A Prague, des chercheurs essaient de reconstituer les parfums de l’Antiquité gréco-égyptienne
Des chercheurs de l’Académie des sciences de République tchèque se sont donné pour objectif de reconstituer des parfums de la Grèce antique et de l’Egypte antique. Ce projet unique, intitulé « Alchimies de Parfums » (« Alchemies of Scent »), a pour objectifs de mieux comprendre l’histoire de la parfumerie et de contribuer à une meilleure identification des plantes utilisées dans l’Antiquité et de leurs propriétés chimiques et médicales.
Débuté à l’automne 2021 à l’Institut de philosophie de l’Académie des sciences, « Alchimies de Parfums » est un projet qui a pour ambition de mieux comprendre les pratiques de parfumerie de l’Egypte antique et de la Grèce antique. Sean Coughlin, historien de la philosophie des sciences et de l’Antiquité et responsable du projet « Alchimies de Parfums », nous présente ce projet innovant :
« ’Alchemies of Scent’ est un projet qui réunit des chercheurs de différentes disciplines : des égyptologues, des philosophes de l’Antiquité, des chimistes organiques et des archéologues, pour trouver les parfums d’une période importante dans l’histoire de la culture et des sciences. C’est la période gréco-égyptienne. Dans cette période circonscrite par les conquêtes d’Alexandre le Grand et la mort de Cléopâtre et pendant laquelle les Grecs et notamment les Ptolémées ont occupé l’Egypte, nous pensons qu’il y avait des échanges scientifiques et artistiques considérables entre les deux cultures. Les traditions grecques ont incorporé des aspects de la culture égyptienne. La tradition égyptienne de fabrication de parfums est devenue une partie de la tradition grecque, latine, hébraïque, arabe et enfin européenne. ‘Alchemies of Scent’ est donc un projet destiné à retrouver les parfums de cette période et à retrouver les méthodes de fabrication de ces parfums. »
Pour retrouver ces parfums, l’équipe de chercheurs se réfère à diverses sources. Parmi elles, des recherches archéologiques, des sources littéraires de l’époque, des textes médicaux grecs et des inscriptions sur les murs des temples égyptiens qui, après la conquête de l’Egypte par Alexandre le Grand, comportaient souvent des « laboratoires » dans lesquels certains procédés de parfumerie étaient explicités. Heike Wilde, égyptologue à l’Institut de philosophie de Prague, nous parle des temples égyptiens en tant que sources pour établir les recettes des parfums :
« Rien que dans les temples de l’époque gréco-romaine en Egypte, il existe des centaines de scènes iconographiques représentant des sacrifices de parfums aux dieux et rapportant des paroles prononcées pendant l’exécution des rituels. Des textes rituels ont également été transmis dans de nombreux papyrus. Les représentations de sacrifices et de rituels, mais aussi de festivals pendant lesquels l’on utilisait de l’huile d’encens, sont des représentations typiques dans les temples et dans les tombes. Tout cela montre la haute importance culturelle et historique du parfum. D’autre part, les représentations de la production des parfums sont très rares. La parfumerie est une discipline spécialisée, et connaître les recettes étaient une sorte de savoir secret. »
Etant donné que le type de sources diffère entre l’Egypte et la Grèce antique, les connaissances en parfums grecs et égyptiens sont également différentes. D’Egypte, les spécialistes connaissent principalement les huiles sacrées, dont les ingrédients et les instructions sur la préparation des huiles sacrées sont inscrits sur les murs de certains temples, alors qu’ils connaissent de la Grèce principalement les parfums médicaux consignés par des médecins dans des manuels de médecine.
C’est que comme nous le rappelle par Sean Coughlin, quand l’on parle de « parfums » anciens, l’on ne parle pas uniquement de parfums cosmétiques :
« Il y a des onguents, des pommades pour les affections cutanées et pour les choses comme ça, et il y a aussi des onguents pour les rituels religieux. Donc ce ne sont pas seulement des parfums cosmétiques. Il y a une grande différence avec le sens que l’on donne maintenant au terme ‘parfum’. »
Les parfums antiques pouvaient donc servir à traiter diverses affections, des maladies mentales mais aussi la peste. Ils étaient également utilisés à des fins d’hygiène, par exemple après le bain. En raison de ces divers usages, les parfums étaient utilisés dans la Grèce antique dans toutes les classes de la société. Pour qu’ils soient accessible à tous, ils étaient répartis en trois catégories : la première était fabriquée à partir des plantes fraîches, la deuxième avec des plantes déjà utilisées pour réaliser les parfums de la première classe et la troisième avec les plantes utilisées pour ceux de la deuxième classe. Comme nous le rappelle Sean Coughlin, le parfum était ainsi un moyen d’éliminer les distinctions de classe, car comme l’écrit Xénophon dans son Symposium, « les personnes ointes de parfum, qu’’elles soient esclaves ou libres, ont immédiatement toutes la même odeur ».
