A Noël, les contes de fées à la télévision font toujours recette

'Trois noisettes pour Cendrillon', photo: Studio Barrandov / DEFA

C’est un rituel immuable au moment des fêtes de Noël. Tous les ans, les Tchèques continuent de se rassembler autour du poste de télévision pour regarder des « pohádky », ces contes de fées filmés, aimés des petits et des grands. Si ce phénomène est flagrant à Noël, la passion tchèque des contes de fées est plus générale. Elle commence dès le plus jeune âge, avec la lecture des contes traditionnels et se décline au fil des années et jusqu’à un âge avancé avec les films inspirés de ces contes ou originaux. Bref, quand en France à Noël on rit avec les bonnes vieilles comédies familiales de De Funès, Belmondo ou Bourvil, en Tchéquie, on replonge dans l’atmosphère de son enfance en regardant des contes de fées, seul ou en famille.

'Trois noisettes pour Cendrillon' | Photo: © Barrandov Studio a.s./DEFA

Les « pohádky » sont un phénomène unique en leur genre et le rituel de Noël qui veut qu’on les regarde à la télé en famille l’est aussi, au même titre que le repas du réveillon à base de carpe frite et les cadeaux sous le sapin. Au milieu de l’immense production de contes réalisés sous le communisme essentiellement, mais depuis 1989 également, un film émerge : c’est Trois noisettes pour Cendrillon, la version tchèque du célèbre conte des frères Grimm. Cette coproduction germano-tchécoslovaque de 1973 reste l’un des films favoris des Tchèques et il a même bénéficié d’un petit succès en France où il a été diffusé à plusieurs reprises à la télévision à partir des années 1970.

Servie par une Libuše Šafránková plus que convaincante dans le rôle qui l’a rendue célèbre, cette version tchèque est une adaptation pleine de poésie, qui met en scène une Cendrillon dégourdie et malicieuse, bien loin de la Cendrillon guimauve de Walt Disney ou de la variante un peu gore des frères Grimm (qui n’a pas frissonné d’effroi en lisant que ses méchantes sœurs se coupaient les orteils pour pouvoir enfiler la fameuse pantoufle ?).

'Trois noisettes pour Cendrillon' | Photo: © Barrandov Studio a.s./DEFA
Popelka (Cendrillon en tchèque), elle, tire à l’arbalète et fait du cheval comme un garçon. Bien avant #metoo ou les Disney présentant des héroïnes moins potiches, elle montrait finalement aux petites filles qu’on peut être du sexe prétendument faible, mais actrice de son destin, même avec le coup de pouce de la magie, indissociable des contes. La Cendrillon tchèque de ce conte filmé séduit en effet son prince tant par son adresse que son charme, grâce à des tenues plus appropriées que ses haillons, toutes tombées de la coquille de trois noisettes magiques.

Plus que les deux robes de princesse, l’espiègle et courageuse Popelka est véritablement elle-même dans son costume de jeune chasseuse, tout aussi à l’aise pour chasser l’épervier que pour se repérer dans les bois et déjouer les tentatives du prince pour la retrouver. A côté, le prince, aussi joli cœur soit-il, est davantage présenté comme un cancre, plus intéressé par le cheval et la chasse que par les études. Et c’est l’amour suscité par Popelka qui, peut-on l’espérer, va finalement le faire mûrir…

Tous les pays ont leurs contes de fées, leurs conteurs ou collectionneurs de contes. La France a Charles Perrault, l’Allemagne a les frères Grimm, le Danemark Andersen. En pays tchèques, les plus grands écrivains s’y sont aussi collés. Mais surtout, la popularité inconditionnelle du genre est, dès le début, liée à un aspect tout à fait particulier du réveil des nationalités au XIXe siècle, comme le rappelait il y a quelques années le critique de cinéma Michal Procházka :

« Ça fait partie de la tradition de la culture tchèque. Quand on remonte dans le temps jusqu’à l’époque du mouvement de renaissance nationale au XIXe siècle, on découvre que les écrivains tchèques, les personnalités de ce mouvement passaient de village en village pour collecter les contes de fées du patrimoine de la littérature orale. Les écrivains essayaient en quelque sorte de ‘consoler’ la nation tchèque qui était dans une période difficile. C’était un moyen de sauvegarder la langue et la culture tchèques, car la culture et la langue officielles était allemandes. »

Photo: Ned Horton,  Horton Web Design,  freeimages
Les contes de fées comme échappatoire du peuple tchèque au XIXe siècle, le folklore populaire comme moyen de réhabiliter une culture... C’est aussi ce rôle de refuge que joueront les adaptations cinématographiques des contes de fées sous le communisme en Tchécoslovaquie. Un moyen, pour les gens, d’échapper à la grisaille du quotidien, voire à la peur. Michal Procházka :

« C’était quelque chose de très naturel. Je me souviens que c’était normal quand j’étais petit : ma mère me racontait des histoires tous les soirs. C’était complètement inscrit dans notre culture... »

Refuge pour le public, refuge également pour des cinéastes qui, tracassés par le régime, trouvent dans ces productions cinématographiques un lieu de liberté où exercer leur art :

« Du point de vue des réalisateurs, des gens du cinéma, c’était beaucoup plus sûr de tourner des contes de fées parce qu’il n’y avait presque aucune censure. Au niveau des histoires, tu pouvais tourner n’importe quoi... »

