Les Tchèques portent un regard négatif sur leur appartenance à l’Union européenne

Photo: Commission européenne

Plusieurs sondages sociologiques ont récemment confirmé que la méfiance des Tchèques à l’égard de l’Europe a tendance à augmenter. La dernière édition de l’hebdomadaire Respekt s’interroge sur le chemin que pourra emprunter la société tchèque qui refuse sa « perspective occidentale », mais qui n’en connaît pas d’autre. Il y a vingt ans ont eu lieu les dernières élections législatives au niveau fédéral qui ont précédé l’éclatement de la Tchécoslovaquie. Un rappel de cet événement est apparu dans la presse qui a également largement commenté tout ce qui avait trait au 70ème anniversaire de l’anéantissement du village Lidice et qui a notamment retenu le message adressé à cette occasion par le président allemand Joachim Gauck.

Photo: Commission européenne
D’abord, c’est une enquête effectuée par l’agence STEM qui a révélé que plus de la moitié de la population tchèque est mécontente de son appartenance à l’Union européenne. Ainsi, si le référendrum sur l’adhésion avait lieu aujourd’hui, le non aurait le dessus. L’hebdomadaire cite d’autres sondages qui ont confirmé cette tendance antieuropéenne :

« La société People in Need s’est adressée pour sa part aux étudiants du cycle secondaire ce qui lui a permis de constater que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, un tiers des jeunes porte sur l’Union le même regard hostile et méfiant que la génération de leurs parents ».

Le journal se réfère en outre aux résultats d’une recherche mise sur pied par l’Institut pour l’analyse globale de l’opinion publique Pew Research Center qui ont été publiés en mai dernier et dont le but était de savoir comment les gens percevaient la crise économique. Ils ont révèlé que pour les Tchèques, plus que pour tout autre Etat étudié, c’est l’Union européenne qui est responsable des problèmes économiques qu’affronte actuellement l’Europe. Se méfiant de l’Union européenne, ils croient en revanche en l’élan purificateur de l’économie.

Jan Hartl
En cherchant des explications à cette approche sceptique à l’égard de l’Europe, le sociologue Jan Hartl indique en premier lieu le traumatisme causé par la fameuse « trahison de Munich », considérée comme la trahison d’un petit Etat démocratique au cœur de l’Europe par les puissances occidentales. Et il ajoute :

« D’un autre côté, nous nous prenons depuis toujours pour une partie intégrante de l’Occident. De ce fait, nous estimons n’avoir pas besoin que celui-ci nous donne des conseils... Il s’agit d’un mélange de complexe d’infériorité et de la légende sur l’exception tchèque ».

Jan Hartl remarque également qu’à la différence des Slovaques ou des Polonais, nous ne nous sentons pas menacés :

« Quand on interroge les Tchèques sur la manière dont ils voient l’apport de l’Union européenne ou de l’OTAN, ils mettent toujours l’accent sur des choses d’ordre financier ou matériel... Pour eux, l’entrée dans l’Union représente une opération comptable qui doit apporter un profit. Du moment où cette opération paraît moins avantageuse, les gens estiment ne plus avoir besoin du groupement occidental appelé l’Union européenne ».

Petr Drulák
L’auteur de l’article signale que c’est une approche qui est dans une grande mesure soutenue par l’actuel cabinet de Petr Nečas, même si son discours publique se présente différemment. Il donne en conclusion la parole à Petr Drulák, directeur de l’Institut des relations internationales qui dit :

« Cette société a besoin d’une nouvelle ‘perspective européenne’ qui ne constituerait pas une simple opération comptable, mais qui impliquerait la Tchéquie et qui serait positive... Il s’agit aussi de modifier la sensibilité de la représentation politique vis-à-vis de l’Europe. Elle ne doit pas la considérer comme une contrainte, mais comme une belle occasion annonçant un grand succès tchèque ».


