À Prague, une fresque murale pour dénoncer la violence domestique, encore mal définie par la loi
Le regard attristé d’une jeune femme semble fixer les passants et les interpelle. Réalisée par l’artiste David Strauzz, une fresque murale dénonçant les violences domestiques a récemment été présentée au public dans le quartier de Holešovice à Prague.
« Tu n’es pas seule », « La violence n’a pas sa place dans une relation », « Espoir », « Courage », « N’aie pas peur d’en parler » ou encore « Le silence n’arrêtera pas la violence ». Sur la façade d’un immeuble du VIIe arrondissement, tous ces messages entourent la fresque. Plus l’on s’en approche, plus le spectateur décèle des signes de violence sur le visage de la victime. David Strauzz est l’auteur de la fresque. Lui-même victime d’un père violent durant son enfance, il explique son œuvre :
« Ce que vous percevez de loin n’est pas toujours ce que vous voyez de près. Pour avoir moi-même vécu ces violences familiales, je sais que beaucoup de femmes se trouvent dans le cas de ma mère, qui allait travailler tous les jours en cachant les marques de coups et les bleus qui témoignaient de ce qu’elle vivait à la maison. La réalité n’est pas aussi belle que ce que l’on voit de loin. La femme peinte sur la fresque est une inconnue. Pour moi, comme l’on dit en temps de guerre, c’est le ‘soldat inconnu’. Elle représente tous ceux d’entre nous qui ont été victimes de violences chez eux. »
La mairie de Prague 7, quartier de plus en plus artistique dans la capitale tchèque, a approuvé le projet et lui a réservé une place de choix : un immeuble particulièrement visible pour les passants. La fresque a été réalisée en partenariat avec NeNa, une « coalition de centres spécialisés pour les femmes victimes de violence », et IKEA.
Depuis vingt ans, sous le slogan « For a safe home » (littéralement « Pour une maison sûre »), l’entreprise de mobilier milite en République tchèque pour faire amender la loi sur la protection contre les violences domestiques. Un projet visant à définir clairement le délit et à unifier les formes d’assistance dans tout le pays devrait être présenté au gouvernement d’ici la fin du mois de juin.
En attendant, cette campagne, combinée au travail de diverses associations locales, a d’ores et déjà permis de faire avancer les choses puisque les victimes de violences sexuelle et familiale sont désormais reconnues comme étant particulièrement vulnérables.
Une femme sur deux en Europe centrale victime de violences
Haute de vingt mètres, et donc pratiquement immanquable pour qui passe devant, la fresque, œuvre de sensibilisation, se veut également respectueuse de l’environnement, comme l’explique encore David Strauzz :
« J’ai réalisé différents projets en utilisant des peintures écologiques provenant d’une entreprise appelée Airlite en Italie. IKEA souhaitait une peinture murale avec ce type de produit. Je pense être le seul artiste à Prague qui utilise cette peinture, et c’est pourquoi Ikea m’a contacté. »
Pour le street artiste, si peindre ces diverses maltraitances reste difficile, notamment en raison de son histoire personnelle, il n’en s’agit pas moins d’un travail nécessaire pour éveiller les consciences. Selon la campagne « For a safe home » initiée par IKEA, les violences au sein des familles sont un phénomène d’ampleur en Europe centrale puisque 47 % des femmes tchèques, slovaques et hongroises en auraient déjà été victimes. Si des progrès ont été réalisés ces dernières années, le sujet reste toutefois délicat à aborder et les personnes concernées hésitent, dans la plupart des cas, à solliciter de l’aide.
« Bien souvent, qu’il s’agisse de violences familiales, de racisme ou d’homophobie, les victimes croient qu’elles sont seules et qu’elles n’ont aucun réseau ou soutien. Mais cela est faux. Donc, peut-être que l’émotion qu’elles éprouveront en voyant la fresque les incitera à chercher de l’aide ou à tendre la main à des amies. Et si tel est le cas, alors c’est bien évidemment un type de projet que je souhaite réaliser davantage. »
« Si cette fresque peut aider ne serait-ce qu’une seule femme, alors elle aura été utile »
Le nombre de signalements de violences domestiques a doublé durant les confinements liés à l’épidémie de Covid-19. En mai 2022, Zdena Prokopová, conseillère au sein de l’association Rosa Women à Prague, avait déclaré que « l’isolement forcé, les ressources financières limitées et le stress accru sont autant de facteurs susceptibles de déclencher un comportement violent à la maison ». Un constat que partage David Strauzz :
« Pendant la pandémie de Covid-19, les gens ont beaucoup souffert du confinement. La santé mentale et plus généralement le sentiment de bien-être en ont pâti. Donc, si nous pouvons trouver un moyen ensemble, en tant que communauté, de tendre la main, de nous entraider, cela provoquera un changement positif. »
D’ores et déjà, alors qu’elle a été dévoilée il y a quelques jours seulement, la fresque a un impact positif, comme s’en félicite son auteur :
« J’ai déjà reçu sur les réseaux sociaux plusieurs messages de femmes qui me remercient d’avoir participé au projet. Certaines d’entre elles me confient même qu’elles-mêmes ont été victimes de violences familiales par le passé ou le sont actuellement. Encore une fois, si cette fresque murale peut inciter ne serait-ce qu’une seule femme à chercher de l’aide autour d’elle et à utiliser le site ‘Pro bezpečný domov’ (‘Pour un foyer sûr’), alors je considérerai que ce projet a été utile. »
Inscrit sur la fresque, le site www.probezpecnydomov.cz traite de la question des amendements à la loi visant à garantir une meilleure protection des victimes de maltraitances. Il s’agit notamment d’ancrer la définition juridique, encore manquante, de la violence domestique.