Aleš Chmelař: « Aller au-delà de la politique monétaire européenne »
La conférence intitulée « Comment aborder les projets de l’approfondissement d’intégration européenne ? », qui se tient ce vendredi à Prague, donne la parole à plusieurs personnages publics, dont la majorité se situe à gauche du spectre politique. Le choix des conférenciers reflète la volonté des organisateurs de mettre l’accent sur l’aspect social de l’Union européenne, souvent vue comme un club néolibéral. Radio Prague a suivi de près cet événement et vous propose un premier entretien réalisée avec un des participants à la conférence. Aleš Chmelař, analyste et chercheur au Centre d’études des politiques européennes à Bruxelles, s’interroge sur les effets de la politique européenne sur la cohésion de l’UE, et suggère des mesures à prendre afin d’éviter une prochaine crise de la zone euro.
« Le problème principal, sur lequel on peut réfléchir aujourd’hui un peu plus calmement qu’il y a un an, c’est que la politique monétaire a des effets de redistribution. Elle change les flux d’argent, le coût de l’argent. Si ces effets sont gérés d’une manière unique sur un terrain tellement vaste et divers que la zone euro, ces effets engendrent des déséquilibres. Cela a surtout des effets sur la balance des paiements, qui ont effectivement engendré la crise. »
Précisément, ce qui différencie la zone euro d’un État unitaire ou fédéral, c’est l’absence de mécanismes permettant un ajustement des déséquilibres de la balance des paiements. Dans un État, ces déséquilibres sont notamment gérés par d’autres politiques, sociale ou fiscale, mais surtout d’une manière démocratique. Selon Aleš Chmelař, la crise de la zone euro a prouvé qu’il ne suffisait pas d’accompagner la politique monétaire par des règles strictes auxquelles il faudrait obéir. En résumé, il y a aura toujours des déséquilibres parmi les Etats membres de la zone euro, puisqu’il n’est que difficilement imaginable que la balance des paiements des Etats entre eux soit égale à zéro. Aleš Chmelař considère que l’on peut remédier à ce problème des façons suivantes :
« Pour être plus concret, je pense qu’il faut une certaine « responsabilité conjointe et solidaire », comme dans le cas des vraies euro-bonds avec un support de la BCE (Banque centrale européenne). Dans ce nouveau système, le budget serait davantage soumis à un contrôle démocratique, comme par exemple à celui du Parlement européen. Pour être encore plus concret, l’Union bancaire est essentielle, mais il ne faut pas exagérer sa dimension de surveillance et de méfiance, tel que c’est le cas aujourd’hui, mais souligner sa dimension de barrage contre les peurs, et le cas échéant contre les attaques du marché. Il faut utiliser le plus possible l’argent que l’on a en commun, aujourd’hui, c’est-à-dire le mécanisme européen de stabilité, pour construire ces barrages. »En appliquant ces mesures, la question qui se posera tôt au tard, selon Aleš Chmelař, sera celle de créer une certaine démocratie européenne qui pourrait décider de manière légitime des moyens d’équilibrer les effets de redistribution qu’engendre la politique monétaire. Cette dernière n’est de fait pas démocratique mais des mécanismes parallèles pourraient corriger ses dérives éventuelles. Si tel n’est pas le cas, Aleš Chmelař voit un scénario plutôt sombre :
« Je pense que si l’on ne crée pas cette démocratie qui va résoudre ces problèmes de distribution et de transferts, je pense que la crise se répétera peut-être dans 10 ans, peut-être dans 20 ans. Si on ne résout pas ces problèmes, la prochaine crise pourrait être fatale. »
La République tchèque a gagné une certaine renommée auprès de ses collègues européens pour son manque d’enthousiasme quant aux initiatives européennes. L’ancien gouvernement de Petr Nečas a même bloqué un projet d’action permettant à la Banque centrale européenne de calmer les marchés en pleine crise.
« On est toujours à l’écart de ces initiatives. Il est un peu trop tôt pour juger si le gouvernement prochain se lancera dans la procédure d’adhésion à la zone euro. Pourtant ce qu’on devrait faire aujourd’hui et ce qu’on n’a pas complètement fait par le passé, c’est d’essayer de montrer une certaine solidarité avec les membres de la zone euro et de ne pas essayer de les limiter dans leur champ de manœuvre. Je pense qu’aujourd’hui il faut penser au fait que l’on deviendra un jour membre de la zone euro et qu’il ne faut ainsi pas limiter sa capacité de renouvellement. »Aleš Chmelař a présenté sa réflexion à la conférence organisée par l’association Friedrich Ebert et par le club Orange (un think tank social-démocrate). D’autres participants ont eux aussi accordé leur temps au micro de Radio Prague, nous vous proposerons leurs entretiens dans de prochaines émissions.