65 ans depuis l’« Opération K » contre le clergé tchécoslovaque
Les 13 et 14 avril derniers, 65 ans se sont écoulés depuis ce que l’on a appelé la Nuit de la Saint-Barthélemy tchèque. « Akce K » (Opération K), tel était le nom de ce plan mis en place par le comité central du Parti communiste tchécoslovaque pour liquider les monastères et le clergé en 1950. Retour sur une des purges les plus importantes de la période noire du communisme.
Auparavant, d’autres attaques ciblées avaient eu lieu : un prêtre de Čihošť, Josef Toufar, est par exemple accusé en 1949 d’avoir mis en scène un miracle, il est arrêté et décède début 1950 des suites de tortures. Il y a aussi le « procès Machálka », lors duquel 11 religieux sont condamnés à des peines de prison exemplaires. L’historien Martin Tichý revient sur le contexte :
« Le but de ce procès, c’était de montrer au grand public que l’Eglise était un corps étranger dans la société tchécoslovaque, que ses représentants étaient des espions du Vatican. Il s’agissait de dénoncer les représentants de l’Eglise dans le pays. »
Ces différentes affaires préparent d’une certaine façon l’attaque de grande envergure contre le clergé qui doit, aux yeux des autorités, régler le problème une bonne fois pour toutes. Dans la nuit du 13 au 14 avril 1950, l’ « Opération K » vide les monastères de leurs habitants, comme s’en souvient le père Benedikt, 92 ans aujourd’hui :« C’était un vendredi. Peu après onze heures du soir, j’ai été réveillé. On m’a dit : ‘lève-toi et prépare-toi. Il y avait un homme en civil, probablement un policier. J’avais à peine enfilé mon habit qu’est arrivé un membre de la Sécurité d’Etat, en uniforme, armé. Par la porte ouverte, j’ai aperçu un autre homme en civil, mais armé d’un revolver. J’ai tout de suite compris de quoi il retournait car notre formateur nous avait préparés à cette éventualité les derniers mois. »
Les bâtiments du clergé sont alors confisqués par le régime communiste et employés à d’autres effets : certains sont transformés à des fins « utilitaires », et deviennent des cantonnements de l’armée ou bien même des étables pour les vaches. Nombre de ces bâtiments sont également laissés à l’abandon et aujourd’hui encore portent les stigmates de cette période. Des milliers d’objets religieux, œuvres d’art, manuscrits, sont détruits, pillés ou au mieux donnés à des institutions comme des bibliothèques. Quant au destin des religieux, il diffère selon le rang de ceux-ci dans le clergé, comme le précise Martin Tichý :
« Les religieux sont internés. Dans certaines conditions et pour certains, il s’agissait même d’emprisonnement proprement dit. Après quelques années, les religieux ont été progressivement libérés. Mais évidemment, il leur était interdit de vivre dans leur communauté religieuse, ils ont été obligés de trouver des emplois dans le civil. Nombre d’entre eux ont continué d’être suivis par les autorités. Enfin, pour ce qui est des plus hauts représentants du clergé, leur internement a duré bien plus longtemps. »Décimée, l’Eglise catholique tchécoslovaque parviendra à petit pas à se reconstituer dans la clandestinité au fil des années. Quelques prêtres sont ordonnés secrètement dans les années 1950. Dans les années 1960, le régime lâche un peu du lest : de nombreux religieux sont amnistiés, réhabilités. L’Etat permet officiellement à certains prêtres d’exercer leur ministère. L’occupation de la Tchécoslovaquie en 1968 et la période de « normalisation » qui suit renvoie nombre de religieux encore une fois dans la clandestinité, beaucoup d’entre eux appartenant ainsi à l’« Eglise souterraine », tandis qu’en parallèle fonctionne une Eglise officielle, qui collabore avec les autorités. Une partie des membres de cette Eglise souterraine se rapproche d’ailleurs de la dissidence qui se forme autour de la Charte 77.
La Révolution de velours en 1989 permettra à l’Eglise de retrouver une place dans la société tchèque. Mais les conséquences des années 1950 se font encore sentir aujourd’hui. De nombreux bâtiments sont dévastés et laissés à l’abandon, faute de moyens. Les divers recensements ou études d’opinion font état d’un athéisme fortement ancré dans la société tchèque. Pour l’Eglise en tout cas, une page semble avoir été en partie tournée avec la loi sur les restitutions des biens aux Eglises. Dans le cadre de celle-ci, l’Etat doit rendre des bâtiments, des terrains ainsi que des œuvres d’art, d’une valeur totale de 75 milliards de couronnes, soit environ 2,8 milliards d’euros.