A Jindřichův Hradec, la tapisserie est un savoir-faire centenaire

La Maison des tapisseries, photo: Vojtěch Ruschka

Découvrir comment est créée et restaurée une tapisserie, s’essayer au métier à tisser ou encore parcourir l’histoire centenaire de l’un des deux ateliers de tapisserie qui existent en République tchèque… C’est tout cela que propose la Maison des tapisseries, un musée interactif ouvert, voilà quelques années de cela, à Jindřichův Hradec, en Bohême du Sud.

La Maison des tapisseries,  photo: Sovicka169,  CC BY-SA 4.0
L’art de la tapisserie s’implante dans les Pays tchèques à la fin du XIXe siècle, avec l’ouverture, par Rudolf Schlattauer, d’une manufacture à Valašské Meziříčí, en Moravie. Une dizaine d’années plus tard sont mis en service d’autres ateliers du même type, dont la renommée va devenir plus importante encore, cette fois à Jindřichův Hradec. L’histoire de ces ateliers fondés par Marie Hoppe Teinitzerová, une femme hors du commun, est aujourd’hui mise en valeur à la Maison des tapisseries (Dům Gobelínů, en tchèque), un musée interactif situé dans une ancienne brasserie, à mi-chemin entre le majestueux château et la célèbre « Crèche de Krýza », la plus grande crèche mécanique au monde (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/special/la-creche-de-kryza-la-plus-grande-creche-mecanique-au-monde). Pour en savoir davantage sur l’art de la tapisserie, Radio Prague s’est rendue dans la belle cité de Bohême du Sud. Directrice de la Maison des tapisseries, Rita Škodová a commencé par nous rappeler la technique du tissage :

La Maison des tapisseries,  photo: Vojtěch Ruschka
« Le tissage est un procédé basé sur l’entrecroisement de deux systèmes de fils. Les fils verticaux sont appelés ‘la chaîne’ et les fils horizontaux ‘la trame’. Sur le métier à tisser, la trame passe dans l’espace qui se trouve entre les deux rangs de fils de chaîne et forme ainsi la bande de tissu. Les motifs des tapisseries sont toujours inspirés de dessins de différents artistes. Dans l’art textile, on appelle ces dessins des ‘cartons’. D’après ces cartons, on prépare des esquisses qui sont dessinées sur des feuilles transparentes sur lesquelles seuls les contours sont peints, et ce de façon à ce que les créateurs des tapisseries sachent où mettre les couleurs. »

Marie Hoppe Teinitzerová, la pionnière de la tapisserie

Mais qui était donc la fondatrice des ateliers de tapisserie de Jindřichův Hradec ? Marie Hoppe Teinitzerová est née en 1879 à Čížov, près de la ville de Pelhřimov, dans la région de Vysočina (centre de la République tchèque). Fille, elle ne pouvait pas fréquenter le lycée où les cours étaient réservés uniquement aux garçons. Elle suivait donc des cours individuels de langues et de musique. Son travail assidu lui a ensuite permis de quitter sa région natale et de poursuivre ses études ailleurs. Rita Škodová :

La Maison des tapisseries,  photo: Vojtěch Ruschka
« Marie Hoppe Teinitzerová a suivi ses études tout d’abord à Vienne, puis à Prague. Elle a été une des premières jeunes filles inscrites à l’Ecole des arts et industries textiles. Mais elle n’est pas allée au bout de son cursus et a préféré partir étudier les arts textiles en Allemagne, puis en Suède et au Danemark, respectivement à Stockholm, Lund et Copenhague, où elle avait droit à une bourse. Très influencée par le mouvement ‘Arts & Crafts’ - ce qui peut être traduit comme ‘Arts et artisanats’ - et inspirée de ses fondateurs William Morris et John Ruskin, Marie Hoppe Teinitzerová a quitté les pays scandinaves pour le Royaume-Uni. Elle a ensuite vécu encore en France et en Suisse. Elle a travaillé à la manufacture de tapisserie et à la fabrique de soie à Lyon. »

De retour en Bohême, Marie Hoppe Teinitzerová a participé à la création d’Artěl, une association qui regroupait de nombreux artistes tchèques travaillant dans le domaine des arts appliqués et s’efforçait de cultiver le goût pour les objets d’usage quotidien. En 1910, elle s’est installée à Jindřichův Hradec pour y fonder des ateliers qui fabriquaient différents produits issus des arts textiles, comme des tapis, rideaux, nappes ou napperons.

