« A Prague, les restaurants français ne sont pas reconnus »
Alexandre Déon est le patron du restaurant français L’Ardoise, installé sur les hauteurs de Prague, dans le quartier de Vinohrady. Il raconte comment il a monté son affaire et explique ce que signifie tenir un restaurant français dans la capitale tchèque.
« Je suis venu à Prague il y a six ans la première fois, pour un tout autre métier – je travaillais dans le cinéma – et je suis revenu ici il y a trois ans en ayant décidé d’ouvrir un restaurant ou un lieu d’accueil. J’ai rencontré par chance des gens qui m’ont vraiment aidé à mettre en place ce restaurant. Il s'agit d' Alberto, qui a un restaurant qui s’appelle ‘Chez Marcel’ dans le centre et Alexis Pandelides, qui ont été mes deux grandes aides pour monter ce restaurant avec une cuisine exclusivement française. »
Comment avez-vous trouvé cet emplacement ? Vous avez décidé de vous installer dans ce quartier de Vinohrady ?
« C’est grâce à Alberto qui avait un restaurant à vendre, et qui me l’a montré. Je suis tombé amoureux de l’endroit et deux semaines après je l’ai acheté, et un mois et demi après on a ouvert »
Quel type de plats proposez-vous ? Votre cuisinier est-il français ?
« Eric Macé a travaillé pratiquement dix ans dans les cuisines de Ducasse. C’est une cuisine très particulière. On a quatre personnes en cuisine. C’est une cuisine très compliquée, relativement simple dans l’assiette, mais il y a une grosse préparation derrière. Pour le choix des plats, on ne travaille que des plats traditionnels français mais avec de la haute cuisine. Ce qui a été difficile au début, c’est qu’on ne trouvait pas toujours les produits. Maintenant, au bout de deux ans et demi, j’ai tous les fournisseurs, je pense avoir les meilleurs fournisseurs sur Prague, sachant que la viande vient de France et d’Allemagne, le poisson d’Italie ou de France, et les légumes viennent de Belgique.
Il n’y a pas grand-chose qui vienne de République tchèque. Ce n’est pas que l’on ne trouve pas les produits ici, mais la qualité est irrégulière. Et ce n’est pas possible pour un restaurant d’avoir un jour un morceau de viande excellent et le lendemain, un truc qui ressemble plutôt à une semelle de chaussure. »
Est-ce que vous proposez des formules comme on en voit dans les restaurants français – je veux parler des menus complets – ou est-ce que vous vous adaptez au mode de fonctionnement tchèque ?
« On est plutôt français. On a un menu à midi comme dans le système français, avec deux plats ou trois plats avec deux prix différents. C’est un menu fixe, et après cela, il y a la carte. Par contre, en dehors de la carte, on a beaucoup d’autres choses en cuisine, mais toujours en très petites quantités. Donc on ne peut pas les proposer à tout le monde. Ça dépend de la personne. Si on voit que la personne a un intérêt pour manger quelque chose d’un peu plus extraordinaire, un poisson exceptionnel, voire du homard, je vais le chercher et on le cuisine mais ce sont rarement des choses que l’on garde en cuisine parce qu’on ne travaille pas du tout avec le congelé. Ce n'est que du frais. »
Avez-vous une clientèle fidèle ? Comment évaluez-vous votre clientèle ? Ce sont des gens qui reviennent, des gens que vous connaissez, des touristes ?
« On est en dehors du circuit touristique ici. Il y a des touristes qui viennent des hôtels qui sont à côté, et en passant devant L’Ardoise, avec toutes les guirlandes qui sont allumées dehors, ça attire généralement pas mal de touristes. Mais ma base de clientèle est une clientèle très fidèle qui revient très souvent. D’où mon problème: je ne peux pas leur proposer tous les jours la même chose à manger. Sinon, ils ne reviendraient pas trois ou quatre fois par semaine. On doit toujours, avec Eric, trouver des choses originales, qu’ils n’ont pas mangées avant, et sur deux ans, ce n’est pas une mince affaire. Mais on y arrive généralement. »
Est-ce que vous avez beaucoup de clients français qui viennent ici retrouver les saveurs qui leur manquent en tant qu’expatrié ?
« Enormément ! Ils adorent. Ils aiment beaucoup, et ils reviennent ici. Ce sont tous ceux qui reviennent justement trois à quatre fois par semaine. Ils ont en marre de mal manger et ils me commandent des plats parfois. Donc on fait de plats à l’avance, juste pour eux, on fait quelque chose de spécifique, et ils le mangent. »
C’est d’une manière générale une clientèle assez internationale ?
