Catherine Durand Kraus : à Jihlava comme à la maison… depuis plus de trente ans
Parisienne installée depuis plus de 30 ans à Jihlava, où elle enseigne le français, Catherine Durand Kraus consacre son temps libre à des sorties culturelles et à la marche à pied. Il est loin, le temps où elle écumait les clubs punks de la Vysočina avec son perfecto ! Elle apprécie aujourd’hui le fait que la ville se revitalise et que ses habitants s’ouvrent de plus en plus. Elle ne serait donc pas opposée à une reconversion en espace culturel de l’inévitable – et ô combien controversé – centre commercial Prior, verrue brutaliste au milieu d’une place principale entourés de bâtiments dont certains remontent au XIVe siècle. Quoi qu’il en soit, une chose n’a pas changé : à Jihlava, Catherine se sent toujours « comme à la maison ».
Catherine Durand Kraus, vous habitez Jihlava depuis 33 ans et connaissez donc toutes sortes de petits détails sur la ville. Quelle est la particularité de la place Masaryk, où se trouve le Café Ignác dans lequel nous nous sommes donné rendez-vous ?
« C’est l’une des plus grandes places de Tchéquie, et la seule depuis laquelle on peut voir la nature qui se trouve en dehors de la ville : en effet, du haut de la place en pente, on peut voir le quartier Sasov, ses environs et la direction de Třebíč. »
Est-ce justement la nature qui vous a amenée à Jihlava ?
« Ce n’est pas la nature, mais la langue ! Je suis arrivée à Prague en août 1991 pour apprendre la langue tchèque. Car j’avais fait une spécialisation en langues slaves à la Sorbonne, aux Langues O’ et à l’université de Nanterre, mais mes cours de tchèque en France ne me suffisaient pas, et j’ai donc décidé de venir dans ce qui était à l’époque la Tchécoslovaquie pour apprendre le tchèque avec un accent parfait. Je suis donc arrivée à Prague, et j’ai commencé à apprendre le tchèque avec les Tchèques. Je ne suis pas allée à l’école, ou plutôt je me suis inscrite à une école de langues, mais elle a fait banqueroute ! Je me suis dit que c’était le destin… »
Une sensation de déjà-vu dans une ville inconnue
« J’ai commencé à travailler dans une ‘hospoda’ et j’ai rencontré des jeunes de mon âge qui étaient originaires de Jihlava. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de lectrice de français à Jihlava, et que les écoles étaient demandeuses. Je me suis dit : ‘Pourquoi pas ?’Je ne connaissais pas la région de la Vysočina ; je ne connaissais pas la ville de Jihlava ; ils m’ont invitée ; je suis venue et je me suis sentie comme à la maison. C’était très bizarre, comme si je connaissais la ville depuis très longtemps... Mon frère m’a avoué que notre arrière-grand-mère était de Vienne ; or si vous connaissez Vienne, vous savez que c’est une ville tchèque, en fait ! Donc, peut-être que mes origines sont tchèques, et de Jihlava, en fait ! Puisque Vienne est proche de Jihlava, en réalité ; Jihlava se trouve entre Vienne et Prague… »
Qu’est-ce qui vous plaît à Jihlava ?
