« La convergence des niveaux de vie est un sujet européen qui préoccupe les Tchèques »
Comment la République tchèque est-elle perçue par les autres pays membres de l’Union européenne ? Refusant les quotas de répartition des migrants, réticente à l’adoption de l’Euro et parfois montrée du doigt pour son manque de solidarité lors des situations de crise, la République tchèque souffre-t-elle réellement de la même image négative que celle qui accompagne ces derniers temps la Hongrie de Viktor Orban ou la Pologne de Beata Szydło, deux des trois autres pays avec lesquelles elle coopère au sein du Groupe de Visegrád ? Alors que la perspective d’une Europe à plusieurs vitesses se précise, la République tchèque risque-t-elle de se mettre en marge de l’Europe et de s’isoler ? Ce sont quelques-unes des questions que Radio Prague a posées à Aleš Chmelař, ancien de Sciences Po Paris devenu, en juin dernier, le nouveau secrétaire d’Etat en charge des affaires européennes au sein du gouvernement Sobotka. Aleš Chmelař nous a d’abord livré son sentiment sur la rencontre qui, une semaine plus tôt, s’était tenue à Vienne entre Emmanuel Macron et les dirigeants tchèque et slovaque pour discuter notamment de l’épineuse directive relative aux travailleurs détachés :
Les deux parties ont certes convenu de dialoguer, mais, plus concrètement, quelles seront les mesures adoptées et les prochaines étapes ?
« Il est clair qu’il y a maintenant une certaine négociation entre les pays de Visegrád et la France. Nous pensons que ce serait un bon début pour la présidence estonienne de proposer un texte qui serait consensuel pour les autres pays européens aussi. Je ne vais pas entrer dans les détails, car c’est une question très technique notamment pour la République tchèque. Nous avons quelques questions cruciales sur ce domaine. Mais je suis optimiste en voyant le dialogue. Je pense que nous pouvons parvenir à un compromis. »
Vous êtes en poste depuis deux mois au sein d’un gouvernement qui, lors de son introduction, s’est présenté comme ‘pro-européen’. Les différents évènements qui se sont passés depuis ont démontré que ce gouvernement avait parfois des positions relativement peu pro-européennes. En tant qu’Européen convaincu, comment percevez-vous cette position du gouvernement tchèque sur les différentes questions européennes ? Est-ce un travail difficile au sein de ce gouvernement que l’on a un peu de mal à situer ?
« Je suis convaincu que le gouvernement reste aussi pro-européen qu’il l’avait déclaré. Ce qu’il faut distinguer, dans une certaine mesure, c’est un désaccord mineur sur certaines questions très concrètes, et un dialogue au sein de l’UE que la République tchèque veut très sérieusement continuer. Dans ce sens, quand on parle de la question des migrations par exemple, nous pensons même que la méthode qui a été choisie pour résoudre la situation était anti-européenne. Je vous explique : quand, en 2010, on a commencé à vouloir résoudre la crise de la zone euro, ce qui a été fait dans un premier temps a été d’essayer de limiter les risques et de les réduire pour pouvoir les partager de manière raisonnable. Si par exemple, en 2010, on avait dit que l’on divisait la dette de la Grèce entre différentes parties et que chaque Etat membre devait prendre sa part, et ce sans qu’il y ait de conditions pour contraindre les pays en difficulté à régler leurs problèmes de manière structurelle, aucun Etat membre n’aurait accepté, et surtout pas ceux qui sont au cœur même de l’Europe. Dans le cadre des migrations, on est allé complètement à l’envers, sans avoir de méthodologie ou de processus pour limiter les risques. Nous avons voulu immédiatement les partager pour résoudre la crise. Or, si les citoyens n’ont pas de garanties que les risques ou les coûts ne vont pas augmenter, ils ont plus de mal à accepter ces risques. A chaque intégration européenne, nous avons suivi le processus consistant d’abord à réduire les risques, puis à les partager ; dans le cadre des migrations nous avons suivi le processus contraire et je suis convaincu que cela n’est pas européen. »Vous évoquez des questions comme la crise, les migrations, ou la dette de certains pays d’Europe du Sud ; des sujets qui touchent à la solidarité. On a parfois le sentiment que cette question de la solidarité pose ici problème, dans le sens où pour la République Tchèque, et pour les autres pays d’Europe Centrale, la solidarité, c’est « oui, mais quand cela nous arrange ». Si on prend la question de la migration : les Tchèques ne veulent pas des quotas. La position tchèque est de vouloir aider directement dans les pays concernés. Toutefois, si on prend les chiffres, on voit bien que cette aide n’est pas très importante. Quelle est votre perception de la chose ? C’est un domaine duquel la République tchèque ressort avec une image négative...
