A Jihlava, un Français crée une œuvre murale en hommage à Gustav Mahler
Peintre, graphiste et illustrateur d’origine auvergnate, mais vivant actuellement dans la région d’Olomouc, Vincent Chignier est l’auteur d’une peinture murale de 20 m de long récemment inaugurée à Jihlava et dépeignant la vie et l’œuvre du compositeur Gustav Mahler, qui a vécu jusqu’à ses 15 ans dans cette ville de la région de Vysočina. Au micro de RPI, il a parlé de son installation en Tchéquie il y a six ans et de son intérêt pour les traditions populaires. Mais tout d’abord, il a décrit la peinture murale qu’il a récemment réalisée – et ce malgré les aléas de la météo automnale…
« J’ai choisi de faire cette peinture murale en m’inspirant de la vie de Gustav Mahler. J’ai utilisé des photos d’archive, et j’ai aussi ajouté à la composition des éléments abstraits qui rappellent les ondes musicales. La plupart des éléments sur la peinture rappellent son enfance, l’endroit où il a vécu, sa famille et sa vie privée. Mais elle est aussi un peu liée à sa vie professionnelle, car y figurent également un piano dans un intérieur qui est celui où il a vécu pendant une certaine période de sa vie, ainsi que des affiches de concerts et des fragments de partitions. »
Avez-vous fait face à des défis, techniques ou autres, lors de la réalisation de cette peinture murale ?
« Oui ! Car la peinture était prévue au mois d’août, mais l’institut de protection des bâtiments historiques a freiné le projet, car il y avait un monument historique dans le champ de la peinture. Cela a donc été repoussé d’un mois ; or la météo au mois de septembre 2022 a été difficile, froide et avec beaucoup de pluie. J’ai dû construire une sorte de tente avec des bâches pour pouvoir peindre alors qu’il pleuvait… Un jour qu’il ne pleuvait pas trop, j’avais passé la matinée à peindre, alors à midi, je suis allé me mettre au chaud et manger. Mais quand je suis revenu, il y avait eu une grosse averse ; or la peinture n’était pas sèche et tout avait coulé… Tout était à refaire. »
Pluie et aspérités
« Le support était aussi complexe, car il était très varié : des blocs de béton lisses et faciles à peindre, mais aussi des blocs de béton très bruts, avec beaucoup d’aspérités, et donc très difficiles à peindre au pinceau. Car je peins au pinceau – et aussi au rouleau, mais là ce n’était pas possible ! Il m’a donc fallu m’adapter à ces contraintes. Mais le fait que le mur ait des aspérités, qu’il ne soit pas droit et qu’il soit un peu abîmé par le temps, je dirais que cela apporte un peu plus d’intérêt plastique à la peinture. »
Sur votre site, on peut lire que vous avez à l’origine une formation en menuiserie, puis vous avez fait des études de graphisme à Lyon, de peinture murale à Clermont-Ferrand, avant d’étudier les arts plastiques à la Sorbonne, à Paris. Puis on apprend que vous vivez désormais à Šternberk, dans la région d’Olomouc… Il a dû se passer quelque chose ! Depuis combien de temps vivez-vous en République tchèque, et qu’est-ce qui vous y a amené ?
« Il s’est passé beaucoup de choses ! Mais professionnellement, pas tant que ça… Je suis arrivé en 2016. J’avais rencontré celle qui est aujourd’hui ma femme en France, à Clermont-Ferrand, où elle faisait des études d’économie en Erasmus. On a vécu quelques années à Clermont-Ferrand, puis notre premier enfant, Ernest, est né en 2016. Et ma femme avait très envie de retourner auprès de sa famille. Pour ma part, j’étais assez ouvert à cette idée, car rien ne me retenait professionnellement à Clermont-Ferrand. Du coup, très simplement, on est venus vivre auprès de la famille de ma femme. Et nous vivons depuis à Šternberk, une petite ville près d’Olomouc. »
Comment avez-vous été accueilli par les Tchèques ?
« C’est un peu difficile à dire, mais je dirais que j’ai été globalement bien accueilli, voire très bien. Même si je me souviens d’une fois, nous étions en groupe et quelqu’un a dit à une personne que je ne connaissais pas que j’étais français. Et je ne sais pas pourquoi – peut-être parce que je porte la barbe, et que lui avait un peu bu – il est devenu très agressif. Il ne voulait pas croire que j’étais français, il m’a imposé de lui montrer ma carte d’identité, mais même avec cela, il ne voulait pas me croire : il disait que j’étais iranien et que je n’avais rien à faire ici. Je n’ai pas trop compris sa logique ni sa façon de faire, mais bon : c’était certainement dû au fait qu’il avait un peu bu. Je l’espère, en tout cas ! Mais mis à part cela, c’était très accueillant. »
Qu’appréciez-vous le plus de votre vie en Tchéquie ? ou le moins ?
