Amande In : « L’humour est essentiel dans l’art »
Aujourd’hui, c’est à une visite guidée que je vous invite. Celle d’une galerie d’art pragoise vraiment originale, Futura. Des locaux immenses et labyrinthiques, des expositions qui font la part belle à l’art contemporain avant tout et aux jeunes créateurs. Alors bonne découverte de la galerie, où je vous emmène à l’occasion d’une nouvelle exposition...
« Bonjour. »
Avant de parler de votre travail, je propose qu’on fasse une petite visite de cette galerie et que vous me serviez de guide. Nous sommes donc à l’entrée et juste devant le titre de l’exposition sur un panneau, c’est très coloré et ça s’appelle ?
« Love at first site. »
Et il y a un petit jeu de mots...
« Site, comme ‘site specific’. »
D’accord. On avance ?
« C’est parti. Alors, on va peut-être commencer par le travail de l’artiste tchèque qui participe à cette exposition. Dominik Lang. Il est juste là, vous étiez à quelques centimètres d’un petit renflement du sol. »
Il est tellement intégré au sol que je ne l’ai même pas vu...
« Eh oui, c’est tout le jeu de l’artiste, de créer une surrélévation des visiteurs pendant leur ballade sans qu’il ne s’en aperçoive. Mais de créer quand même un léger déséquilibre dans la déambulation dans l’espace. Le travail s’appelle ‘This and all other circumstances’. »
En français, ‘Ceci et toutes les autres circonstances’...
« Voilà. Et c’est une œuvre qui a été spécialement réalisée pour l’espace. Histoire d’introduire un peu l’exposition, ‘Love at first site’, ça se déroule à Futura, et c’est la réinterprétation de certaines œuvres qui ont été faites spécialement pour l’espace Volume à Rome. L’exposition est en fait née d’une collaboration entre ces deux espaces à but non lucratif, Futura et Volume. Plusieurs œuvres sont des réinterprétations, on va les voir ensuite, certaines œuvres, dont la mienne et celle de Dominik Lang, ont été spécialement créées pour l’espace. Toute l’exposition se veut un questionnement par rapport à l’idée du ‘site specific’, donc du ‘in situ’ si je le traduis à la Buren. C’est un projet de la commissaire italienne directrice de Volume. »
Pour les néophytes et les gens qui ne s’y connaissent pas trop en art contemporain, pourriez-vous expliquer les concepts de ‘in situ’ et de ‘site specific’ ?
« Je me suis amusée à faire un clin d’œil à Buren pour le ‘site specific’ parce que c’est lui qui utilise ce mot au départ, le mot ‘in situ’. ‘Site specific’, c’est la traduction anglaise. C’est un terme assez flou et on va s’en rendre compte au fur et à mesure de l’exposition puisque ma manière de traiter le ‘site specific’ n’est pas la manière de certains autres artistes de l’exposition. Pour l’artiste, le ‘site specific’ c’est la création d’une œuvre qui va être dans un lien étroit avec l’espace et dont la signification et l’expérience proposées au visiteur vont être complètement intégrées à ce que peut avoir comme caractéristiques l’espace. Ça peut être des caractéristiques architecturales mais aussi géographiques. Par exemple l’espace Volume à Rome est mitoyen avec une prison encore en fonctionnement. Il se trouve que beaucoup des artistes qui sont intervenus dans cet espace en Italie, l’ont fait avec des œuvres qui portaient en elles une sorte de dialogue avec la prison d’à côté. »
Alors ce n’est pas du tout le cas ici, puisque la galerie Futura se trouve pour le coup à côté d’une église qui s’appelle le Sacré-Cœur !
« Oui, Futura n’a rien à voir, et c’est aussi pour cela que c’est des interprétations des œuvres dans l’espace qui portent une autre signification. »
Puisqu’on parle d’espace, allons-y...
« Alors, nous voilà dans une salle qui contient l’œuvre de Marina Paris, une artiste italienne qui développe un travail autour de l’idée de souvenir par rapport à des espaces communs comme l’hôpital, le parc. Cette pièce-là est une oeuvre réinterprétée par rapport à son intervention en Italie. Ça s’appelle ‘Parco’, ‘Le parc’, et vous voyez une étendue de pelouse mais cette fois à l’intérieur de l’espace et une balançoire assez métallique et effrayante qui fait des allers et retours... »
Et qui casse un mur en fait...
« ... et qui a, dans son balancement, cassé le mur derrière elle. »
On entend le balancier... On continue la visite... On revient sur du béton, là, c’est fini la pelouse...
« Oui, et nous voilà devant une des facettes de l’œuvre de l’Allemand Olaf Nicolai. C’est une installation très minimale, très simple mais que je trouve très poétique. Le titre est en français, d’ailleurs : ‘Un chant d’amour’, en référence au film de Jean Genet. »
Pourriez-vous me décrire cet objet minimal d’Olaf Nicolai ?
« Il s’agit d’une paille qui sort du mur. »
Ce n’est pas un brin de paille, c’est une paille pour boire...
