Il était une fois... les « pohádky »
Tous les ans en France, au moment de Noël, les chaînes de télévision rediffusent allègrement les bonnes vieilles comédies familiales avec De Funès, Belmondo ou Bourvil. En République tchèque, la période de Noël appartient aux films de contes de fée. Les « pohádky », un phénomène unique en son genre, et qui continue, aujourd’hui encore, à rassembler autour du poste de télévision petits et grands, sans distinction.
L’incontournable « pohádka », sans laquelle Noël ne serait pas tout à fait Noël, malgré la carpe frite et les cadeaux, c’est ‘Trois noisettes pour Cendrillon’, la version tchèque du célèbre conte de Grimm. Cette coproduction germano-tchécoslovaque de 1973 reste l’un des films favoris des Tchèques.
Servie par une Libuše Šafránková plus que convaincante dans le rôle qui l’a rendue célèbre, cette Cendrillon tchèque a même été diffusée en son temps à la télévision française. Une adaptation pleine de poésie, qui met en scène une Cendrillon plutôt dégourdie et malicieuse, donc loin de la Cendrillon guimauve de Walt Disney. Popelka (Cendrillon en tchèque) tire à l’arbalète et fait du cheval comme un garçon. Elle séduira son prince tour à tour par son adresse et son charme, grâce à des tenues plus appropriées que ses haillons, tous tombés de la coquille de trois noisettes magiques.Tous les pays ont leurs contes de fée, leurs conteurs ou collectionneurs de contes. La France a Charles Perrault, l’Allemagne a les frères Grimm, le Danemark Andersen. En pays tchèques, les plus grands écrivains s’y sont aussi collé aussi. Mais surtout, la popularité inconditionnelle du genre est, dès le début, liée à un aspect tout à fait particulier du réveil des nationalités au XIXe siècle, comme le rappelle le critique de cinéma Michal Procházka :
« Ça fait partie de la tradition de la culture tchèque. Quand on remonte dans le temps jusqu’à l’époque du mouvement de renaissance nationale au XIXe siècle, on découvre que les écrivains tchèques, les personnalités de ce mouvement passaient de village en village pour collecter les contes de fée du patrimoine de la littérature orale. Les écrivains essayaient en quelque sorte de ‘consoler’ la nation tchèque qui était dans une période difficile. C’était un moyen de sauvegarder la langue et la culture tchèques, car la culture et la langue officielles était allemandes. »
Les contes de fée comme échappatoire du peuple tchèque au XIXe siècle, le folklore populaire comme moyen de réhabiliter une culture... C’est aussi ce rôle de refuge que joueront les adaptations cinématographiques des contes de fée sous le communisme en Tchécoslovaquie. Un moyen, pour les gens, d’échapper à la grisaille du quotidien, voire à la peur. Michal Procházka :
« C’était quelque chose de très naturel. Je me souviens que c’était normal quand j’étais petit : ma mère me racontait des histoires tous les soirs. C’était complètement inscrit dans notre culture... »
Refuge pour le public, refuge également pour des cinéastes qui, interdits par le régime, trouveront dans ces productions cinématographiques un lieu de liberté où exercer leur art... Michal Procházka :
« Du point de vue des réalisateurs, des gens du cinéma, c’était beaucoup plus sûr de tourner des contes de fée parce qu’il n’y avait presque aucune censure. Au niveau des histoires, tu pouvais tourner n’importe quoi... »
Miroslav Táborský est un comédien tchèque qui, comme beaucoup de ses collègues, a aussi beaucoup joué – et continuer à jouer – dans des contes de fée. Pour lui, les contes de fée tournés sous le communisme avaient également des vertus paradoxales de lieu d’expression libre :
« Le régime a créé une situation particulière. Ceux qu’il n’autorisait pas à travailler pour les adultes pour des raisons politiques, il les laissait travailler pour les enfants. Mais avec les marionnettes et les contes de fée, il était possible de s’exprimer de manière subtile. Certains contes de fée cachent cet aspect-là. Sous le communisme, les spectateurs lisaient entre les lignes et c’est aussi pour ça qu’ils aimaient certains contes et que le lien est resté jusqu’à l’heure actuelle. Par exemple dans le film ‘La princesse follement triste’ (Šíleně smutná princezna) on peut retrouver des messages cachés : autour des intrigues politiques, et aussi sur la signification de l’amour dans ce contexte... »
Certaines œuvres, comme par exemple ‘La princesse orgueilleuse’ (Pyšná princezna) n’échapperont néanmoins pas à une certaine propagande idéologique, surtout dans les années 1950...
