70 ans après, Joachim Gauck, premier président allemand à Lidice
Pour la première fois depuis la tragédie de juin 1942, un chef de l’Etat allemand a visité, mercredi, le village martyr de Lidice, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Prague. En cette année de 70e anniversaire du massacre perpétré par les nazis, Joachim Gauck a tenu à rendre hommage aux victimes sur les lieux du drame. Un geste symbolique qui a été fortement remarqué et apprécié en République tchèque.
Avant de se rendre à Lidice, le président allemand avait déjà tenu, tout au long de la journée, à souligner la qualité des relations tchéco-allemandes actuelles, rappelant que, au regard de l’histoire encore relativement récente, et notamment de l’occupation de la Tchécoslovaquie par les armées hitlériennes, il s’agissait presque d’un petit miracle :
« Je suis très reconnaissant au président Klaus de m’accompagner à Lidice. Tous les deux, nous sommes nés pendant la guerre, et que soit joué l’hymne allemand au Château de Prague n’est une évidence pour aucun d’entre nous. Nous nous souvenons très bien que d’autres allemands ont occupé cet endroit et qu’une autre musique y a été jouée. C’est pourquoi je suis très heureux que nous puissions vivre aujourd’hui cette manifestation de la sympathie réciproque entre les deux pays. »
Ce message de paix et de devoir de mémoire vis-à-vis des jeunes générations a été également celui du président tchèque, Václav Klaus :
« Je suis très heureux que le président Gauck se rende à Lidice aujourd’hui. Nous sommes tous les deux de la même génération et nous sommes convaincus qu’il est nécessaire d’être capable de parler de cette histoire douloureuse aux générations futures pour ne pas oublier ce qui s’est passé. »Cette visite très attendue à Lidice avait été précédée en juin dernier, au moment des cérémonies du 70e anniversaire, d’une lettre adressée par Joachim Gauck à Václav Klaus ; une lettre dans laquelle le président allemand avait déjà exprimé son sentiment de honte et insistait sur la responsabilité de son pays.
Dans ce contexte chargé d’une émotion visiblement sincère, Joachim Gauck s’est refusé à aborder l’autre dossier historique délicat des relations tchéco-allemandes, les revendications des Allemands des Sudètes expulsés de Tchécoslovaquie après la Deuxième Guerre mondiale :
« C’est ma première visite ici, et si je suis là, c’est pour exprimer mon profond respect et rendre hommage à toutes les victimes des assassins nazis. Je n’entends donc pas évoquer d’autres questions. Le destin des personnes innocentes qui vivaient ici en Tchécoslovaquie avant la guerre m’intéresse également beaucoup, bien entendu. Viendra un moment où il sera temps d’aborder cette question, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais je considère cela comme une affaire interne à la République tchèque et il ne m’appartient pas de me mêler à ce débat. C’est à la société tchèque de réfléchir à ce qui s’est réellement passé ici avec la population allemande à la fin de la guerre. »Le 10 juin 1942, quelques jours après la mort de Reinhardt Heydrich, Protecteur de la Bohême-Moravie victime d’un attentat à Prague, les soldats allemands avaient rasé le village de Lidice. 173 hommes, âgés de 16 à 84 ans, y avaient été fusillés, et environ 90 enfants tués dans des camions transformés en chambres à gaz. Quant aux femmes de Lidice, elles avaient été déportées dans le camp de concentration de Ravensbrück. Au total, seuls 17 enfants et 143 femmes du village ont survécu à la guerre. Parmi ces enfants, Marie Šupíková, qui était âgée de 10 ans en 1942. Jeudi, elle aussi était présente à Lidice pour accueillir et s’entretenir avec le président Gauck :
« La plupart de ceux que cela concernait, les femmes de Lidice, ne sont plus parmi nous. Cela faisait soixante-dix ans que nous attendions que quelqu’un nous présente ses excuses. Mais même s’il vient trop tard, j’ai beaucoup d’estime pour le geste du président allemand. Il n’est pas responsable de ce qui s’est passé, mais en tant que chef d’Etat, il assume partiellement la faute et en accepte la responsabilité. Il s’efforce de s’excuser auprès de nous qui sommes encore vivants. »Aujourd’hui, sur le site de l’ancien village, se trouve un mémorial, avec notamment la tombe commune des hommes de Lidice, un musée et une statue dédiée aux enfants disparus. Et jeudi, Joachim Gauck aura donc été le premier haut responsable politique allemand à s’être excusé de l’existence de tout cela. Le premier depuis 70 ans.