans un lieu insolite

Photo : Archives de galerie de 400 ASA

Une nouvelle galerie consacrée à la photographie documentaire a ouvert ses portes au sein du quartier de Smíchov à Prague 5 et dans un lieu pour le moins insolite : une ancienne station de transformation électrique des années 1920. La galerie 400 ASA a été fondée par l’association du même nom qui rassemble sept photographes tchèques de renom : Karel Cudlín, Jan Dobrovský, Alžběta Jungrová, Antonín Kratochvíl, Jan Mihaliček, Tomki Němec et Martin Wágner.

Karel Cudlín : Ouvriers agricoles,  source: Galerie municipale de Prague

« Nous sommes un groupe d’amis fiers de leur activité. Au fil des ans, nos archives ont accumulé des photographies prises autour du globe. Nous sommes fiers de cette expérience que nous avons acquise par notre travail. Bien que chacun d’entre nous accorde une profonde importance à sa liberté d’expression individuelle, à sa vision personnelle et à son propre style, nous savons également réfléchir ensemble au sein d’un groupe. Nous ressentons la singularité des moments notre époque. Nous éprouvons le besoin de les préserver et d'en donner un témoignage authentique » : c’est ce que contient le manifeste de l’association 400 ASA, un collectif de photographes basé à Prague et spécialisé dans la photographie documentaire.

400 ASA est une association composée de sept grands photographes tchèques. Ce nom plutôt étrange au premier abord n’a pas été choisi par hasard par les membres de l’association. Dans le vocabulaire technique de la photographie, « ASA » définissait autrefois la sensibilité du film argentique à la lumière. Plus le nombre précédent ce terme était élevé, plus le film était sensible et imprimait rapidement. Une pellicule avec un indice de 400 ASA peut tout aussi bien être utilisée à la lumière du jour qu’en intérieur avec des luminosités plus faibles. Aujourd’hui, c’est l’échelle ISO qui est en vigueur.

Photo : Archives de galerie de 400 ASA

Un transformateur électrique des années 1920 laissé à l’abandon accueille depuis tout récemment la nouvelle galerie de 400 ASA. Chaque photographe a son propre style et est libre d’exposer son propre travail dans ce lieu commun, mais toujours dans l’optique de développer et faire perdurer la tradition de la photographie documentaire tchèque. Une transcription dans l’espace du manifeste évoqué précédemment.

Jan Mihaliček est l’un des sept photographes de 400 ASA et a commencé sa carrière avant la révolution de Velours. Le retrait des troupes soviétiques de l’ancienne Tchécoslovaquie ainsi que la guerre en Yougoslavie font partie des évènements majeurs qu’il a couverts. Il nous en dit plus sur l’association créée deux ans auparavant :

Karel Cudlín,  Jan Dobrovský,  Alžběta Jungrová,  Antonín Kratochvíl,  Jan Mihaliček,  Tomki Němec et Martin Wágner,  photo : Igor Gilbo

Jan Mihaliček : « Notre collectif 400 ASA rassemble des photographes partageant la même passion pour la photographie humaniste et documentaire, pour la majorité en noir et blanc. Nous avons créé cette association afin de soutenir ce style de photographie qui n’est pas très populaire. De nos jours, ce n’est pas facile pour les photographes qui ont choisi cette voie. Nous voulons les aider et c’est pour cette raison que cette galerie existe. »

En plus d’exposer les projets de ses membres, la galerie de 400 ASA accueille des photographes tchèques ou étrangers reconnus mais également des jeunes ayant un talent pour la photographie. Un café vient également s’ajouter à la salle d’exposition au sein de ce bâtiment construit dans le style rondo-cubiste  et classé comme patrimoine technique national.

Jan Dobrovský: Maison d'asile,  source: Galerie municipale de Prague

La galerie est située à quelques minutes à pied de la station de métro Anděl et la signification de cette dernière trouve écho dans l’exposition marquant l’ouverture du nouvel espace de 400 ASA.

Jan Mihaliček : « Le thème de cette exposition inaugurale porte sur les anges. L’endroit où se situe la galerie 400 ASA s’appelle Anděl ce qui signifie ‘ange’ en tchèque. Alors, nous avons tous cherché dans nos archives des images s’apparentant à des anges. J’ai décidé d’exposer des photographies d’oiseaux car, selon moi, c’est ce qu’ils  évoquent. »

La nouvelle exposition en date est celle de Martin Wágner et est issue de ses photographies de la Sibérie. Selon ses mots, elles retranscrivent l’atmosphère qui règne sur cette étendue de terre où l’histoire turbulente rencontre la beauté époustouflante de la nature ainsi que la fragilité de la civilisation. L’exposition se tiendra du 10 décembre 2020 au 28 février 2021 à l’occasion de la réouverture de la galerie après deux longs mois d’inactivité. Jan Mihaliček évoque avec enthousiasme le travail de son collègue, montrant la cohésion qui unit les membres de l’association et leur passion commune pour la photographie :

Martin Wágner : Chasseurs de fossiles,  source: Galerie municipale de Prague

Jan Mihaliček : « C’est un projet de longue date sur la Russie et la Sibérie dont il a tiré un livre publié avec le soutien de 400 ASA. C’est le deuxième ouvrage que nous publions et les photos sont vraiment magnifiques car Martin Wágner est un photographe doté d’une grande sensibilité. »

Tout comme chacun des membres de 400 ASA, Jan Mihaliček suit ses propres projets et est amené à voyager, à s’immerger afin de réaliser des photos documentaires sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Depuis quelques temps, il se consacre à un travail sur les pèlerinages. Ce qui l’amène à voyager dans différents pays avec de forts antécédents et traditions catholiques comme la Pologne, la Slovaquie ou le Portugal. Un autre de ses projets porte sur la communauté Rom en Slovaquie et aux difficultés d’accès à l’eau potable auxquelles elle est confrontée. La crise du Covid-19 est venue mettre son grain de sel, limitant les possibilités de voyage, mais il en faut plus pour porter atteinte au dévouement du photographe pour son art :

Jan Mihaliček : Pèlerins,  source: Galerie nationale de Prague

Jan Mihaliček : « La photographie documentaire est très importante pour moi. On peut traiter de situations que les gens n’ont pas l’habitude de voir comme la situation des Roms en Slovaquie par exemple. Si on arrive à faire de bonnes photos, cela peut attirer l’attention sur ces questions et sur ces gens et c’est pour ça que c’est important pour moi. Il y a longtemps, j’ai travaillé en tant que photographe pour un journal mais les photos que je prenais étaient issues de projets à court terme. Je pense qu’il est important de couvrir un sujet sur le long terme, de s’intéresser à la vie des gens non pas sur une journée mais sur un ou même dix ans si on a assez de temps. C’est à ce moment-là qu’on commence à faire réellement de la photographie documentaire. »

www.400asa.org