Angelin Preljocaj: «On est dans une époque du complexe de Blanche Neige.»

Blanche Neige, photo: www.preljocaj.org

Blanche Neige, conte aimé par de nombreuses générations d’enfants, conte profondément ancré dans notre subconscient, renaît dans un spectacle conçu par le chorégraphe Angelin Preljocaj pour la troupe de ballet qu’il a créée. Le Ballet Preljocaj a donné ce spectacle, vendredi et samedi derniers, au Théâtre national de Prague dans le cadre de la Saison française, série de manifestations culturelles qui se déroule actuellement en République tchèque. Angelin Preljocaj, maître de la danse abstraite, a expliqué à Radio Prague pourquoi il a relevé le défi d’adapter pour le ballet cette histoire que nous connaissons tous et qui n’est pas, à son avis, qu’un conte pour les enfants.

«J’ai voulu strictement raconter l’histoire qui était déjà un projet en soi. J’ai voulu la raconter avec les corps, d’en faire vraiment un opéra corporel. En même temps, je me suis posé beaucoup de questions en lisant par exemple des livres de Bruno Bettelheim sur la psychanalyse des contes de fées parce que je trouve que notre époque est tout à fait une époque de Blanche Neige. Avec le progrès des sciences, de la médecine, avec les progrès de la chirurgie esthétique, etc., les femmes sont aujourd’hui, beaucoup plus qu’avant, belles longtemps. Aujourd’hui, avec tous ces progrès, une femme entre quarante et soixante ans est encore très belle, on peut dire même très jeune, alors qu’il y a cent ans, une femme qui avait quarante ans, était une vieille femme. Aujourd’hui, à quarante-cinq, cinquante et même à soixante ans, les femmes se promènent avec leurs filles de dix-huit ans et il y a une vraie rivalité, il y a une sorte de compétition de charme, de beauté et de séduction. Cela veut dire qu’on est dans une époque du complexe de Blanche Neige … presque… J’ai trouvé donc que c’était une thématique très moderne et qui amène en même temps une sorte de psychanalyse de notre époque. Et c’est pourquoi j’ai décidé d’aborder ce conte.»

Qu’est-ce que ce conte a apporté à votre écriture chorégraphique?

«…Mais justement les problèmes qui sont liés à la narration, par exemple l’histoire du miroir. Comment résoudre le problème du miroir magique ? Cela ne peut pas être un miroir normal puisqu’il est magique. Donc il fallait inventer des concepts et des idées chorégraphiques par rapport à cela. De la même manière il fallait résoudre le problème de la pomme. Comment tuer quelqu’un avec la pomme, c’est un vrai problème chorégraphique et dramaturgique. Donc ce sont tous ces problèmes de narration qui vous obligent à quitter votre confort habituel. Finalement, quand on est dans l’abstraction on est très, très libre, on fait ce qu’on veut. On n’est même pas obligé d’expliquer ce qu’on fait. Mais quand on est dans un conte et quand on a cette exigence que les spectateurs doivent suivre et comprendre ce qui se passe, eh bien là, on est obligé d’inventer des choses, de trouver des solutions, et rien que cela c’est déjà à mon avis une forme de créativité. D’ailleurs Stravinsky disait que la contrainte est la liberté de création, c'est-à-dire, la contrainte produit une créativité qui va au-delà du créateur lui-même parce que cela l’oblige de sortir de ses habitudes.»

(Vous pouvez entendre l’intégralité de cet entretien, ce samedi, dans la rubrique Rencontres littéraires.)