Académie Versailles : un voyage musical à contre-courant de l’histoire

Photo: Petra Golíková / Collegium Marianum

Orchestre mythique de l’époque baroque, destiné aux divertissements et cérémonies officielles de la cour de France, Les Vingt-quatre Violons du roi ont été reconstitués, début mars, à Prague, à l’occasion de l’Académie Versailles. Retour, dans cette émission, à cette série de master-class qui a permis à plusieurs dizaines de jeunes musiciens tchèques et étrangers de jouer sur des copies des instruments à cordes historiques de l’orchestre du Roi-Soleil.

Christine Verdon,  photo: Magdalena Hrozínková
« Je suis violoniste. Dans le projet, je joue la haute-contre, c’est une partie intermédiaire, une sorte de petit alto. Pour moi, c’est un défi, je dois lire une autre clé. Patrick (Patrick Cohën-Akenin, ndlr), le chef d’orchestre, il joue pendant toute la répétition, il nous montre tout, il dirige aussi en même temps. C’est la meilleure école pour moi. »

Originaire de Bâle, en Suisse, Christine Verdon a étudié la musique ancienne aux Pays-Bas, avant d’entamer, en septembre dernier, un master à Vienne. Elle a été sélectionnée, au côté d’une vingtaine d’autres étudiants, pour participer à l’Académie Versailles à Prague. Ces master-class, qui avaient pour but la reconstitution d’un orchestre baroque présentée ensuite au public pragois, ont été assurées par des professeurs français et tchèques, notamment par Patrick Cohën-Akenine. Le violoniste et chef d’orchestre français est à l’origine de la reconstitution de l’orchestre Les Vingt-quatre Violons du roi en France. On l’écoute :

Photo: Petra Golíková / Collegium Marianum
« C’est un orchestre à cinq parties, une famille, une ‘bande de violons’ comme on dit. Il y a donc cinq instruments, du plus aigu au plus grave : le dessus de violon (qui correspond plus ou moins au violon), ensuite trois instruments que l’on pourrait comparer à l’alto mais qui ont des tailles différentes : la haute-contre, la taille et la quinte de violon et finalement, la basse de violon, qui est un grand violoncelle. Les instruments sont différents de l’orchestre classique, on va dire un peu italien, et de cette forme quatuor à cordes, avec une partie de violon, une partie d’alto et une partie de basse. »

« L’orchestre Les Vingt-quatre Violons du roi existait donc au XVIIe etXVIIIe siècles en France et il était spécialisé dans ce répertoire. J’ai été intéressé par le fait de reconstituer cette ‘Grande bande’ de violons. C’est le Centre de musique baroque de Versailles qui a financé la fabrication des instruments et qui en est le propriétaire. Soucieux de promouvoir la musique française à travers le monde, le Centre co-organise également cette académie pragoise. »

L’altiste, le ténor et membre de l’ensemble de musique ancienne Collegium Marianum, Vojtěch Semerád est un des initiateurs de l’Académie Versailles à Prague. Dans le cadre de ses études de musique ancienne et de chant à Paris, il a collaboré à cette démarche expérimentale unique qui était la reconstitution des Vingt-quatre Violons du roi :

Vojtěch Semerád,  photo: Petra Golíková / Collegium Marianum
academie de versailles « J’avais une chance énorme de faire partie de la première équipe qui a fait des essais sur ces instruments (fabriqués par les luthiers Antoine Laulhère et Giovanna Chitto, ndlr). C’était un voyage dans l’inconnu, car aujourd’hui, il ne nous reste pas de trace de ces instruments disparus. Nous ne savons pas exactement comment ils étaient, quelle était leur sonorité. »

« Malheureusement, nous n’avons pas à Prague de cursus spécialisé dans la musique ancienne. Il existe à Brno, mais c’est une formation à distance. Cela fait deux ans que l’ensemble Collegium Marianum collabore avec le Centre de musique baroque de Versailles. Cette année, notre collaboration prend la forme d’un projet pédagogique : le Centre a mis à notre disposition des instruments et nous avons choisi, avec Patrick Cohën-Akénin, des participants à l’académie. Cette dernière est notamment ouverte aux étudiants tchèques et d’Europe centrale, mais nous avons aussi des musiciens américains, chiliens ou japonais. De manière générale, ils sont tous très contents de pouvoir essayer ces instruments précieux, et aussi de jouer de la musique française. C’est un style qui ne nous est pas familier, une musique qui n’est pas facile à jouer. »

