Anthologie du conte fantastique

Photo: Argo
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Vingt ans se sont écoulés depuis la fondation de l’Académie tchécoslovaque de la science-fiction, de la fantasy et de l’horreur. A l’occasion de cet anniversaire, l’Académie a publié aux éditions Argo une anthologie de douze contes qui retracent l’évolution du genre en République tchèque et aussi en Slovaquie. Le choix de textes pour cette anthologie intitulée « Dvanáct nesmrtelných » (Les douze immortels) a été confié à l’éditeur Zdeněk Rampas.

La fantasy – un genre promis à un grand avenir

Zdeněk Rampas,  photo: Ján Žižka / Argo
Qu’est-ce que la fantasy? Ce terme qui désigne la littérature de l’imaginaire recouvre aujourd’hui toute une série de sous-genres littéraires dans lesquels le merveilleux et le surnaturel jouent un rôle majeur. La fantasy prend ses sources dans l’histoire, les mythes, les contes et la science-fiction et elle rivalise donc avec le conte de fées classique. Avec la science-fiction et la littérature d’horreur, la fantasy représente aujourd’hui une part importante du marché des livres en République tchèque et sa position continue à se raffermir. L’Académie de la science-fiction, de la fantasy et de l’horreur est un organisme qui suit l’évolution de ces trois genres prometteurs. En attribuant tous les ans des prix aux meilleurs livres et aux meilleurs contes fantastiques, elle contribue à améliorer la qualité de cette production littéraire et attire l’attention des lecteurs et des éditeurs sur les meilleurs auteurs du genre. L’anthologie de douze contes que l’Académie vient de publier, lui permet de jeter un regard en arrière et de faire aussi une espèce de bilan des succès atteints au cours des derniers vingt ans. L’éditeur Zdeněk Rampas explique ce qui était décisif pour le choix de textes et d’auteurs réunis dans ce livre :

Photo: Argo
« C’est avant tout un livre paru à l’occasion du vingtième anniversaire de la fondation de l’Académie de la science-fiction, de la fantasy et de l’horreur. Je n’étais pas donc libre de sélectionner les textes de mon goût, mais j’ai été obligé de choisir parmi les 80 textes nominés par les académiciens dans la catégorie ‘Le meilleur conte tchèque et slovaque’. Il s’agit donc de contes tchèques et slovaques parce que l’Académie est tchéco-slovaque. Parmi les douze contes sélectionnés il y a trois textes slovaques qui sont cependant traduits en tchèque. »

Un regard en arrière

En 1985, donc sous le régime communiste qui n’était pas particulièrement favorable à cette espèce de littérature, près de cinquante titres du genre fantastique sont sortis en Tchécoslovaquie. Dix ans plus tard, il y avait en Tchéquie et en Slovaquie déjà une trentaine de maisons d’édition ayant publié au cours de l’année deux cent livres traduits et trente ouvrages d’auteurs tchèques. En 2013 le nombre de traductions a atteint 700 et les auteurs tchèques ont publié 120 titres. En composant l’anthologie du conte fantastique Zdeněk Rampas avait donc un embarras du choix :

'Les douze immortels',  photo: Argo
« J’ai choisi parmi 80 textes et il y en avait beaucoup que j’ai trouvés vieillis. Surtout ceux qui réagissaient à certaines tendances d’époque et qui ont été primés dans les premières années de l’existence de l’Académie parce qu’ils étaient pleins de répliques à la mode ou résonnaient avec certaines choses qui étaient d’actualité en ce temps-là. Mais en les relisant quinze ans après, ils me semblaient plutôt comiques ou bien pénibles et affectés. »

Le seul dénominateur commun de ces textes est donc le fait qu’ils ont survécu à l’épreuve du temps. Zdeněk Rampas ne pouvait pas se permettre le luxe de choisir les contes par exemple selon un critère thématique. Il a donc sélectionné les contes qui, à son avis, représentaient bien son genre et n’avaient pas encore perdu leur attractivité pour le lecteur.

