Tapisseries et gobelins, l’art de la lenteur

Photo: O. Kocourek, www.upm.cz

Depuis la fin juin et jusqu’au 21 septembre, le Musée des Arts et Métiers de la ville de Prague propose une exposition consacrée à la manufacture de gobelins en Moravie, à l’occasion des 110 ans de création de tapisseries à Valašské Meziříčí.

En français, les Gobelins, c’est un quartier de Paris, une manufacture de tapisserie mais aussi une famille de teinturiers et tisserands protestante dont la maison servira de refuge aux huguenots persécutés au XVIIe siècle.

En tchèque, la tapisserie type Gobelins a pris le nom de la famille et se dit « gobelín », comme l’explique Jan Strýček, le concepteur de l’exposition, artiste et manufacteur de tapisserie à Valašské Meziříčí :

« C’est le terme employé pour les tapisseries classiques, une technique qui remonte à des milliers d’années... Déjà les tissus coptes retrouvés dans des tombes en Egypte utilisent cette technique. Mais elle a vraiment commencé à s’épanouir à l’époque gothique, sous la Renaissance et le baroque, pour meubler les châteaux. Cette technique a permis de faire des objets décoratifs mais également des compositions figuratives très compliquées. »

L’exposition du Musée des Arts et Métiers présente le fondateur de la manufacture de Valašské Meziříčí, Rudolf Schlattauer. Où l’on découvre que les destins sont décidément faits de hasard... Ce peintre de formation, né en Moravie en 1861, qui a voyagé à Berlin, Paris et dans d’autres centres artistiques, tombe malade de la tuberculose, et part se soigner à Oslo en Norvège :

« La tradition des gobelins n’est pas très longue dans les pays tchèques. Contrairement à la France. A la fin du XIXe siècle, il y a eu un mouvement en Europe qui essayait de renouer avec l’artisanat et avec les ornements populaires. Plusieurs manufactures de gobelins sont ainsi nées à travers l’Europe, dont celle de Valasske Mezirici : Rudolf Schlattauer a découvert cette technique non pas en France mais lorsqu’il se soignait en Norvège. Il a rapporté cette technique dans la région, en Valachie où existait déjà des techniques de tissage. »

L’exposition se propose ainsi de retracer les débuts de la manufacture. Elle montre comment Schlattauer a collaboré avec le peintre et graphiste Hanuš Schwaiger, mais aussi avec des architectes. La période de l’entre-deux-guerres, après la mort du fondateur, est riche pour la manufacture qui s’inscrit dans le courant fonctionnaliste de l’époque : l’architecte Jan Kotěra sera un des architectes avec lesquels elle collabore pour la fabrication de tapis notamment. La libéralisation des années 1960 en Tchécoslovaquie touche également la manufacture qui peut s’affranchir des canons idéologiques. Enfin, l’exposition fait la part belle à l’époque actuelle, où contre toute attente, la création de tapisseries continue comme s’en félicite Jan Strýček :

« Justement, c’est quelque chose de très intéressant... Vous savez, la technique de la tapisserie est tellement créative qu’elle a réussi à s’adapter à tous les styles tout en s’exprimant de manière authentique depuis l’époque gothique en passant par la Renaissance et le baroque. Et je pense que cette technique permet de faire des oeuvres contemporaines. C’est pour cela que nous essayons de travailler avec de grands artistes tchèques actuels dont la signature puisse ressortir de façon authentique en tapisserie. Et en parallèle, nous essayons de nous limiter à la technique originale des tapisseries des Gobelins, sans faire d’expérimentations. Nous travaillons la soie et la laine. »

Et à l’heure où le monde va à une vitesse grand V, où tout est et doit être rapide, fabriquer des tapisseries est encore un métier qui demande du temps, où la lenteur prend encore tout son sens. Jan Strýček :

« Tout dépend de la finesse de la tapisserie. En gros, six personnes peuvent travailler pendant six mois sur une tapisserie. La restauration de tapisserie est encore plus compliquée : six personnes peuvent travailler sur une oeuvre pendant deux ans ! »

Pour cela, il faut des hommes et des femmes dévoués à leur art, prêts à faire corps avec un travail qui est plus qu’un métier... Une vraie vocation... Jan Strýček :

« Aujourd’hui nous ne fonctionnons plus en tant qu’école. Nous devons former nos maîtres tapissiers et nos restaurateurs tout seuls. C’est un travail extrêmement exigeant. Il faut au moins cinq ans avant que la personne n’acquière les connaissances de base. Ensuite il faut du talent, mais également de la patience. Et puis, il faut aimer le métier... »

L’amour du métier, c’est clairement une chose que partagent tous les tisserands qui exercent encore de par le monde. Valasske Mezirici est une petite ville située dans les montagnes près de la frontière slovaque... loin du rush de la capitale... Alors qu’en est-il des contacts avec les manufactures traditionnelles à l’étranger ? Y a-t-il des projets de coopération et d’échange ? Jan Strýček :

« C’est quelque chose que nous aimerions beaucoup. La manufacture des gobelins avait entamé une excellente collaboration avec les ateliers d’Aubusson en France, après la guerre. Certains des artisans sont même venus en stage chez nous. Evidemment, après 1948, cette collaboration a été interrompue. On essaye de la reprendre aujourd’hui. Nous aimerions beaucoup collaborer avec des écoles du tissu à l’étranger parce que je pense qu’il pourrait y avoir un enrichissement mutuel. Dans notre manufacture, nous organisons aussi des workshops à la fois pour les néophytes ou pour les artisans du tissu qui peuvent venir une semaine et travailler. »

Et avant de clore la conversation avec Jan Strycek, je lui ai encore demandé quelles étaient les qualités principales pour une tapisserie :

« Il y a deux moments pour une tapisserie des gobelins. Il y a d’un côté un artisanat d’exception avec la perfection du tissage et une véritable authenticité. Chaque projet nécessite une autre façon de travailler, car chaque artiste a une autre signature et les maîtres tapissiers doivent s’en imprégner, trouver un langage particulier pour chaque artiste. Et puis la qualité artistique du projet est essentielle, c’est pourquoi nous essayons de travailler avec les meilleurs artistes. »