« Français et Tchèques, c’est dominant. Et dans ce quartier, il y a des Américains ou des Anglais. Les Tchèques qui viennent ici savent vraiment pourquoi ils viennent ici et sont sans doute mes meilleurs clients. »
On peut lire dans les journaux français que les restaurateurs se plaignent parce qu’ils commencent à subir les effets de la crise. Leurs clients ne peuvent plus se permettre de fréquenter les restaurants aussi souvent. Voyez-vous cela aussi à Prague ?
« Oui, c’est très juste, je le vois à Prague. Mais les restaurateurs se plaignent toujours. On a passé un hiver difficile, comme tous les hivers, qui sont tous difficiles. Cette année l’a été d’autant plus parce que c’était plutôt une psychose sur la crise. Maintenant, beaucoup d’employés de sociétés n’ont plus le budget, n’ont plus le droit d’inviter des clients au restaurant. Donc cela, on l’a ressenti, évidemment. Au lieu de venir à trois ou quatre, ils viennent tout seul, et ils n’invitent pas. »
Avez-vous des relations avec d’autres restaurateurs pragois qui proposent aussi une cuisine plus évoluée que les restaurants classiques ?
« Je suis en train, même si ce n’est pas encore fait, de travailler sur un projet d’avoir quatre ou cinq restaurateurs que je respecte et de faire une sorte d’association où l’on puisse communiquer sur nos restaurants en même temps comme étant des établissements avec une qualité régulière et une bonne cuisine. C’est assez difficile de trouver de bons restaurants à Prague, il n’y en a pas beaucoup. Ça se compte sur les deux mains maximum. »
Pensez-vous que globalement, la qualité de la gastronomie en République tchèque s’améliore ?
« Je sais que la compétition va être de plus en plus difficile. Il y a beaucoup de restaurants qui vont fermer avec la crise et j’espère que ça va réveiller certains restaurateurs et les pousser à maintenir et à respecter une qualité à l’assiette et à l’accueil. »
Est-ce que vous regardez les critiques gastronomiques, est-ce que cela compte pour vous ?
« Je suis en train de créer une ligue contre les critiques américains. Il y a quatre ou cinq critiques qui tournent pour des sociétés comme ‘expats’ ou le ‘Prague post’. Ce ne sont que des Américains. Et je suis vraiment désolé pour eux mais ils ne connaissent rien à la nourriture. Je suis très ouvert à une critique, pour moi cela ne peut que m’améliorer et que me faire du bien. Si elle est juste, je la conçois, je vais travailler dessus et je vais faire un effort. Par contre, quand elle n’a aucun intérêt et qu’elle est fausse parce que les gens ne connaissent pas ce que c’est qu’un gratin dauphinois et qu’ils parlent d’une purée mal faite, c’est très difficile et très insupportable pour nous. »
A propos des vins, vous en proposez une belle gamme. Vous les faites venir de France, ce sont exclusivement des vins français ? Comment les choisissez-vous ?
« J’ai deux vins tchèques pour les touristes qui me demandent de gouter des vins tchèques. J’ai deux blancs et deux rouges qui sont très bien, très respectables. Sinon, tous les autres vins sont des vins français. Je n’ai pas commencé, j’aurais pu, mais j’ai juste fait le choix de ne pas avoir de vins italiens, espagnols, d’Afrique du Sud, d’Amérique, qui font aussi des excellents vins. Mais cela demande une gestion énorme et j’ai vraiment décidé d’être un restaurant français donc de ne proposer que des vins français. Il y a d’autres restaurateurs, comme les Italiens, qui n’ont que des vins italiens. Je trouve bien que chacun aille au plus loin de sa spécialité. »
Les restaurants français à Prague ne sont pas très nombreux. Est-ce que la concurrence est rude entre restaurants français et est-ce que c’est vraiment la marque française qui attire ici votre clientèle ?
« J’ai une toute petite anecdote. Il y a des guides qui sont édités dans le monde entier où vous avez les dix premières villes dans lesquels il y a une sélection des dix meilleurs hôtels et des dix meilleurs restaurants. Dans tous les pays, dans les guides sur le Japon, sur Londres, sur New-York, sur Berlin, sur vraiment les grandes villes, en première place des meilleurs restaurants, c’est toujours un restaurant français. A Prague, il n’y a même pas un français. Ce n’est pas bien pour moi parce que les restaurants français, à Prague, ne sont pas excellents, ne sont pas reconnus, donc les gens n’ont pas le réflexe d’aller chercher un restaurant français. »