L’âge d’or de la littérature fantastique

La fantasy à la tchèque s’est transformée au cours de ces dernières décennies à cause du passage des générations. Après la révolution de velours en 1989, beaucoup d’auteurs dont la création avait été critique vis-à-vis du régime communiste, ont cessé d’écrire, et ont choisi d’autres métiers. C’est dommage parce que dans cette génération il y avait certains auteurs de talent. Pourtant, depuis ce temps-là, l’intérêt des lecteurs a une tendance croissante. Zdeněk Rampas constate aussi un regain d’intérêt pour la production tchèque :

Photo: Pastorius,  CC BY-SA 3.0 Unported
« En ce moment nous vivons une période que nous pourrions appeler l’âge d’or de la fantasy tchèque. La production de livres fantastiques est énorme. A mon avis, c’est dû au fait qu’au tournant du siècle les grandes maisons d’édition ne publiaient pas ce genre de littérature. Il leur semblait inutile de publier des livres pour cinq ou six mille lecteurs et acheteurs réguliers de fantasy. Ainsi a été créé un espace pour les petites maisons d’édition. Ces petits éditeurs se sont rendus compte qu’en publiant un auteur tchèque, ils n’étaient pas obligés de payer le traducteur et la licence. Publier un auteur tchèque s’est révélé donc être une bonne affaire. Et en plus, si c’est un auteur débutant, on ne lui promet des honoraires qu’en cas de bilan positif. »

Zdeněk Rampas espère que nous vivons actuellement le début d’une nouvelle étape dans l’évolution de la littérature fantastique en République tchèque. De nouveaux auteurs arrivent et l’éditeur évoque dans ce contexte l’écrivaine et éditrice Julie Nováková qui vient de publier un recueil de contes de plusieurs auteurs intitulé ‘Terra nullius’ (Un territoire sans maître). Ces textes inspirés par le phénomène de ‘transhumanisme’ amènent le lecteur dans le monde des services secrets, des biotechnologies dangereuses et le propulsent jusqu’aux limites du système solaire. Les auteurs de ces contes apportent des visions originales qui anticipent sur l’évolution de l’homme et imaginent comment et par quels moyens nous pourrions perfectionner notre corps pour remédier à sa fragilité.

Le feu follet de Bratislava

Dans l’anthologie de Zdeněk Rampas, il y a relativement peu de jeunes auteurs car l’éditeur a choisi surtout des écrivains qui se sont déjà imposés dans le monde littéraire. Il y a quand même une exception, l’écrivaine slovaque Lenona Štiblaríková, née en 1982, auteure d’une vaste nouvelle intitulée « Bratislavská bludička » (Le feu follet de Bratislava). L’éditeur justifie son choix notamment par la façon dont l’auteure fait coexister dans sa nouvelle les éléments réels et fantastiques :

Photo: Hydra
« Dans sa catégorie ce texte a été présenté comme une nouvelle même si c’est plutôt un roman court. L’histoire est située à Bratislava, capitale de Slovaquie, et son héroïne est une guide touristique, mais en réalité elle est un feu follet, un personnage féérique. Elle a un camarade qui est l’ondin et travaille comme videur dans une boîte de nuit sur un bateau sur le Danube. Ce sont pourtant des personnes qui mènent une vie tout à fait ordinaire et qui ont des soucis de tous les jours, mais, en plus, ils sont des personnages féériques. Et soudain, ils apprennent qu’un grand Mal vient de l’Est et ils sont donc obligés de s’arracher à leur vie quotidienne et peut-être la sacrifier pour sauver leurs proches. »

Le titre de l’anthologie de Zdeněk Rampas est ambitieux, « Les douze immortels », mais le temps est un juge implacable. Il faudra attendre encore vingt ans pour voir quels contes de cette anthologie auront survécu à son jugement.