« Je comprends… Deux choses : lorsque vous regardez les flux migratoires de la route des Balkans, ce n’est pas le système des quotas qui les arrêtés, c’est l’accord avec la Turquie. La République tchèque et les pays de Visegrad ont fait énormément pression pour que cet accord, qui était leur idée, se fasse le plus tôt possible. C’est la solution que nous avons apportée à cette crise. De même, ce ne sont pas les quotas qui améliorent la situation en Italie, c’est l’accord avec la Libye, et les progrès effectués en Méditerranée en général. Donc, d’une certaine manière, les choses qui aident vraiment ne sont pas spécialement financières, mais c’est le fait de montrer que les problèmes doivent être réglés de manière fonctionnelle et technique sur les routes migratoires et dans les pays d’origine. C’est une contribution cruciale, que nous avons toujours mise en avant dans notre diplomatie. »
« Deuxièmement, la République tchèque s’efforce depuis deux ans de montrer qu’il y a des solutions et des formes de solidarité à privilégier. Ce n’est pas une question de manque de solidarité, c’est une opinion selon laquelle un tout petit mécanisme qui a très peu aidé les Etats concernés, ne soit pas fonctionnel. Dans toute cette vague que l’on a vécue en 2015, le système de quotas est très minoritaire. En juin 2015, les Etats membres, dont la République tchèque, se sont mis d’accord sur un système volontaire, et ont accepté de recevoir 40 000 personnes conformément aux quotas acceptés en commun. En septembre, certains pays ont considéré que cela ne suffisait pas et ont imposé un système obligatoire que la République tchèque a refusé. Aujourd’hui, à la fin du mois de juillet 2017, nous étions à 25 000 personnes reçues après deux ans, leur système se terminant en septembre. Il aurait suffi de continuer avec le système volontaire sans qu’il y ait de collisions politiques dues au système obligatoire. On a fait tout ce processus depuis deux ans, avec tous les désaccords politiques qui vont avec, alors que ce n’était pas nécessaire puisqu’il y avait une solution efficace, celle du système volontaire. Alors pourquoi en faire autant pour une seule solution à la crise très minoritaire ? »Est-ce une position qui est entendue et écoutée dans les autres lefcapitales européennes, où les points de vue sont différents de celui des tchèques ou de celui du Groupe de Visegrád ?
« Vous savez, on entend très souvent dire ‘Vous aviez raison depuis le début’. C’est difficile de choisir une argumentation qui justifierait le fait d’avoir voulu d’abord partager les risques, mais je pense que depuis deux ans nous avons grandement progressé dans la compréhension non seulement de cette crise, mais aussi dans la compréhension du fait que certaines des solutions qui se sont avérées comme mauvaises posaient problème à certains pays membres. Je pense que cette compréhension est bien meilleure qu’il y a deux ans et je suis convaincu que si nous nous retrouvions aujourd’hui dans la même situation qu’en 2015, la solution serait beaucoup plus proche de celle que la République tchèque défend depuis deux ans. »
Les élections législatives approchent en République tchèque. Quelles thématiques européennes sont susceptibles d’intéresser les électeurs ? Un parti politique peut-il espérer réaliser un bon résultat en présentant des thématiques européennes ?
