A Jihlava, un défilé des « petits mineurs » rappelle le passé glorieux de cette ancienne ville argentifère

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L’ancienne ville royale de Jihlava, située dans la région de la Vysočina ou Plateau tchéco-morave au centre de la République tchèque, revit tous les deux ans avec le traditionnel « Défilé des mineurs ». Trois fois au cours d’un week-end de la fin du mois de juin, les enfants déguisés en différentes sortes de mineurs se baladent dans la ville pour évoquer la gloire que Jihlava a connue à l’époque où elle était un centre d’exploitation de l’argent. Cette fête extraordinaire, accompagnée de nombreux concerts et évènements culturels et qui n’a pas d’équivalent en République tchèque, remonte au XIXe, voire au XVIIIe siècle. Radio Prague propose de découvrir l’atmosphère de cette belle tradition, tant appréciée par les habitants de la ville :

Avec la découverte de gisements d’argent au XIIIe siècle, Jihlava devient une des villes les plus puissantes au sein du royaume de Bohême. Née d’un petit village autour de l’église Saint-Jean-Baptiste, le futur patron de la nouvelle ville minière, Jihlava obtiendra du roi Přemysl Otakar II de nombreux privilèges et les droits miniers y sont codifiés pour la toute première fois en Europe centrale. L’arrivée des colons allemands, qui y formeront désormais la majorité de la population, et la création des premières pièces de monnaie assureront à Jihlava une grande prospérité qui durera jusqu’au XVIIIe siècle où l’exploitation d’argent est arrêtée et remplacée par la draperie. C’est cette glorieuse époque minière que veut rappeler, tous les deux ans, le « Défilé des mineurs ».

Une salve d’honneur indique l’arrivée du conseil municipal et avec elle le début de la grande cérémonie solennelle, pendant laquelle le Maître des mines, fonctionnaire suprême du droit minier nommé par le roi et appelé en tchèque « perkmistr », recevra des mains du maire l’étendard officiel et prendra ainsi symboliquement la charge de la ville pour les jours qui suivent :

Jihlava,  photo: CzechTourism
Lukáš « Colombo » Wiesner a incarné le rôle de ce Maître des mines pendant des années. Mais tout le monde doit grandir et donc, même lui, a dû céder le privilège d’être placé en tête du défilé aux plus jeunes. Nous écoutons Lukáš présenter les principales fonctions de ce personnage :

« Le Maître des mines est le personnage le plus important du défilé. Lors de la cérémonie, il doit présenter un message au peuple de la ville. Ce message est un peu pompeux et un peu kitsch mais je pense qu’il signifie avant tout : ‘Soyez fiers de votre histoire parce que c’est une des choses les plus importantes qui vous forment.’ »

Une fois l’étendard remis, il ne reste plus qu’à appeler les petits mineurs pour qu’ils sortent des catacombes et commencent leur défilé traditionnel dans la ville.

Le défilé des « petits mineurs »,  photo: ČT24
Quelque deux cents enfants entre quatre et quinze ans, habillés en costumes historiques, se rassemblent, sur la place principale dans un ordre bien précis. On peut y voir des mineurs de différentes époques de même que tous les métiers liés à la vie des villes minières – sourciers, métallurgistes, fondeurs, orpailleurs, apprentis, porions, galibots, charpentiers, forgerons, hallebardiers, jaugeurs, suivi également des patriciens, échevins, juges du droit mineur, mineurs dans des costumes rococo, assistants de mineurs incarnés par les plus jeunes participants du défilé, ou encore des bourgeois. Répartis en groupes selon leurs fonctions, les petits mineurs sont présentés aux spectateurs dans toute leur splendeur avant de défiler dans les rues, accompagnés de l’orchestre et du public qui les suit. La cérémonie se répète le lendemain et dimanche, le défilé s’achève par une messe dans l’église Saint-Jean-Baptiste, lieu où a été découvert le premier gisement d’argent.

Un peu d’histoire quand même…

L’histoire du « Défilé des mineurs » est très variée. Zdeněk Jaroš, un des principaux historiens de la ville de Jihlava, présente les origines de cette belle tradition :

« En 1799, Jihlava a fêté son millénaire supposé. Aujourd’hui, on sait que ce chiffre est faux, mais peu importe. Une des parties les plus importantes de ces grandes célébrations, était un défilé solennel. Et dans ce défilé, participaient 12 garçons du lycée de Jihlava, habillés en mineurs. »

Au XIXe siècle, ces grandes fêtes s’agrandissent. Jihlava où l’exploitation a déjà complètement cessé et qui a été dépossédée de ses privilèges royaux veut ainsi maintenir à tout prix sa gloire passée. C’est notamment grâce aux efforts des descendants des mineurs germanophones de mettre en valeur leur droit à cette ville, que la tradition a pris des dimensions inattendues :

« A l’époque, un passionné de l’histoire de la ville de Jihlava, Johannes Haupt est venu avec l’idée de faire revivre la gloire passée de cette ville avec un défilé des mineurs. Il a donc étudié des sources historiques pour que le défilé reflète la réalité. Il a consulté les costumes avec différents spécialistes et après plusieurs années de préparation, les enfants habillés selon les modèles de Haupt ont défilé dans la ville. C’était en 1890. »