En 1911, Marie Hoppe Teinitzerová tisse sa première tapisserie selon un dessin du peintre Zdeněk Kratochvíl. Il s’agit de Saint Georges de Lydda qui, sur son cheval, terrasse un dragon. La tapisserie et la peinture originale sont aujourd’hui exposées à la Maison des tapisseries.

Mariée au philosophe Vladimír Hoppe, ami personnel du premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk, Marie Hoppe Teinitzerová s’engage également à rompre les convenances de l’époque : bien que les tisserands soient alors essentiellement des hommes, elle décide de n’employer que des femmes dans ses ateliers. Elle leur propose une formation, leur permettant ainsi de s’émanciper et de devenir plus indépendantes.

La Maison des tapisseries,  photo: Vojtěch Ruschka
Ouverte avec seulement trois métiers à tisser, la manufacture s’agrandit vite et s’équipe en mécanismes utilisés notamment par les célèbres Ateliers d’Aubusson. Comme le décrit Rita Škodová, c’est à partir de ce moment-là que Marie Hoppe Teinitzerová reçoit des commandes toujours plus nombreuses, comme celle par exemple pour le bureau du président de la République :

« Trois événements majeurs marquent l’histoire des ateliers de Jindřichův Hradec. En 1925, tout d’abord, Marie Hoppe Teinitzerová a tissé un cycle de huit grandes tapisseries dessinées par le peintre František Kysela. Ces tapisseries ont été présentées à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris, où elles ont obtenu le grand prix. Les ateliers ont ainsi acquis une renommée mondiale. Puis, en 1939, Marie Hoppe Teinitzerová a tissé une tappiserie intitulée ‘Le lin tchécoslovaque’ pour la Foire internationale de New York. Cette tapisserie représente cinq filles qui symbolisent les différentes étapes du traitement du lin, mais aussi différentes régions de la Tchécoslovaquie de l’époque, à savoir la Bohême, la Moravie, la Silésie, la Slovaquie et la Ruthénie subcarpathique. La tapisserie a elle aussi été tissée en lin ; Marie Hoppe Teinitzerová tenait à montrer que la plante était cultivée en Tchécoslovaquie. Enfin, en 1948, les ateliers de Marie Hoppe Teinitzerová ont créé une très belle tapisserie pour le 600e anniversaire de la fondation de l’Université Charles à Prague. Il s’agit de la ‘Tapisserie du Karolinum’, puisqu’elle est exposée au Karolinum, le siège historique de l’université. Depuis, toutes les remises officielles de diplômes se déroulent avec cette tapisserie en toile de fond. »

Les vêtements pour l'Enfant Jésus de Prague,  photo: Vojtěch Ruschka
A l’époque, les ateliers tissent diverses tapisseries inspirées d’œuvres d’artistes comme Max Schwabinský, Jiří Trnka ou Ludovít Fula et créent par exemple des vêtements pour l’Enfant Jésus de Prague.

En 1948, Marie Hoppe Teinitzerová achète un grand bâtiment délabré situé dans la vallée dominée par le château de Jindřichův Hradec. Elle projette d’y ouvrir de nouveaux ateliers modernes et une école pour tisserandes, ainsi qu’une galerie et une ferme pour y élever des moutons et produire sa propre laine. Ses plans ne se réaliseront toutefois jamais. Le gouvernement communiste nouvellement au pouvoir nationalise sa propriété quelques mois plus tard. Nommée directrice de la production des ateliers, Marie Hoppe Teinitzerová continue néanmoins à tisser des tapisseries jusqu’à sa mort en 1960.

