A Paris, fêter la bière tchèque, « symbole de fierté nationale »

Ces 21 et 22 septembre, c'est la Fête de la bière tchèque à Paris, destinée à faire découvrir aux Français la filière brassicole de Tchéquie. Pour en parler, RPI a interrogé Aleš Stejskal, directeur général de la société Les Bières tchèques, spécialisée dans la distribution de marques tchèques en France et coorganisatrice de cette fête, Jakub Smetana, directeur du bureau parisien de CzechTrade, dont la mission est d'aider les entreprises tchèques à se développer à l'étranger et Michel Fleischmann, ambassadeur de la République tchèque en France.

AS : « L’idée est née autour d’une bière naturellement. A l’époque, avec le prédécesseur de Jakub Smetana qui s’appelle Vitězslav Blažek, le directeur de CzechTrade à ce moment-là, nous avons discuté d’un potentiel événement autour de la bière qui n’existait pas encore en France. On s’est inspirés de ce qui se faisait déjà autour de l’ambassade tchèque à Londres avec le bureau CzechTrade de Londres qui organisait des Czech Beer Days. Nous nous en sommes inspirés pour créer notre événement à Paris il y a trois ans. »

Qu’est-ce que les précédentes éditions vous ont appris ? Des éditions qui ont été marquées par la pandémie de Covid-19…

Aleš Stejskal | Photo: Archives de Aleš Stejskal

AS : « De mon côté, je pense que comme on a réussi à organiser deux éditions pendant le Covid-19, cette année s’annonce beaucoup plus simple. On n’a pas besoin de faire attention à toutes les règles sanitaires comme avant. »

MF : « Il est important de dire que c’est le rôle de l’équipe économique de l’ambassade de présenter des produits tchèques. Le ministère tchèque de l’Agriculture soutient ce projet et y participe financièrement. La première mouture était plutôt une édition-test puisqu’il y avait le Covid qui nous a empêchés de faire cela de manière adéquate. La deuxième édition était déjà meilleure, et je pense que la troisième est donc entrée dans les mœurs. Ce que cela m’a appris, c’est que cela m’a obligé à regarde près l’état de la consommation de la bière en France. Or la consommation de la bière en France a dépassé celle du vin, ce qui pour ce pays est une petite révolution. Il faut donc que les sociétés brassicoles tchèques en profitent et s’installent sur le terrain vu que la bière tchèque est la meilleure au monde. »

Clairement, les Français sont connus et perçus comme étant plutôt des buveurs de vin, mais « boire un demi » fait aussi partie des habitudes françaises, notamment dans les régions de l’Est, mais pas seulement. Que représente la bière tchèque pour les consommateurs français ?

Photo illustrative: ELEVATE,  Pexels

JS : « En effet, le vin est le produit-phare de la France et on ne peut pas parler du vin sans mentionner la France. Mais on voit depuis plusieurs décennies ce changement quant à la consommation, mais aussi la production de la bière en France. Aujourd’hui, la France c’est 34 litres consommés par tête, par an. En Tchéquie la consommation est évidemment bien plus élevée, mais c’est plutôt cette tendance et ce potentiel que ce marché propose. Dans les années 1980, on ne comptait pas plus d’une trentaine de brasseries en France alors qu’aujourd’hui entre 2 300 et 2 400 sur tout le territoire. Par contre, en ce qui concerne la bière tchèque elle-même, je pense qu’elle n’est pas encore assez rentrée dans l’imaginaire du grand public français. Ce n’est pas le premier pays évoqué quand on parle de bière en France. »

On pense à la Belgique surtout ?

JS : « C’est cela. De ce que j’ai pu entendre, c’est plutôt la Belgique. En France, on perçoit certes les Tchèques comme de gros consommateurs, mais pas en tant qu’artisans et producteurs. Donc c’est encore un défi pour les brasseries tchèques à l’avenir. »

Comment présentez-vous la bière tchèque, par rapport à la bière belge par exemple ?

Photo: Lenka Žižková,  Radio Prague Int.

AS : « Je complète ce qui a été dit précédemment. On vit une véritable petite révolution actuellement en France en termes de consommation de bière. La bière belge est naturellement présente en France, la bière allemande également surtout à l’est du pays. Historiquement, les Français ont toujours consommé ces bières comme des bières de dégustation et non comme une bière de soif ce qu’est la bière tchèque. La bière tchèque est une lager, une pils, c’est-à-dire facile à boire. C’est aussi une des raisons pour lesquelles les Tchèques sont de si grands consommateurs parce qu’elle est la plus simple et la plus digeste. Les Français, connus pour être de bons vivants qui aiment la gastronomie et le bon vin, et qui commencent à découvrir les belles choses des micro-brasseries locales et d’ailleurs et à connaître ce qu’est une bonne bière. Ce n’était pas le cas il y a quelques années. En France, le marché de la lager est divisé entre de grands groupes industriels qui n’ont rien à voir avec un savoir-faire d’une bière faite artisanalement. Donc je pense que les Français qui aiment les bonnes choses vont naturellement se tourner les bonnes bières : quand on goûte une bière artisanale, il est ensuite difficile de revenir aux bières industrielles. Je pense que le temps de la bière tchèque, en tant que bière de soif bien faite, est arrivé. »

Quels types de bières présentez-vous ? De grandes marques sont connues au-delà des frontières, mais la mode des micro-brasseries a aussi bien essaimé en Tchéquie : sont-elles également présentes ?