« C’est que la ville est tranquille ! Par rapport à Paris, oui, c’est la sécurité, la tranquillité… Même si les gens de Jihlava disent qu’il y a de plus en plus de problèmes, je ne le ressens pas du tout. La nuit, je rentre à pied du théâtre : j’habite en banlieue, à environ une heure de marche, et c’est sans problèmes… »
Prof et punk
« Quand je suis arrivée à Jihlava, il y a 33 ans, j’étais punk et gothique : j’avais une boucle d’oreilles dans le nez et 10 ou 15 anneaux dans les oreilles ; je portais un perfecto ; j’étais habillée tout en noir et j’avais les cheveux noirs à la Cure. Autant dire que je ne suis pas passée inaperçue ! A l’époque, ce que j’aimais à Jihlava, c’était les clubs. Car la période postrévolutionnaire en République tchèque était très rock ‘n’ roll ! Avec mes amis eux aussi punks et gothiques, on allait à Třebíč et aux concerts de petits et grands groupes tchèques… Donc à la base, c’était plutôt cela qui me plaisait ici. Et puis, petit à petit… Oui, j’aime les concerts, la culture et tout cela, mais à côté, j’aime la nature. »
« J’aime aussi l’architecture de Jihlava, plutôt gothique ; j’aime les musées, bien qu’ils soient vides – car les Tchèques ne s’intéressent pas trop aux expositions. Et puis, depuis quelques temps, la mairie fait tout pour que les habitants se rencontrent, ce qui n’était pas le cas avant. Vous avez vu la patinoire sur la place ; avant, c’était le marché de Noël… Il y a désormais des points de rencontre qui n’existaient pas avant. Car avant, les Tchèques de Jihlava ne se rencontraient pas : ils restaient chez eux. Maintenant, on les voit de plus en plus se promener dans la rue, ce qui est aussi une nouveauté pour Jihlava. »
« Il y a également l’organisation Brána Jihlava, qui organise toutes les semaines des visites guidées thématiques de la ville : les villas néo-classiques, les catacombes, le centre historique, la ville de Gustav Mahler, etc. Cette organisation a créé le site #DoJihlavy, qui est très bien fait pour tout ce qui est culture, randonnées, visite de la ville, etc. C’est nouveau, et évidemment, c’est bien pour le tourisme ! Jihlava était auparavant une ville plutôt renfermée ; elle s’ouvre maintenant. »
L’exécrable Prior, un bâtiment à fort potentiel ?
On associe souvent Jihlava au Prior, qui se trouve sur la place principale… De quoi s’agit-il ?
« Il s’agit d’un grand magasin de plusieurs étages construit en plein centre de la place Masaryk, là où se trouvaient autrefois des petites maisons typiques pour la ville, et qui ont donc été entièrement rasées. Je vais peut-être choquer certaines personnes – car beaucoup sont opposées au Prior – mais personnellement, je ne suis pas contre ! A Paris, on a l’habitude de voir des bâtiments modernes et anciens côte à côte… Néanmoins, pour moi, il faudrait redéfinir la philosophie du Prior. On ne peut pas détruire le bâtiment, car cela coûterait trop cher. Il faut donc en faire quelque chose. Moi, j’y verrais bien quelque chose de culturel : j’enlèverais tous ces petits magasins qui n’ont aucun intérêt et qui ne fonctionnent pas, et j’en ferais un centre de rencontres pour les gens, avec des restaurants, des cafés, des salles de cinéma et peut-être de théâtre, des salles d’ateliers pour les enfants, bref, quelque chose qui permettrait aux gens de se rencontrer. Et tout autour, peut-être, des cafés avec des terrasses… Quelque chose de bienveillant, en fait. Les Tchèques sont bloqués sur l’idée de détruire le Prior, mais je pense que ce n’est pas une bonne idée. »
Randonner en terres sauvages
Jihlava, c’est la Vysočina, et la Vysočina, c’est la nature… Quels sites naturels de la région aimez-vous visiter, à pied ou à vélo ?
« Je ne fais pas de vélo, uniquement de la randonnée… J’ai le projet de rejoindre en marchant depuis Jihlava toutes les plus grandes villes de la Vysočina. J’ai commencé en 2022, et j’ai déjà fait Jihlava – Telč et Jihlava – Havlíčkův Brod, l’année dernière, j’ai fait Jihlava – Třebíč ; cette année, je voudrais faire Jihlava – Žďár nad Sazavou, et peut-être aussi Jihlava – Velké Meziříčí. Je fais ces randonnées en un ou deux jours, peu importe. Je dors dans la nature ; j’en profite au maximum. Et je profite des sentiers touristiques, qui sont vraiment très bien organisés dans la Vysočina… même s’il y a quelques problèmes actuellement, car les forêts sont un peu détruites [par le scolyte, ndlr] et les balises n’y sont pas toujours bien visibles. Mais on arrive quand même à ne pas s’y perdre… et même si l’on se perd, c’est l’aventure ! Moi, j’adore la nature ; c’est mon dada. Il faut venir à Jihlava ; il faut venir dans la Vysočina pour voir ce qu’est vraiment la nature. On dit ‘Vysočina, divočina’ [‘terres hautes, terres sauvages’], et c’est tout à fait vrai : on peut rencontrer ici des animaux que l’on ne voit pas ailleurs. Et même si les gens sont un peu froids au début, il faut passer outre, et venir voir ce que la région a à proposer. »
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