« Pas facile à dire non plus. Ce que j’apprécie le moins, c’est très personnel : c’est d’être loin de ma famille. Mais bon, en Tchéquie ou ailleurs, ça serait pareil. Ce que j’apprécie le plus ici, je dirais que c’est la tradition. C’est quelque chose que l’on perd en France, peut-être. Mais les Tchèques sont très attachés aux traditions. Aux Pâques, par exemple – c’est un peu bizarre comme tradition, mais c’est très typique – on va sonner chez les gens que l’on connaît avec un bâton tressé, la ‘pomlázka’, avec lequel on tapote les fesses des femmes et des filles en disant la comptine ‘Hody, hody doprovody’ qui est lié aux Pâques. »
Le respect des traditions
« Noël est ici moins attaché à la culture chrétienne, car la Tchéquie est un pays plutôt athée, mais on a quand même Ježíšek, le petit Jésus, comme symbole de Noël – il n’y a pas de père Noël ici. A Noël, il y a aussi la carpe. Ça c’est peut-être une des choses que j’aime le moins en Tchéquie, mais il ne faut pas trop le dire ! Bon, je me suis tout de même habitué à manger la carpe, mais je trouve que ce n’est pas super pour un repas de Noël… Mais j’apprécie tout ce qu’il y a autour. Et le fait d’acheter la carpe et de la garder vivante quelques jours dans la baignoire avant d’en faire un repas de Noël, cela peut sembler bizarre, mais bon, ce sont des traditions – et elles sont respectées. »
Pour en revenir à votre site Internet qui est uniquement en tchèque, était-ce une évidence pour vous de vouloir apprendre le tchèque en venant vivre ici ?
« Oui ! Et apprendre une nouvelle langue était un de mes objectifs. J’aurais aimé l’apprendre parfaitement, mais je n’ai jamais atteint cet objectif, et que je n’atteindrai sans doute jamais, car je ne suis pas une personne qui accorde beaucoup d’importance à l’étude d’une langue. En fait, je suis quelqu’un de très social, qui aime apprendre pour parler avec les gens – pour cela, c’était assez facile d’apprendre pour moi. »
Discipline et motivation… ou non
Avez-vous pris des cours ou appris avec des livres ?
« J’ai essayé, mais cela n’a pas marché du tout. J’ai tout d’abord essayé avec ma femme, qui est tchèque. Mais ça, je pense que ça ne marche pour personne ! J’ai donc décidé de prendre des cours avec un prof que je ne connaissais pas… mais ça n’a pas très bien marché non plus ! C’est que je ne suis pas très discipliné. Mais pour apprendre une langue en prenant des cours et avec des livres, il faut une bonne discipline, et une motivation à toute épreuve – ce que je n’avais pas. »
« Les six mois qui ont suivi mon arrivée ont été difficiles : je ne parlais pas la langue, et j’étais à Šternberk, qui est une ville de 15 000 habitants. A la différence de Prague, par exemple, lorsque je me promenais, je rencontrais des oiseaux ou des chiens dans la forêt, et je n’avais pas beaucoup de liens sociaux, à part ma femme et sa famille, et notre enfant. Au bout de six mois, je me suis donc dit : soit je fais quelque chose, soit je rentre. Je n’avais plus envie de rester enfermé chez moi : même si j’arrivais à peindre et à créer, socialement, c’était difficile. J’ai donc décidé de travailler quelque part, de trouver un boulot même pour quelques heures par jour ou par semaine. Je suis allé au ‘Úřad práce’, le Pôle emploi tchèque, où on m’a proposé un emploi de plongeur dans une cantine scolaire. Je l’ai accepté, et ça a été super – une très, très belle expérience humaine. Mes collègues étaient des femmes qui parlaient tout le temps, et c’était super, car j’étais là-bas comme une éponge – sans mauvais jeu de mot, pour un plongeur ! Les enfants parlaient, et j’étais bien obligé de m’exprimer, même si c’était difficile au début. »
Artisan-artiste
« Et c’est là que j’ai constaté qu’en République tchèque, trouver du travail n’est vraiment pas un problème, puisqu’à la fin de l’année scolaire, alors que ça faisait six mois que je travaillais là-bas, le directeur de la Maison de la culture de Šternberk est venu me demander si je ne voulais pas travailler là-bas. J’ai donc arrêté de travailler à la cantine et suis allé y travailler à temps plein. Ça aussi, c’était super ! Ça fait déjà trois ans que je n’y travaille plus, mais j’ai encore plein de contacts avec mes anciens collègues. »
Avez-vous actuellement une activité salariée, ou vous consacrez-vous uniquement à votre artisanat-art ?
« Oui. J’aime d’ailleurs beaucoup le mot ‘artisan’. C’est quelque chose qui est, pour moi, plus important que ‘artiste’. Faire avec les mains, c’est quelque chose que j’aime depuis mon enfance. »
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
« Ces derniers temps, j’ai fait une pause, car je déménageais : j’ai construit une maison pas loin de Šternberk. Sinon, des expos par-ci, par-là… Et puis j’organise depuis deux ans un petit festival d’art plastique à Šternberk, le Tufest. Il aura certainement lieu l’année prochaine, mais on ne sait pas. Et s’il a lieu, ça sera pendant la période estivale, mais on n’a pas encore les dates exactes. En fait, je suis une personne très spontanée, et l’organisation, c’est très difficile pour moi… Heureusement, donc, que j’ai des gens autour de moi qui s’occupent de ça ! »