70 ans plus tard, les cloches résonnent de nouveau à la cathédrale de Plzeň
En janvier, Plzeň est devenue la capitale européenne de la culture 2015 ensemble avec la ville belge de Mons. Un des moments culminants de la soirée d’inauguration ont été les premiers coups des nouvelles cloches installées dans la tour de la cathédrale Saint-Bartholomé. Petr Manoušek, membre de la troisième génération de la famille des fondeurs des cloches, a passé cette soirée dans les coulisses. C’était lui, pourtant invisible du public amassé sur la place, qui a fait sonner les cloches après 70 années de silence.
« Les cloches de la cathédrale de Plzeň ont été détruites au moins quatre fois, mais cela n’a rien d’exceptionnel. Les cloches ont toujours été victimes des réquisitions lors des guerres, elles étaient fondues pour fabriquer des armes. Selon les comptes que j’ai faits avec mon père, environ 12 000 cloches ont ainsi été détruites dans les pays tchèques rien qu’au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Seule la cloche Prokop, qui date de 1835, a été sauvegardée. Désormais, elle sera complétée par quatre autres cloches, dont le financement a été possible grâce à une collecte de dons auprès des habitants de la ville. Je pense qu’une nouvelle réquisition de guerre est peu probable. Ainsi, les cloches pourraient rester à la cathédrale pour leur durée de vie habituelle, qui est de mille ans. »
L’église Saint-Bartholomé a été construite à la fin du XIIIe siècle. Elle a brûlé au XVIe siècle et a été gravement endommagée par une tempête deux cent ans plus tard. Malgré plusieurs reconstructions, l’église, devenue cathédrale en 1993, a maintenu son apparence gothique. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, quatre de ses cinq cloches ont été fondues pour être transformées en armement. Une seule cloche a survécu à tous les caprices de l’histoire, c’est la cloche nommée Prokop qui date de 1835. Elle est la plus petite des cinq. Petr Manoušek a fabriqué les autres dans un accord harmonique de l’époque et les a nommé Bartoloměj, Hroznata, Jan et Maria. Avec ces cloches, 13 tonnes du poids supplémentaire ont été installées dans la tour de la cathédrale.Les cloches pour Plzeň : la plus grande commande depuis 70 ans
Issu d’une famille des fondeurs des cloches depuis trois générations, Petr Manoušek souligne que la commande des cloches pour la cathédrale de Plzeň a eu ses spécificités :
« Il n’y a jamais deux commandes qui seraient exactement les mêmes. Mais ce qui est différent à Plzeň, c’est qu’il s’agit d’un grand ensemble des cloches qui sont d’une grande taille. Le plus grand, Bartolomé pèse 4 806 kg. Cela en fait les plus grandes cloches commandées en République tchèque les 70 dernières anées. En plus, avec ses 102 mètres, la tour de l’église est la plus haute du pays. L’installation des cloches dans le cadre du projet de capitale européenne de la culture a également rendu cette commande très spéciale et a jouté une contrainte du temps, car une seule journée de retard représenterait un problème. De plus, nous avions seulement huit semaines pour fabriquer la plus grande cloche. Les gens qui ont contribué dans la collecte de l’argent voulaient que leur nom figure dessus et nous avons reçu la dernière liste à la mi-septembre. »L’organisation des travaux au sein de l’atelier a été dictée par la disponibilité des moyens financiers :
« Le contrat a été signé en janvier 2013, il y a donc deux ans de cela, suite à la victoire de notre atelier dans l’appel d’offres. Dès le début il était clair que les cloches seraient fabriquées au fur et à mesure en fonction de la collecte de l’argent. A l'automne 2013, nous avons fabriqué les deux petites cloches, Maria et Jan. Ai printemps 2014, on a fait Hroznata, et enfin, en novembre dernier, la plus grande cloche, Bartoloměj. »
La fabrication des cloches, un métier traditionnel, n’a pas été épargnée de la modernisation technologique. Parfois les clients demandent de commander les cloches par un téléphone portable. Petr Manoušek possède le savoir-faire pour satisfaire une telle demande, mais il refuse de le faire. A Plzeň, c’est désormais un ordinateur qui dirige le mouvement des cloches. Petr Manoušek le regrette :« Il n’y a plus de poésie dans cette modernisation. J’aurais préférée d’y mettre les cordes, mais je comprends que les sonneurs ne puissent pas monter plusieurs fois par jour la plus haute tour du pays. »