Le défilé des « petits mineurs »,  photo: ČT24
Avec Johannes Haupt, le défilé a donc évolué vers sa forme contemporaine et le nombre de personnages, ainsi que leur organisation dans le défilé ont été fixés avec, en 1899, quelque 150 petits mineurs. Pourtant, comme il s’agissait d’une tradition allemande, le défilé a vécu, à partir de la création de la Tchécoslovaquie, plusieurs instants d’incertitude. En 1918, la nouvelle république tente de le supprimer, mais en raison de nombreuses protestations de la part des habitants de la ville, la tradition a finalement pu continuer. Zdeněk Jaroš souligne un moment particulier dans l’évolution du « Défilé des mineurs » :

« L’année 1936 était particulière. Jihlava se rappelait l’anniversaire de l’adoption des Compactata. On peut dire que ces grandes célébrations étaient tchéco-allemandes, car les deux côtés y participaient. Et c’était également la première fois que des enfants tchèques participaient au défilé. »

Mais la situation s’est de nouveau aggravée après la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands vivant à Jihlava sont alors expulsés et le régime communiste abolit cette tradition rappelant les « anciens temps ». Pour pouvoir sauver les défilés, il a donc fallu les « cacher » en les assimilant à une autre fête, celle de la Journée des mineurs qui était célébrée en septembre. Pourtant, la radicalisation du régime après l’intervention soviétique en 1968 a rendu impossible la poursuite de ces célébrations, même sous cette forme réduite, et le défilé semble alors voué à disparaître. Personne ne croit que les petits mineurs reverront encore le jour. Zdeněk Jaroš se souvient de la suite de l’histoire :

« Dans les années 1970, j’ai commencé à travailler au Musée de Jihlava et j’ai réussi à cacher ces costumes et leur équipement à tel point que personne n’en avait connaissance. Ils n’étaient pas répertoriés, ils étaient placés dans des paniers dans le grenier. Et quand, après 1989 (l’année de la Révolution de velours et de la chute du régime communiste, ndlr), un groupe de passionnés a voulu renouveler ces défilés, ils avaient au moins quelque chose. Bien sûr que les costumes étaient vieux et en mauvais état, certains dataient même de 100 ans, mais c’était une base. Grâce aux nombreux bénévoles, surtout des grand-mères qui les ont recousu, le ‘Défilé des mineurs’ s’est donc tenu de nouveau autour de la fête de la saint Jean-Baptiste en juin 1999, une année symbolique, choisie pour le début de cette, j’espère, dernière époque des défilés. Et ça a été un énorme succès. De nombreux Allemands originaires de Jihlava sont venus pour cette occasion. Ce succès a assuré la renaissance des défilés. »

Une fête vivement appréciée par les petits, comme par les grands

Pourtant, l’histoire ne s’achève pas ici car il faut ajouter que dans les années 1950, un défilé parallèle est apparu en Allemagne, dans le cadre des rassemblements annuels des anciens habitants germanophones de la ville de Jihlava. Nous écoutons toujours Zdeněk Jaroš :

Le défilé des « petits mineurs »,  photo: ČT24
« Afin de ne pas oublier les traditions de leur ancienne patrie, les Allemands expulsés ont décidé de faire revivre le traditionnel ‘Défilé des mineurs’ de Jihlava également chez eux. Mais depuis 2002, nous avons lancé une coopération en indiquant que toutes les années impaires, le défilé se tiendrait à Jihlava et toutes les années paires en Allemagne. »

Et puisque l’on est en 2015, le défilé s’est déroulé, l’avant-dernier week-end du juin, à Jihlava. Mais cette année, la fête était quand même particulière. C’était en effet la dixième édition depuis son rétablissement ! De l’intérêt toujours plus grand pour cette tradition témoignent entre autres les nouveaux costumes des mineurs tout comme des nouveaux personnages, apparus cette année pour la toute première fois.

Tous les deux ans, les gens arrivent de loin pour pouvoir assister à ce défilé mais la plupart des spectateurs sont bien sûr des locaux qui y reviennent régulièrement, comme le confirment ces deux femmes :

« J’aime beaucoup la variété des costumes des mineurs présentés pendant le défilé. »

« Moi, j’apprécie surtout qu’il s’agisse d’une vraie tradition et que ce soit des enfants qui défilent. Car si c’étaient des adultes, ce ne serait pas la même chose. »

Lukáš Wiesner, le « Maître des mines émérite » explique que même quand ils ont grandi, d’anciens participants continuent souvent à préparer les défilés et à garder ainsi cette tradition bien vivante. Il a confié au micro de Radio Prague :

Le défilé des « petits mineurs »,  photo: ČT24
« Pour moi, c’est une des fêtes les plus importantes de Jihlava, un moment que j’adore et au cours duquel nous pouvons faire quelque chose de bien pour notre ville tout en passant du temps avec nos amis parce que les gens qui participent à la préparation du défilé sont comme une grande famille. »

Et qu’en pensent les premiers concernés, les enfants ?

Ils aiment bien participer à la fête, que ce soit pour être admirés et applaudis ou bien encore, comme l’explique une petite fille : « parce que des petits bonshommes comme ceux-là ont aussi défilé dans le passé ». Et c’est bel et bien cette envie de continuer qui a permis à cette tradition de Jihlava de survivre.