« Ces recettes nous permettent de faire voyager les lecteurs tchèques dans les régions françaises »
Il y a quelques semaines, Eva Aubry et Marie Verdier ont publié un livre de cuisine intitulé « Ilustrovaný průvodce francouzskou kuchyní ». Au menu, des recettes traditionnelles françaises traduites en tchèque qui emmènent les lecteurs au cœur des régions de l’Hexagone. Eva Aubry, traductrice et professeure de français vivant à Brno, est revenue, au micro de Radio Prague Int. sur le lien qu’elle entretient avec le pays du fromage :
« La France a joué un rôle très important dans ma vie. J’ai eu la chance de faire mes études de linguistique à l’université Paris VIII. Elles m’ont énormément apporté, j’ai eu des professeurs formidables. J’ai également fait mes premiers pas dans la vie professionnelle en France et mes deux enfants sont nés à Paris. Même une fois partie, je continue à entretenir ce lien puisque je suis traductrice et professeure de français mais aussi par ma vie familiale car mon mari est français et mes enfants ont la double nationalité. »
Comment et quand est né ce projet de livre de recettes ?
« L’idée du projet est née lorsque j’ai rencontré Marie Verdier dans le cadre d’un groupe de parents et enfants francophones à Brno. Elle a passé deux ans en Tchéquie avec sa famille. Marie est passionnée de cuisine et comme je suis artiste amateure, nous avons eu l’idée de créer un livre de cuisine française illustrée. Ce livre n’est pas seulement un recueil de recettes. Nous expliquons aussi le contexte historique, culturel, géographique des plats. Le plus important est que nous avons créé ce livre spécialement pour le public tchèque et d’Europe centrale. Je pense que c’est un point positif par rapport aux livres de cuisine qui ont seulement été traduits car nous essayons de nous adapter à nos lecteurs. Par exemple, nous avons adapté les ingrédients de façon à ce que les gens puissent les trouver dans leurs magasins locaux.
L’aventure de notre livre n’en est qu’au début. En ce qui concerne la vente du livre, Marie et moi avons choisi une approche particulière. Le livre n’est pas vendu dans des librairies, à l’exception d’une libraire à Brno où nous avons fait une conférence sur la cuisine française en collaboration avec l’Alliance française de Brno. Il est principalement en vente dans les magasins d’alimentation française ou d’alimentation de qualité en général car, puisque nous avons le même but avec ces entrepreneurs dans le domaine de l’alimentation française en Tchéquie, nous nous sommes dit qu’il était naturel de leur présenter notre projet. Ils ont été très enthousiastes donc notre livre est en vente dans des magasins qui proposent du vin, du fromage et d’autres produits français. »
D’où vous vient cet attrait pour la cuisine française ?
« Ma première rencontre avec la cuisine française était pendant mon voyage scolaire en France, à Paris où nous avons mangé à la cantine d’une école française. J’ai déjà pu voir, à ce moment, à quel point les habitudes alimentaires sont différentes. Par exemple en Tchéquie, le repas du midi est toujours composé d’une soupe type bouillon et du plat principal tandis qu’en France j’ai été très étonnée de manger du fromage après le repas. Plus tard, pendant mon séjour en France, j’ai compris à quel point la gastronomie y était importante. Nous insistons beaucoup sur la qualité des produits mais cela touche aussi la vie sociale avec des repas qui durent des heures ou encore les rencontres dans les marchés. Cela m’a beaucoup impressionnée. »
« La cuisine tchèque ressemble beaucoup à la cuisine alsacienne »
Vous avez par exemple traduit les recettes du bœuf bourguignon, du poulet sauce basquaise, de la Charlotte aux pêches. Pourquoi avoir choisi ces recettes-là précisément ? Qu’est-ce qui vous plait dans ces recettes ?
« Marie et moi avons choisi des recettes assez simples à préparer, conviviales. Pour la plupart ce sont des recettes traditionnelles dont certaines sont revisitées. Ces plats nous servent aussi à faire voyager les lecteurs dans les régions en situant le plat dans le contexte. Par exemple, pour le bœuf bourguignon nous racontons aussi que la Bourgogne est également le pays du vin et de la viande rouge. Pour le poulet basquaise, nous essayons de faire comme si nous les amenions sur un marché au Pays Basque. En ce qui concerne la Charlotte, nous racontons un peu son histoire. Parfois nous faisons des références à la littérature, à des films, des chansons, des poèmes… Donc en réalité notre livre n’a pas pour but d’être très technique mais nous voulons plutôt transmettre des ambiances, des émotions et des images. »
Selon vous, quels liens existe-t-il entre la gastronomie française et la gastronomie tchèque ?