Néanmoins, des exemples de la sonnerie manuelle existent :
« La plus grande cloche, Zikmund, sur la cathédrale Saint-Guy, ou la cloche Maria à Notre Dame de Týn à Prague sont toujours opérées manuellement. Il y a aussi une cloche de 1602 à Rychnov nad Kněžnou en Bohême de l’Est. Mais la plupart des cloches utilisées au quotidien sont accompagnées des machines à les faire sonner et ce avec pour seul argument un manque du personnel. »
La technique qu’utilise la famille Manoušek depuis des générations permet de fabriquer les cloches qui ne se désaccordent jamais :« La cloche est accordée par un calcul mathématique en fonction duquel est déterminée l’épaisseur du côté. La cloche est le seul instrument musical qui soit accordé une fois pour toutes lors de la fabrication. Après, vous êtes tranquilles. Mais le revers de la médaille est qu’il est impossible d’affiner son accord. Si le ton n’est pas au rendez-vous, il ne reste plus qu'à casser la cloche et à recommencer. Mais une fois que c’est fait, les cloches gardent le même ton pour toujours. »
La famille Manoušek : trois générations de l’art de fondre les cloches
Petr Manoušek a appris le métier du fondeur des cloches de son père. Il raconte :
« Je n’ai pas connu mon grand-père qui était fondeur des cloches, mais j’ai travaillé avec mon père, j’ai appris de lui et je suis devenu son successeur. Je n’ai pas jamais réfléchi à faire un autre métier. J’ai grandi dans notre atelier à Zbraslav, c’était un métier attirant pour moi. »
L’atelier familial à Zbraslav a été détruit par l’inondation de 2002 à Prague. Treize ans plus tard, son sort n’est toujours pas clair. Actuellement, Petr Manoušek fabrique ses cloches aux Pays-Bas, il explique pourquoi :« Parce que les collègues hollandais, quand ils sont venus m’aider à ranger après l’inondation, ont vu les ruines qui sont restées de mon atelier et m’ont proposé de travailler chez eux. En revanche, de la République tchèque, j’ai un dossier entier rempli des promesses. Toutes les institutions publiques me promettaient de l’aide, mais personne n’a bougé le petit doigt. »
Le fondeur des cloches estime : la survie du métier est assurée
Les enfants de Petr Manoušek ne se destinent pas à adopter le métier de leur père. Il se l’explique par le fait que le travail manuel n’est plus à la mode de nos jours. Actuellement, seulement une autre famille en Moravie fonde des cloches, ce qui ne fait pourtant pas craindre Petr Manoušek pour l’avenir de son métier :
« Je pense la même chose que mon père, c’est-à-dire que l’on aura toujours besoin des cloches. Même si l’échelle de notre travail évolue avec le temps. Les carillons sont de plus en plus populaires et cela transforme le métier, car il faut les fabriquer encore plus précis pour représenter tout un éventail des tons. Mais je ne crains pas la disparition de ce métier. »La variété des clients de Petr Manoušek semble également appuyer cet argument :
« Il y a bien évidemment des commandes de l’Église, car elle a en sa possession beaucoup de cloches. Mais aujourd’hui, elle n’est plus aussi majoritaire. Il y a aussi les communes et les personnes ou les entreprises qui veulent faire don d’une cloche. Parfois, je me retrouve dans une situation précaire parce que certains donateurs souhaitent rester anonymes et je dois négocier avec la paroisse. Il m’est déjà arrivé que la paroisse soit opposée à l’idée mais que le donateur insiste pour mettre la cloche, par exemple, parce qu’il avait un lien personnel avec le lieu. »
Pour Petr Manoušek, la fabrication des cloches pour la cathédrale de Plzeň reste la commande la plus grande qu’il n’a jamais eue. Pour la satisfaire, il a repoussé d’autres engagements, qui l’attendent dans l’avenir proche :
« Nous allons poursuivre la fabrication du carillon pour la ville de Hradec Králové qui sera à terme composé d’une cinquantaine de cloches. Nous en faisons une dizaine par an. En parallèle, nous allons restaurer quelques cloches de la Bohême du Nord. Il y a toujours pas mal de choses à faire. Cela n’arrive jamais que l’on n’ait pas de travail. »Au cours de cette année de la culture à Plzeň, les nouvelles cloches vont peut-être rappeler aux passants la grande soirée d’inauguration et les inciteront à découvrir le riche programme qui est proposé dans le cadre de ce projet européen.