« La République tchèque a historiquement une aspiration à faire partie de l’Europe occidentale et industrialisée. Au XIXe siècle, la Bohême et la Moravie comptaient parmi les régions les plus industrialisées sur le continent européen. Dans les années 50, le PIB par habitant tchèque était plus élevé qu’en Autriche. Nous avons une certaine aspiration à revenir à un niveau de vie comparable à celui des pays d’Europe occidentale. Depuis treize ans que nous sommes membres de l’UE, nous avons fait de grand progrès dans cette convergence, mais ce que l’on voit plus immédiatement, c’est une convergence entre les pays qui ont rejoint l’Union en 2004. Il y a eu par exemple une grande convergence entre les niveaux de vie tchèque et slovaque. Mais l’écart entre nous et l’Allemagne reste quasiment le même depuis vingt ans, la différence nominale entre nos revenus est quasiment la même. La différence de salaire horaire en 1995 était de quinze euros par heure et par travailleur entre les pays occidentaux et la République tchèque. Aujourd’hui, c’est dix-huit euros. On ne voit pas vraiment de progrès sur cette question-là, on pensait que l’UE apporterait des possibilités de progresser dans les niveaux de vie. Il ne s’agit de vouloir immédiatement le même niveau de vie qu’à l’Ouest, mais on veut voir une tendance vers ce niveau, alors qu’une grande partie de la population a l’impression que ce n’est pas le cas. »
« De l’autre côté, nous avons le débat en Europe occidentale sur le dumping social, qui revient finalement un peu à la même chose : en Europe centrale, nous estimons que la convergence des niveaux de vie pourrait permettre de régler beaucoup de tensions sociales ou autres que ce soit en Europe occidentale ou centrale. C’est donc cette question de la convergence des niveaux de vie qui intéresse les Tchèques, et ceux-ci voudraient avoir une perspective d’ici vingt ou trente ans de devenir un pays membre de l’UE non seulement institutionnellement et factuellement, mais aussi en termes de niveau de vie. »
On reproche aussi à la République tchèque de vouloir prendre sans toujours donner. On a parfois le sentiment que l’Europe pour les politiques tchèques se résume aux subventions. Que dire face à ces reproches sur une vision trop nombriliste et pas assez globale de l’intégration européenne ?
« Vous savez, la Bohême et la Moravie sont devenues des régions industrialisées sans argent issu des fond européens. Cela s’est fait de manière économique normale. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est que 8% du PIB de la République tchèque retourne dans les pays d’où proviennent les investissements étrangers réalisés en République tchèque. 8% du PIB, c’est le revenu rapatrié sur le marché intérieur. C’est le profit de tous les autres pays de l’UE, alors que quand on regarde le montant des fonds européens nets, nous en sommes à 1,2% du PIB. On ne dit pas que ces deux chiffres devraient être les mêmes, mais chaque pays contribue d’une certaine manière. Certains pays récupèrent le profit de leurs investissements en République tchèque, tandis que nous, pour recevoir justement ces investissements, nous recevons les fonds européens. Ce n’est pas pour nous, c’est pour le marché européen. Récemment, une étude polonaise a démontré que 80 centimes de chaque euro provenant des fonds européens revient directement ou indirectement dans les pays contribuant le plus aux fonds européens. »Ne redoutez-vous pas l’évolution de la situation dans l’UE suite au départ du Royaume-Uni, et notamment au niveau des subventions puisque c’est un pays riche qui s’apprête à partir. La position tchèque pourrait-elle évoluer sur cette question ainsi que sur celle de l’Europe à deux vitesses et de l’adhésion à la zone euro ?
« Avant le référendum britannique, la zone sans euro recouvrait 30% de la population européenne. Suite au Brexit, elle ne comprendra plus que 14% de la population. Les Etats sans monnaie unique seront donc très minoritaires. Dans un certain sens, cela nous donne la volonté de ne plus voir l’UE comme un espace toujours divisé entre les pays avec ou sans euro, ce qui était le risque avec la Grande-Bretagne qui n’aurait jamais accepté la monnaie unique. Aujourd’hui, la chance que nous avons est de pouvoir prendre l’UE dans sa nouvelle forme, et de viser à avoir tous la même vitesse. C’était peut-être impossible avec la Grande-Bretagne parfois en désaccord avec les grands pays de la zone euro, mais maintenant il y a une grande opportunité de saisir le débat sur l’Europe à plusieurs vitesses et de prendre l’UE telle qu’elle est dans son intégralité. Pour nous, c’est aussi l’opportunité de montrer qu’il y a d’autres projets qui doivent continuer : notamment le projet de défense européenne, dans lequel nous voyons une possibilité de pousser l’intégration européenne, et qui apporte une certaine valeur ajoutée au projet européen. »