« La propagande a essayé de recréer quand même un certain nombre d’histoires pour montrer par exemple comment un héros issu d’un milieu assez pauvre réussit finalement à vaincre un roi. Ou alors comment le roi est un personnage méchant, alors que le héros est plutôt le serviteur. »
Les Tchèques, un peuple de grands enfants naïfs ? Il y a un peu de cela au regard de ce goût immodéré pour les contes. Pourtant, un personnage typique des contes vient un peu contredire cette idée, un personnage qui n’est pas sans rappeler l’anti-héros censé symboliser le caractère tchèque, le brave soldat Chveïk. Michal Procházka :
« Il faut se rappeler qu’au XIXe siècle la culture tchèque était marginalisée. La culture officielle n’était pas tchèque. Le type d’histoires qui a survécu jusqu’à ce jour, c’est par exemple celles avec le personnage qu’on appelle en tchèque Hloupý Honza, en français, on pourrait le traduire comme ‘Jean le simple d’esprit’. Il est issu d’un environnement tout à fait ordinaire, d’une petite maisonette dans un village. Il part pour vaincre un dragon ou conquérir la main de la princesse ou encore obtenir la moitié d’un royaume. Comme il est ‘simple d’esprit’, il ne gagne pas par sa force physique ou son intelligence. Mais il gagne par sa façon d’être tchèque, d’être un petit personnage dans le paysage qui finalement est plus fort que tous ses rivaux. »
En attendant, tous les ans, Noël est l’occasion pour la télévision de diffuser films taillés sur mesure pour l’atmosphère de fête. Preuve de ce succès qui se s’est jamais démenti : l’affluence de visiteurs en 2009 lors d’une exposition présentant les costumes utilisés sur les tournages de contes de fée. Pas moins de 50 000 personnes sont ainsi venus voir les costumes des personnages de leur enfance au Couvent de Strahov à Prague. Cette année, l’exposition a donc été reconduite et agrandie : l’édition numéro deux de « Comment s’habillent les contes de fée » sera à voir cette fois, en plein cœur de Prague, à la Maison municipale. Plus de 200 costumes y sont exposés jusqu’à la fin décembre contre une cinquantaine l’an passé. Une façon de rappeler également que ces films ne lésinaient ni sur les moyens ni sur le niveau de qualité de la production. C’est dans les studios de Barrandov qu’étaient employées les petites mains de couturières chargées de créer les costumes qui ont fait rêver des générations de bambins. Věra Krátká dirige la section costumes des célèbres studios de cinéma :
« Dans le cadre du fonds des studios Barrandov, nous avons encore un atelier de couture pour les costumes et un atelier de modiste pour les chapeaux. Avec le Théâtre national, nous sommes le seul endroit où on fabrique encore des costumes pour les films. On reçoit des commandes spéciales, de l’étranger par exemple, où notre client souhaite expressément que les costumes soient cousus à la main. »Un intérêt des productions étrangères qui est important puisque des costumes du célèbre double film ‘Le boulanger de l’empereur/L’empereur du boulanger’ viennent d’être prêtés pour le tournage de la quatrième saison de la série des Tudors.
Aujourd’hui encore, chaque année, des contes de fée sont tournés et attirent des spectateurs dans les salles de cinéma et devant leur poste de télévision. Et cette année encore, ‘Trois noisettes pour Cendrillon’, ‘La princesse orgueilleuse » ‘Le prince et l’étoile du soir’, ou quelque autre conte émerveilleront encore les petits Tchèques, voire leurs parents...