'La Princesse follement triste',  photo: Studio Barrandov

Miroslav Táborský est un comédien tchèque qui, comme beaucoup de ses collègues, a aussi souvent joué dans des contes de fées. Pour lui, les contes de fées tournés sous le communisme avaient également des vertus paradoxales de lieu d’expression libre :

« Le régime a créé une situation particulière. Ceux qu’il n’autorisait pas à travailler pour les adultes pour des raisons politiques, il les laissait travailler pour les enfants. Mais avec les marionnettes et les contes de fées, il était possible de s’exprimer de manière subtile. Certains contes de fées cachent cet aspect-là. Sous le communisme, les spectateurs lisaient entre les lignes et c’est aussi pour ça qu’ils aimaient certains contes et que le lien est resté jusqu’à l’heure actuelle. Par exemple dans le film La Princesse follement triste (Šíleně smutná princezna) on peut retrouver des messages cachés : autour des intrigues politiques, et aussi sur la signification de l’amour dans ce contexte... »

'La Princesse orgueilleuse',  photo: Československý státní film
Certaines œuvres, comme par exemple La Princesse orgueilleuse (Pyšná princezna), n’échappent néanmoins pas à une certaine propagande idéologique, surtout dans les années 1950...

« La propagande a essayé de recréer quand même un certain nombre d’histoires pour montrer par exemple comment un héros issu d’un milieu assez pauvre réussit finalement à vaincre un roi. Ou alors comment le roi est un personnage méchant, alors que le héros est plutôt le serviteur. »

Les Tchèques, un peuple de grands enfants naïfs ? Il y a un peu de cela au regard de ce goût immodéré pour les contes. Pourtant, un personnage typique des contes vient un peu contredire cette idée, un personnage qui n’est pas sans rappeler l’anti-héros censé symboliser le caractère tchèque, le brave soldat Chveïk. Michal Procházka :

« Il faut se rappeler qu’au XIXe siècle la culture tchèque était marginalisée. La culture officielle n’était pas tchèque. Le type d’histoires qui a survécu jusqu’à ce jour, c’est par exemple celles avec le personnage qu’on appelle en tchèque Hloupý Honza, en français, on pourrait le traduire comme ‘Jean le simple d’esprit’. Il est issu d’un environnement tout à fait ordinaire, d’une petite maisonnette dans un village. Il part pour vaincre un dragon ou conquérir la main de la princesse ou encore obtenir la moitié d’un royaume. Comme il est ‘simple d’esprit’, il ne gagne pas par sa force physique ou son intelligence. Mais il gagne par sa façon d’être tchèque, d’être un petit personnage dans le paysage qui finalement est plus fort que tous ses rivaux. »

'Anděl Páně
En attendant, tous les ans, Noël est l’occasion pour la télévision de diffuser films taillés sur mesure pour l’atmosphère de fête. Preuve de ce succès qui ne s’est jamais démenti, l’engouement suscité par la production intitulée Anděl Páně, du réalisateur Jiří Strach et qui rassemble une belle brochette d’acteurs tchèques connus. Après un premier opus sorti en 2005, déjà reçu avec enthousiasme, l’équipe a remis le couvert avec un deuxième volet des aventures de l’ange et du diable qui lui cherche des noises, au moment des fêtes de fin d’année. Lors de sa sortie en salles le 1er décembre 2016, Anděl Páně 2 a cassé la baraque, devenant le film tchèque le plus vu dès le premier week-end de projection. Six semaines après la première un million de spectateurs avaient déjà découvert les nouvelles aventures des deux frères ennemis célestes. Et lors de sa première télévisée le 24 décembre 2017, il est devenu, avec trois millions de téléspectateurs, le conte de fées le plus suivi des quinze dernières années.

Si les scénarios de certaines productions sorties depuis la révolution de Velours ne sont pas toujours à la hauteur, la réalisation est au moins toujours assez soignée. Notamment en termes de décors et de costumes. C’était déjà le cas d’ailleurs sous le communisme où l’on ne lésinait ni sur les moyens ni sur le niveau de qualité de la production. C’est dans les célèbres studios de Barrandov qu’étaient notamment employées les petites mains des couturières chargées de créer les costumes qui ont fait rêver des générations de bambins… et de leurs parents, comme on l’aura compris.

Le professionnalisme des studios Barrandov n’est plus à démontrer au vu du nombre de productions internationales qui tournent des films en République tchèque, ou ont recours au fonds d’accessoires : il y a quelques années des costumes du célèbre double film Le Boulanger de l’empereur/L’Empereur du boulanger avaient d’ailleurs été prêtés pour le tournage de la quatrième saison de la série des Tudors.

'Le Boulanger de l'empereur/L'Empereur du boulanger

Il suffit de jeter un œil au programme télévisé de la première chaîne publique ČT1 ce 24 décembre 2018 pour se rendre compte que les contes de fées ont encore beaux jours devant eux en République tchèque : toute la journée, depuis le petit matin, les contes se sont succédés les uns après les autres, qu’ils datent d’avant 1989 ou qu’il s’agisse de productions récentes. Clou de la soirée, à partir de 20h40… Trois noisettes pour Cendrillon, bien sûr !