Une « exposition vivante »

La direction des ateliers est alors confiée à Josef Müller, diplômé de l’Ecole des arts et industries textiles à Prague et ancien disciple, entre autres, des maîtres de la tapisserie Antonín Kybal et Jean Lurçat. Josef Müller, qui travaillera dans les ateliers de Jindřichův Hradec jusqu’en 1991, y introduit plusieurs nouveautés, dont notamment la restauration des tapisseries historiques. Ses œuvres sont vendues partout dans le monde, comme en témoignent la tapisserie exposée dans le bâtiment de l’UNESCO à Genève ou celle, intitulée « Cesta za sluncem » (« Le voyage vers le soleil »), qui se trouve à l’Institut de technologie de Californie et apparaît, dans les années 1970, dans le film « La Tour infernale » avec Steve McQueen et Paul Newman.

Après 1989, les ateliers sont restitués à la nièce de Marie Hoppe Teinitzerová. Bien qu’ils soient aujourd’hui situés dans le bâtiment acheté à cette fin par leur fondatrice, les tisserandes et restauratrices travaillent régulièrement aussi à la Maison des tapisseries, formant ainsi en quelque sorte une « exposition vivante ». Les visiteurs peuvent non seulement admirer leurs doigts habiles, mais aussi poser différentes questions sur leur métier. Radio Prague a ainsi rencontré la restauratrice Hana Tunklová :

« Je travaille sur un tapis en laine oriental qui date du XIXe siècle. Ses motifs représentent la vision islamique du jardin d’Eden. Le tapis est endommagé : les franges ont été arrachées et une partie du tissu a été détruite. Il est donc nécessaire de compléter les fils manquants à l’aide de la méthode dite ‘de la retouche imperceptible’, c’est-à-dire de les retisser. La durée de ce travail dépend du degré d’endommagement et peut nécessiter plusieurs semaines, plusieurs mois, voire même plusieurs années. »

La directrice de la Maison des tapisseries, Rita Škodová poursuit par la présentation plus globale du processus de restauration :

www.dumgobelinu.cz

Heures d’ouverture :

tous les jours, à l’exception de lundi

10.00 – 12.00, 13.00 – 17.00

« Il faut d’abord procéder à une documentation photographique, nettoyer la tapisserie et proposer une méthode de restauration. Ici, nous voyons par exemple la méthode de l’obturation qui permet de tisser séparément la partie endommagée avant de l’ajouter à la tapisserie. Il existe aussi d’autres méthodes : la tapisserie peut être doublée par une toile et les fils sont ensuite cousus à travers cette toile. En retournant la tapisserie, il est donc possible de voir les parties réparées, et cette reprise peut ensuite être décousue. De plus, la toile permet de répartir le poids des fils ; ainsi la tapisserie ne se déchire pas si facilement. C’est d’ailleurs pour cette raison, afin de répartir le poids des fils, que les tapisseries sont aujourd’hui pendues à l’aide de velcros ou d’un châssis. La plupart de tapisseries sont en laine ou en soie. Il faut toujours restaurer à partir du matériel dans lequel est fabriqué le reste de la tapisserie originale. Il est aussi nécessaire de colorer les fils, un travail dont sont chargés les teinturiers. C’est ensuite aux restaurateurs que revient de choisir soigneusement quelle teinte précise utiliser, car il existe des centaines de teintes différentes pour chaque couleur. »

Malgré l’excellence des explications, seule la pratique permet de découvrir réellement tout le savoir-faire d’un métier. A la Maison des tapisseries, les visiteurs, petits comme grands, peuvent donc s’essayer, à l’aide de différents types de métiers à tisser, à la création de leurs propres tapisseries. Et pour les plus intéressés, le musée propose, l’espace d’un week-end, des ateliers consacrés aux différentes techniques textiles.