« C’est un instrument qui complète la famille des autres instruments de l’orchestre : il est beaucoup plus grand et plus épais que le violoncelle moderne et il est accordé différemment, un ton plus bas. »

Tomáš Kardoš,  photo: Magdalena Hrozínková
C’est ainsi que le violoncelliste et professeur François Poly nous présente son instrument baroque, la basse de violon. Installé à La Haye, aux Pays-Bas, le jeune violoncelliste slovaque Tomáš Kardoš, a pu travailler dans le cadre de l’académie pragoise avec François Poly. Il nous fait part de son expérience :

« Ce qui est le plus difficile, en passant d’un violoncelle moderne à un instrument historique, c’est de comprendre l’interprétation de la musique ancienne. Elle nécessite une manière absolument différente de jouer, de conduire l’archet etde presser les cordes. N’importe quel violoncelliste peut alors jouer du violoncelle baroque sans préparation, mais une bonne interprétation historique nécessite quand même beaucoup de temps et une certaine expérience. »

François Poly,  photo: Petra Golíková / Collegium Marianum
« Cette académie est une expérience unique pour moi. Jamais auparavant, je n’avais eu l’occasion de me familiariser à tel point avec des instruments anciens français. Je n’avais jamais joué dans un orchestre composé uniquement d’instruments français. Cet aspect a une influence majeure sur l’interprétation musicale, sur l’architecture sonore de l’orchestre et le jeu de tous les musiciens. »

Pour sa part, la violoniste Christine Verdon est attirée par le côté rugueux de la musique baroque :

« Le fait de se spécialiser en musique baroque est lié au fait qu’on y retrouve quelque chose de plus profond. Mais c’est très personnel… En jouant sur des cordes en boyau, on doit former un son, alors que sur les cordes en métal, c’est un peu automatique. Le son peut être aussi très beau, mais il manque ce côté rugueux de la corde. Le texte est aussi important dans la musique baroque : quand on joue, on essaye de reproduire des mots avec l’instrument. Je pense que le jeu sur des instruments modernes, avec des cordes en métal, ne permet pas d’exprimer autant de couleurs et de différences de consonnes. En tant que musicienne, je suis très attirée par tous ces aspects de la musique ancienne, car on cherche toujours un moyen de reproduire la musique d’une manière plus sincère, plus directe. Cela demande d’y consacrer du temps, il s’agit de réapprendre le langage, comme si l’on apprenait une nouvelle langue. »

Le violoncelliste François Poly nous apporte enfin un autre point de vue : dans sa carrière, il marie musique ancienne et moderne, en oubliant d’éventuelles frontières entre les styles et en les laissant s’influencer les uns les autres, même si, comme il le dit lui-même, « cela va à l’envers de l’histoire ».

Patrick Cohën-Akenin,  photo: Petra Golíková / Collegium Marianum
« A l’école où j’enseigne, à Versailles, il existe deux départements d’enseignement quasiment séparés. Le département de musique intitulée ‘moderne’ ou ‘normale’, je ne sais pas exactement le mot, et le département de musique ancienne. J’ai une sorte de rêve : qu’il n’y ait plus de séparation, mais une manière réunie d’enseigner la musique, où des individualités enseigneraient selon leurs affinités la musique de telle ou telle époque. »

Avis aux mélomanes : le 7 août prochain, dans la salle pragoise du Rudolfinum, l’orchestre Les Vingt-quatre Violons du roi sera à nouveau sur scène, à l’occasion de la clôture du Festival d’été de musique ancienne. L’ensemble tchèque Collegium Marianum et quelques-uns des participants à l’Académie Versailles à Prague interpréteront, sous la direction de Patrick Cohën-Akenin, des œuvres de J.-B. Lully ou A. Campra. La soprano Jodie Devos sera l’invitée de ce concert à ne pas manquer.