« Voilà, et en fait, l’utilisation qu’en avaient les prisonniers – donc c’est une œuvre très en référence à l’espace Volume – dans le film de Jean Genet, c’est une histoire d’amour entre deux prisonniers qui communiquent en s’envoyant des nuages de fumée de cigarette à travers une paille. L’espace Volume qui est très ‘brut de décoffrage’ avec des murs laissés tels quels – avant c’était une manufacture de verre. Quand ils ont décidé d’utiliser cet espace pour en faire un espace d’exposition, ils l’ont laissé tel quel, à un point qu’une personne qui n’est pas au courant, comme j’ai pu l’être la première fois, peut être choquée parce que c’est une fondation qui expose des artistes très connus. Elle-même a 10 ans d’existence et est très connue, et vous n’imaginez pas un espace aussi brut pour des œuvres aussi prestigieuses. »
Continuons la visite. C’est vraiment un labyrinthe, tout est blanc là, c’est très pur, il y a quand même quelques tuyaux. Savez-vous ce qu’était cet espace dans le passé ?
« C’est un espace qui a été utilisé comme manufacture de caoutchouc. Ils y ont retrouvé des anciens moules, des fragments d’anatomie pour les médecins. Les moules sont assez fascinants. »
Il y a beaucoup de recoins dans cet espace, ce sont des couloirs qui n’ont pas de fenêtres. Là on a des murs en brique brute.
« Nous voilà dans les boyaux de Futura ! »
Vous êtes une artiste française installée à Prague. Comment êtes-vous arrivée ? Est-ce plus facile de vivre et créer ici pour vous ?
« En fait, ça change pas grand’chose d’être à Prague ou à Paris, puisque déjà basée là-bas, je travaillais plutôt avec l’étranger. »
Il y a un fil conducteur, un fil rouge qui traverse cette exposition. C’est quelque chose qui est impalpable, qui ne fait pas de bruit, qui est discret et invisible. Et c’est votre œuvre, Amande...
« En fait, c’est une odeur. Pas n’importe laquelle. Puisque l’idée de l’exposition c’est ‘Love at first site’ et qu’on est dans un endroit très humide, avec une odeur bien particulière, j’ai proposé l’œuvre ‘Déjà-vu’ – c’est un clin d’œil à la culture française, mais aussi c’est une expression totalement internationale – et c’est un parfum qui a été créé en mélangeant tous les parfums masculins et féminins disponibles sur le marché des produits cosmétiques. Ça fait aussi partie de mon travail : aller titiller des champs inconnus, des niveaux de lecture, des parties de la perception du visiteur qui ne sont pas forcément régulièrement stimulées et de proposer des expériences toujours à la limite. Quand vous traversez l’espace, ce n’est pas comme un parfum d’intérieur, c’est pas une odeur permanente, c’est une odeur qu’on sent comme si une personne venait juste de disparaître, une personne trop parfumée, qui peut être un homme, une femme. »
Vous coupez un peu l’herbe sous le pied des gens, vous les prenez de court en disant que ce n’est pas quelque chose qu’on regarde. Evidemment, c’est une odeur. Mais eux, ils s’attendent à voir quelque chose !
« Justement, chaque intervention est très différente. Chaque fois j’explore les limites par rapport à la définition de ce qu’on peut avoir d’une œuvre. L’activité d’un artiste, c’est comme celle d’un chercheur dans un laboratoire : mon choix, cela n’a pas été de reproduire le même ‘vaccin’ pour la énième fois et dont je connais l’efficacité. Je veux trouver de nouvelles formules qui vont pouvoir faire évoluer les choses. Dans le champ artistique ça va être par rapport à l’expérience esthétique qu’on peut faire. Est-ce que les limites de l’expérience esthétiques sont visuelles, temporelles, spatiales ? Par rapport à la perception, le sens de l’odorat fait aussi partie de l’expérience qu’on peut avoir d’un espace. C’est une autre expérience, ça ne veut pas dire que je coupe l’herbe sous les pieds des gens. J’essaye de voir jusqu’à quel point ils prennent en compte l’espace, pas seulement visuel et tactile, mais aussi olfactif ou sonore. »
Comment les gens ont-ils réagi à cette œuvre olfactive ?
« C’était des situations rigolotes. Comme je le disais, on peut imaginer que c’est une personne qui vient de passer. En même temps, l’odeur se transforme au fur et à mesure du passage dans l’espace puisque qu’elle résulte du mélange de tous ces parfums très différents. Je crois que les personnes étaient vraiment amusées par la situation, d’avoir senti l’œuvre avant de savoir que c’en est une. »
C’est important pour vous que les gens s’amusent avec vos œuvres ? Est-ce important l’humour dans l’art ?
« C’est essentiel ! Parce que le rire c’est une émotion forte, très bonne pour la santé ! J’espère que mes œuvres arrivent à la communiquer. »
Merci, Amande pour cette visite de la galerie Futura, on précise peut-être encore les dates de cette exposition ?
« Elle est visible du mercredi au dimanche, de 11h à 18h, jusqu’au 31 août 2008. »
Et c’est dans le quartier de Smíchov, à Prague. Merci Amande.
« Merci. »