Adieu, Bébel, l’As des as de tous les Tchèques
Monstre sacré du 7e art, pleuré aujourd’hui par la grande famille du cinéma français et les spectateurs qui, pour nombre d’entre eux, ont grandi avec ses films, Jean-Paul Belmondo est mort le 6 septembre à Paris à l’âge de 88 ans. Et en République tchèque aussi, la nouvelle a fait la une des principaux journaux ce mardi. Lundi soir, la Télévision tchèque lui a d'ailleurs consacré une émission spéciale de plus d’une heure. Car dans ce pays aussi, Bébel était une légende depuis les années 1960.
« À la fin des années 1960, notre groupe de copains a connu un de ses premiers chocs culturels. L'Homme de Rio a débarqué dans les cinémas tchécoslovaques. (…) Grâce à lui, le monde s'est chargé d'émotions, de couleurs et d'aventures inconnues, et s'est ouvert à d'autres possibilités que nous ne connaissions pas. (…) Mais dans la réalité de la Tchécoslovaquie socialiste, elles étaient aussi inaccessibles qu'un paquet de chewing-gum américain à l'odeur occidentale. »
Voilà ce qu’écrivait en 2016 le journaliste tchèque Jaroslav Formánek, correspondant en France de l’hebdomadaire Respekt, à propos de l’icône qu’était devenu Jean-Paul Belmondo pour les Tchécoslovaques avides de films réalisés de l’autre côté du Rideau de fer.
L’As des as, L’Homme de Rio, Le Magnifique (traduit comme L’Homme d’Acapulco en tchèque), Flic ou voyou et bien d’autres : tous les films d’aventures ou policiers de Belmondo ont été vus et revus, mille fois rediffusés sur les chaînes tchèques. Et les films de sa période Nouvelle Vague, comme A bout de souffle ou Pierrot le Fou font régulièrement partie de la programmation des cinémas d’art et d’essai.
Le seul rayon de lumière dans les ténèbres du communisme
Pour évoquer davantage l’importance qu’a représentée Belmondo, notamment dans ses grands rôles populaires, pour les Tchèques sous le communisme, laissons place aux souvenirs d’un de ceux qui l’ont vécu. Jiří Dědeček, écrivain, musicien et traducteur du français :
« Vous savez pour moi et mes contemporains, c’était le seul rayon de lumière dans les ténèbres du communisme. Parce que les réalisateurs comme Godard étaient considérés comme des hommes de gauche, et que les films de Claude Zidi et Philippe de Broca étaient des comédies, alors ils pouvaient être montrés ici. Belmondo a influencé toute ma vie dès le début. Quand j’avais 15 ou 17 ans, j’ai commencé à aller sérieusement au cinéma. J’ai 68 ans, et Belmondo avait 88 ans, donc il a littéralement influencé toute ma vie avec ses films. On parle toujours des comédies, mais il n’y avait pas que ça, il y avait aussi beaucoup de films policiers. Pour moi, c’est une très grande perte. »
On entend souvent en Tchéquie les gens parler des acteurs tchèques qui l’ont doublé, notamment un acteur en particulier, Jiří Krampol. Certains disent parfois qu’ils étaient surpris voire déçus en entendant la vraie voix de Belmondo. Pour eux, l’acteur qui le doublait était tellement bon qu’il faisait dans leur esprit presque corps avec Belmondo… Etait-ce aussi votre impression ?
« Pas du tout en fait. Moi, je me souviens d’un autre acteur qui a beaucoup doublé Belmondo, dans les années 1960, 1970. C’était Jan Tříska. Mais il a émigré en 1977 et tout ce qu’il avait doublé pour Belmondo a été interdit. On a donc trouvé quelqu’un d’autre, cet acteur, Jiří Krampol. Il est très bon aussi, c’est très bien fait. C’est une œuvre artistique comme František Filipovský pour Louis de Funès. Mais c’était le deuxième doubleur de Belmondo. Pour moi, mes souvenirs sont avant tout liés avec le doublage de Tříska que je trouvais nettement mieux que Krampol… »
Puisque vous mentionnez Louis de Funès… Ici, et sans doute en Slovaquie aussi puisque tous ces films étaient vus dans la Tchécoslovaquie d’alors, dans le panthéon cinématographique populaire des Tchèques, il y a trois noms : Jean-Paul Belmondo, Louis de Funès et Annie Girardot.
« Oui, on peut le dire comme ça. J’ajouterais aussi Lino Ventura et Alain Delon qui étaient aussi très importants pour nous, jeunes Tchécoslovaques. »
Si vous deviez citer un ou deux films de Jean-Paul Belmondo qui font partie de votre panthéon personnel à vous, quels seraient-ils ?
« Pour moi, c’est tous les films comme L’Homme de Rio, Le Magnifique etc. Et surtout Le Magnifique, un film très important pour moi car c’est l’histoire d’un écrivain qui s’imagine dans la peau d’un de ses personnages de roman. C’est un film que je peux voir et revoir sans cesse. Et puis, un de ses derniers films : L’homme et son chien. Pour moi, c’est un peu surprenant de voir un Belmondo aussi triste. »
Ce sont en effet deux films diamétralement opposés…
« Tout à fait, mais cela représente justement parfaitement le talent de Belmondo, sa grandeur. Il pouvait tout à fait jouer dans des comédies mais aussi dans des drames mélancoliques. »
En hommage à Jean-Paul Belmondo, deux séances spéciales seront organisées cette semaine au Kino35 à l’Institut français de Prague : Pierrot le Fou ce mardi 7 septembre à 19h30 ; Le Doulos, Pierrot le Fou, Léon Morin prêtre, ce samedi 11 septembre à 14h, 16h et 18h30.