Il y a vingt ans, en juin 1992, ont eu lieu les dernières élections législatives tchécoslovaques. Ses résultats ont donné un coup d’envoi à l’éclatement de la fédération tchécoslovaque, en janvier 1993. Le quotidien économique Hospodářské noviny a rappelé cet événement en donnant la parole à des personnalités de la vie politique et publique tchèques et slovaques qui ont présenté dans ses pages leur appréciation de cet événement historique. Ivan Mikloš, ex-ministre slovaque de la privatisation, s’est confié :

Ivan Mikloš
« J’étais un partisan farouche du maintien de l’Etat commun des Tchèques et des Slovaques. Mais aujourd’hui je considère que son éclatement était inévitable. Heureusement, nous avons réussi à très bien maîtriser ses retombées, au point que cette partition n’a pas eu d’impact négatif sur les relations entre nos pays et nos nations. Autrement dit, tout est comme il faut ».

Pour Ivan Mikloš, la partition cultivée et à l’amiable est ce dont Tchèques et Slovaques peuvent être à juste titre fiers, tout comme de la division des biens fédéraux qui semble avoir constitué un exploit unique dans le contexte international. Et l’ex-ministre slovaque de résumer :

« Grâce à cette partition, la Slovaquie a été contrainte de s’émanciper. Ce n’était pas facile, il est vrai, mais finalement il s’agit d’un coup réussi. Je pense que si l’on avait cherché à conserver un Etat commun à tout prix, cela n’aurait profité à personne. Les accusations et les soupçons ne feraient qu’altérer les relations mutuelles. Le fait que celles-ci demeurent toujours très bonnes est clairement le fruit de la façon dont nous avons su nous séparer. »


« On dirait que cette année nous avons redécouvert Lidice. » C’est ce que nous avons pu lire dans une récente édition du quotidien Lidové noviny qui a constaté que le 70ème aniversaire de l’anéantissement de ce petit village tchèque par les nazis en juin 1942 a suscité une attention presque jamais vue auparavant. Le rappel de cette tragédie a été, selon le journal, « puissant et spontané », tant dans les médias qu’au niveau officiel. Il écrit :

« Dans le monde, Lidice représente le symbole le plus connu des souffrances de la nation tchèque pendant la guerre... Il symbolise le troisième plus grand massacre en masse de citoyens tchèques. Le premier, ça a été le gazage du ‘camp familial’ à Auschwitz comptant 3 792 Juifs tchèques, le deuxième la liquidation du ‘camp tzigane’, également à Auschwitz, suivi de Lidice avec ses 340 morts, y compris ceux qui ont péri dans les camps de concentration ».

Et le journal de s’interroger, sans trouver de réponse, pourquoi le côté hautement symbolique de Lidice a été si longtemps mis de côté, pourquoi Lidice n’est pas devenu un lieu symbolique par excellence, et ce, dès la chute du régime communiste ? « Pourquoi n’y a-t-on jamais vu une scène similaire à celle montrant en 1970 le chancelier allemand Willi Brandt agenouillé devant le mémorial du ghetto de Varsovie ? »

L’ensemble des médias tchèques ont donné en outre un large écho à la lettre qui a été adressée à l’occasion du 70ème anniversaire de la liquidation des villages Lidice et Ležáky par le président allemand Joachim Gauck à son homologue tchèque Václav Klaus.

Une lettre dans laquelle il est entre autres question de la responsabilité allemande dans ces massacres qui sont qualifiés d’actes terroristes. Le président allemand y exprime également son profond chagrin et sa honte, ainsi que son admiration pour le courage des parachutistes tchécoslovaques qui ont commis l’attentat contre Reinhard Heydrich.

Pour les historiens tchèques, il s’agit du « message le plus humain au sujet de Lidice, qui ait jamais retenti d’Allemagne ». Dans les pages de Lidové noviny nous avons également pu lire :

« Politologues et historiens font remarquer que c’est probablement pour la première fois qu’un haut représentant allemand prononce des paroles aussi fortes et convaincantes... Pour eux, il s’agit d’un grand geste ».