Cette différence d’usages n’est pas la seule différence avec les parfums auxquels nous sommes habitués. Comme les parfums de la Grèce et de l’Egypte antiques ne sont pas faits à partir d’alcool mais de graisse ou d’huile, les techniques de distillation de l’alcool n’étant découvertes qu’au IXème siècle, pendant l’âge d’or de l’Islam, ils sont plus épais, sirupeux, résineux et huileux que ce à quoi nous sommes aujourd’hui habitués. S’ils voulaient simplement se parfumer, les Grecs et les Egyptiens n’utilisaient pas les parfums tels quels et se servaient de la fumée produite par la combustion de résines et d’autres plantes.
Comme aujourd’hui, les parfums cosmétiques connaissaient dans l’Antiquité des modes et leurs senteurs changeaient régulièrement. Les spécialistes en parfums de l’Antiquité ont notamment découvert que les parfums exotiques importés de régions lointaines étaient particulièrement prisés : en Égypte, ces parfums venaient surtout du pays de Punt (vraisemblablement près de la corne de l’Afrique) et d’Arabie ; en Grèce, de Chypre, puis, après les expéditions d’Alexandre le Grand, d’Égypte, du Moyen-Orient et d’Inde.
Les ingrédients les plus traditionnels dans les parfums grecs et égyptiens étaient la myrrhe et l’encens, mais on y trouvait également des substances provenant d’autres plantes, comme la cannelle ou le genévrier, des racines comme l’iris, des herbes comme la marjolaine, l’origan, la cardamome et le safran, des fleurs comme la rose.
S’il est aisé pour les chercheurs de repérer les ingrédients les plus utilisés, la taxonomie des plantes leur pose de multiples difficultés :
« A chaque fois qu’on trouve un mot, on a des difficultés avec l’identification de la plante pour plusieurs raisons. Premièrement parce que souvent, on ne sait pas ce que le mot veut dire et il n’y a pas de traduction. D’autre part, il y a des mots dont on connaît le sens, mais peut-être que l’espèce de plantes n’existe plus aujourd’hui, on ne peut pas la trouver. Il y a des exemples comme ça. Troisièmement, il y a beaucoup d’espèces dont on peut par exemple dire que c’est une résine nommée myrrhe, mais il existe différentes espèces de myrrhes, et on ne sait pas dire de quelle espèce de myrrhe parlent les sources anciennes. Peut-être que ça ne correspond pas avec une espèce et que c’est un produit de commerce, qui a été fabriqué. Donc c’est absolument impossible de dire qu’il s’agit du même produit à l’époque des Egyptiens. Pour nous, ce n’est pas exactement une difficulté insurmontable, c’est une occasion de faire des expériences pour tester quel est l’ingrédient le plus probable pour le parfum. »
C’est donc par l’expérimentation que les chercheurs essaient de mieux comprendre les textes anciens et les sciences de l’Antiquité. Lorsqu’ils n’arrivent pas à identifier une plante, ils font de nombreux tests pour essayer de découvrir de quelle plante il s’agit. Il faut donc d’abord trouver les plantes les plus probables, puis se procurer les plantes en question venant des mêmes régions du monde que celles utilisées dans le monde antique. Puis, une fois que les chercheurs ont les ingrédients, ils peuvent commencer à expérimenter tout en essayant de comprendre la nature des interactions entre les différents ingrédients.
Si l’identification des plantes peut être difficile, le manque d’informations sur les techniques de parfumerie utilisées par les Grecs et les Egyptiens de l’Antiquité peut également être problématique. Sean Coughlin nous donne un exemple des difficultés auxquelles l’équipe peut être confrontée en prenant l’exemple du stakte, un parfum à base de myrrhe, similaire à celui évoqué dans la Bible, dont la méthode de préparation est inconnue :
« C’est un des plus simples parfums de l’Antiquité : il est composé uniquement de myrrhe et d’eau. C’est l’une des seules recettes que l’on trouve à la fois dans les sources égyptiennes et grecques. Dans les sources, il est dit qu’on prend de la myrrhe, qu’on met un peu d’eau et qu’on presse le tout pour extraire quelque chose de parfumé. On ne sait pas du tout comment mettre de la myrrhe et de l’eau ensemble peut donner un parfum. »
Avec ce projet, les chercheurs de l'Académie des sciences tchèque voudraient apporter des connaissances qui iraient au-delà de l’unique histoire de la parfumerie. « Alchimies de Parfum » a également pour vocation d’apporter de nouvelles connaissances linguistiques en égyptien ancien et en grec ancien, des connaissances sur les plantes médicinales utilisées dans l’Antiquité et enfin des connaissances sur l’histoire de la science elle-même, étant donné que les techniques de parfumerie de l’Antiquité sont les ancêtres de nombreuses techniques encore utilisées aujourd’hui en chimie organique moderne.