« Je pense que ce sont des cuisines très différentes. La Tchéquie a un climat plus rude qu’en France donc je dirais que les plats tiennent plus au corps. Il y a plus de viande, de féculents et de légumineuses. Mais, comme la cuisine tchèque est très proche de la cuisine allemande, je dirais qu’elle ressemble beaucoup à la cuisine alsacienne parce qu’on y trouve aussi des bretzels, de la choucroute, de la bière mais aussi les quenelles qui sont très proches des knedlíky. »
D’après vos impressions, les Tchèques sont-ils adeptes de la cuisine française ?
« Je pense que oui. Les produits français incontournables comme la baguette, les croissants, le fromage, le vin, les macarons sont très populaires. Mais je pense que malgré cela, les Tchèques ne connaissent pas vraiment bien la cuisine française, sa richesse. Ils ont également souvent des idées préconçues. Ils pensent souvent, par exemple, que la cuisine française est très compliquée alors que ce n’est pas le cas. A mon avis, ce qui importe en France est la qualité des ingrédients mais finalement les recettes ne sont pas si compliquées. Je dirais même que la cuisine tchèque est plus compliquée parce que nous transformons beaucoup les ingrédients, cela peut prendre plus longtemps. C’est ce que nous avons voulu montrer dans le livre, nous avons voulu lutter contre ces idées préconçues. »
En parlant d’idées préconçues, selon vous quels plats français dégoûtent le plus les tchèques ?
« Ce qui fascine ce sont les cuisses de grenouilles et les escargots. C’est sûr que nous nous demandons comment les Français peuvent manger quelque chose qui est généralement considérée répugnante mais c’est aussi le symbole de la cuisine française. Donc, quand nous avons choisi les recettes, j’ai insisté auprès de Marie pour qu’on y inclue soit les cuisses de grenouilles, soit les escargots. Je savais que les lecteurs attendraient cette recette. Même s’ils ne vont pas forcément la préparer, ils vont être intrigués et vont vouloir en apprendre plus. Ce qui est amusant, et que beaucoup de tchèques ne savent pas, c’est que pendant la première République tchécoslovaque, nous mangions aussi des escargots, mais exclusivement à Noël. »
« Noël sans la carpe ni la salade de pommes de terre ce n’est pas vraiment Noël »
Dans les premières pages de votre livre vous revenez sur plusieurs traditions françaises dont celles de Noël. Quelles différences avez-vous remarqué entre la façon de fêter Noël en France et en République tchèque ?
« Je dirais qu’en Tchéquie, voire en Europe centrale en général, nous aimons beaucoup les rituels. Nous tenons beaucoup à faire les mêmes plats chaque année, nous regardons toujours les mêmes films même si nous les connaissons par cœur. Nous tenons beaucoup à la tradition. Nous mangeons toujours la carpe avec une salade de pommes de terre, les cukroví… Je dirais qu’en France, on se permet plus de varier même s’il y a de grands classiques comme le foie gras, les huîtres, la bûche de Noël. »
Puisque nous approchons des fêtes de fin d’année, quelles sont vos recettes traditionnelles de Noël françaises préférées ?
« Se mettre d’accord sur un menu de Noël dans des familles binationales comme la mienne peut parfois être délicat, car Noël est justement le moment où chacun veut revenir à ce qu’il a connu dans son enfance, à des traditions, des goûts qu’il a connu petit. Par exemple, j’aime beaucoup le foie gras, le saumon fumé, la dinde farcie mais Noël sans la carpe et sans la salade de pommes de terre ce n’est pas vraiment Noël pour moi. Nous avons donc fait un compromis sur le dessert : mon mari prépare la bûche de Noël française pour toute la famille qui apprécie beaucoup. »
Pour terminer, avez-vous d’autres projets comme ce livre de cuisine en cours ?
« Nous avons aussi des demandes pour organiser des ateliers de cuisine dans les lycées à Brno l’année prochaine. Cela nous fait très plaisir car, puisque nous sommes toutes les deux mamans, nous aimons bien travailler avec le jeune public. Nous voudrions également participer à d’autres événements destinés à promouvoir la cuisine française, des évènements autour de la gastronomie ou de la francophonie. Même si Marie est retournée en France, nous sommes restées proches et elle revient régulièrement donc j’espère que nous continuerons à faire découvrir la France en Tchéquie par le biais d’autres projets. »
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