Photo: Rude,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

AS : « Exactement. Nous allons présenter essentiellement une grande marque, c’est la brasserie publique, Budvar. Ensuite, on présente des brasseries de taille moyenne qui produisent de la pils. Mais également des micro-brasseries qui produisent des bières spéciales peut-être mieux connues des Français. On va donc présenter un éventail de différentes bières de toutes typologies. »

La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie ont également touché le secteur brassicole, puisque de grands noms comme Budvar, Pilsner Urquell et d’autres ont décidé de stopper leurs exportations vers la Russie. S’orienter davantage vers les marchés occidentaux comme la France peut-il compenser ce manque-à-gagner ?

Jakub Smetana | Photo: LinkedIn de Jakub Smetana

JS : « Vous avez raison, la Russie était un marché très important pour les exportateurs tchèques. Hormis l’UE, c’était le marché le plus important et il faut trouver d’autres débouchés pour combler ce manque. Nous, chez Czech Trade, nous sommes en contact quotidien avec les brasseurs tchèques, nous leur proposons des solutions, nous essayons de répondre à cette nouvelle demande, de proposer des missions et des services pour trouver d’autres territoires. Du jour au lendemain, la France n’arrivera bien sûr pas à combler entièrement ce trou. Cela demeure toutefois un des territoires occidentaux principaux où les exportateurs tchèques veulent se tourner à l’avenir. Il y a bien sûr d’autres territoires comme la Chine, Taïwan qui sont en hausse en ce moment. La marque Kozel fait ses premiers pas en Roumanie, et n’oublions pas les pays scandinaves où, dans la dernière décennie, les ventes et la demande ont doublé. Je pense que les exportateurs et les brasseurs vont devoir s’adapter à cette demande qui est complètement différente, tout comme la culture de consommation française, mais c’est un défi intéressant et tout-à-fait faisable. »

Michel Fleischmann | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

MF : « Quand j’étais jeune, on buvait en France un demi français ou belge. Après sont venues des bières du Mexique. La bière de Plzen était plutôt une bière de dégustation particulière. Peu à peu, avec la libéralisation d’après 1989, les touristes français voyageant en Tchéquie revenaient chez eux en ayant découvert la bière tchèque et ont fait beaucoup pour la promouvoir. Aujourd’hui la situation  a encore changé. Il y a beaucoup de petites brasseries en France qui voient le jour. Il y a une concurrence quasi mondiale. Dans ce contexte, je pense que les bières tchèques tiennent plutôt bien le haut du pavé et sont considérées comme ce qu’il y a de mieux en la matière. C’est vrai qu’il y a un effort à faire car chaque région en France a sa bière, et les Tchèques doivent se battre avec leurs grandes marques et leurs petites brasseries. Ce festival de la bière à Paris est justement organisé dans ce but. »

En quelques mots, comment définiriez-vous ce qu’est la bière tchèque ?

MF : « Je n’arrive pas à imaginer la tchéquité sans la bière. C’est l’expression même de ce qu’est être tchèque. Quand un Français rencontre un Tchèque, c’est évidemment de bière qu’ils commencent à parler au bout de quelques minutes. C’est totalement lié à l’histoire, à la littérature, à l’intériorité même de la Tchéquie, c’est l’expression de la Tchéquie culturelle, économique, voire politique. Souvenons-nous des photos du président Clinton buvant de la bière tchèque : je ne vois pas un politicien mondial allant en Tchéquie ne pas prendre un verre de bière. C’est donc aussi une expression politique et c’est le produit numéro 1 à côté des voitures Škoda. »

AS : « Pour moi, la bière est un trésor national comme le dit M. Fleischmann. Je suis un Tchèque vivant en France, qui a la chance de faire de la bière tchèque son métier en tant qu’importateur et distributeur. Donc présenter le trésor national de mon pays d’origine dans le pays où je vis et où je vais probablement vivre encore c’est aussi quelque chose de personnel et d’important pour moi. »

JS : « Pour moi, c’est le symbole d’une fierté nationale. Je pense qu’en Tchéquie, on a du mal à être unis derrière un symbole qui ne soit pas contesté par tel ou tel parti, qui ferait l’identité de ce que nous sommes. Or la bière est notre identité, un symbole incontesté au sein de la population. »

Photo illustrative: Alexej Maximov,  ČRo